samedi 31 mai 2008

A propos de Marie-Louise

Quelques détails sur sa santé, trouvés dans la lettre de François à Henri du 25/02/1928, et qui auront une importance certaine pour la suite des évènements.

"Quant à notre Marie-Louise à nous, je l'ai vue il y a 3 semaines. J'attribue son état aux soucis qu'elle a depuis bien des années (pour être exact il doit falloir remonter à 1923...). Nos discussions à propos d'un établissement d'ensemble (Chessy, St Didier, etc.) n'y sont pas pour rien (1) ; la vie qu'elle a menée à Graves avec l'obsession de l'imbroglio Tensade (2) ; les scrupules qu'elle se fait de n'être pas aussi utile qu'elle devrait l'être (pauvre Colombe ! Comme si elle pouvait quitter Maman !) ; enfin l'air malsain de Montchat lui ont enlevé ses forces. Il nous faut la distraire et la gronder sur ses trop nobles scrupules. Mais sa lettre d'aujourd'hui respire la bonne humeur et j'espère que le séjour d'Epinal (elle partirait dans les 1ers jours de mars) va lui donner un coup de fouet. Nous verrons ça à Pâques."

(1) Il est régulièrement question, dans la correspondance entre frères, du projet d'amener les Marraines à quitter la maison de Montchat, "malsaine", trop grande et trop coûteuse en entretien ; on envisagera souvent d'utiliser l'héritage pour acheter ou faire construire une maison de campagne qui accueillerait toute la famille.
(2) "l'imbroglio Tensade" concerne André et un projet de fiançailles qui a semble-t-il duré longtemps et connu des aléas ; je n'en sais pas beaucoup plus. En tout état de cause, il n'a pas épousé cette demoiselle...

29 février 1928 : Lettre d'Henri dans la même enveloppe

"Ma chère Maman,
Jane te dit, à côté, en gros et en détail, ce que sont notre vie, nos espoirs, nos santés et le reste. Elle te pose les questions, vous concernant, que je t'aurais posées moi-même. Nous avons reçu une volumineuse lettre du Kozak qui nous donne des tas de détails sur les affaires de chacun. (...) Enfin, répondant à la demande que je lui faisais de bien vouloir m'aider pour mettre à exécution ce projet d'association, il me dit de m'arranger avec toi Je suis tout à fait décidé à m'associer. J'ai vu et revu mon partenaire, Lyonnais tout à fait sympathique, dont M. Roullet répond entièrement.
Jane à qui je l'ai amené pour déjeuner hier à midi partage mon impression sur lui et trouve très attrayant ce projet.
Nous allons commander pour quatre, cinq ou six mille francs (au grand maximum) d'outillage et surtout chercher un local. Ce monsieur Villiet qui est très actif en a déjà vu plusieurs hier et aujourd'hui. Je vais continuer mes recherches aussi. Il est probable que M. Villiet ferait encore une tournée de représentation pour M. Roullet pendant que j'agencerais le local. (...) J'ai dit au Kozak qu'au total je pensais lui demander 20 mille. Je ferai mon possible pour rester en dessous de ce chiffre. En ce qui concerne notre courant de vie, j'ai à toucher ma pension avec un rappel qui l'augmente suffisamment. Bref pour deux mois ça ira. Et dans moins de deux mois je retouche encore ma pension et j'ai tout lieu d'espérer que nous aurons assez de travail pour nous en sortir. Entre la représentation et le fer forgé, il faudra bien qu'on y arrive. (...)
Je me dépêche de t'embrasser, il est bientôt l'heure de retourner à l'atelier. Et j'embrasse bien mes soeurs aussi.
Henri"

28 février 1928 : La Reine a des espérances

"Nos chères Marraines,
Nous remercions Maman de sa bonne lettre et sommes contents de penser que Marie-Louise fait sa valise. Certainement ce changement d'air et la distraction lui feront grand bien. J'espère qu'elle ne nous oubliera point et nous enverra de belles images de là-bas, des images pour l'enfant, l'enfant qui s'apprête à être mère ! Mais oui, c'est une nouvelle que je vous annonce tout simplement. Je suis persuadée qu'elle vous fera plaisir. Depuis quand... ces espérances ? un mois environ. C'est donc la réalisation de tous les souhaits que l'on a osé nous formuler pour le nouvel an. Enfin, ne nous frappons point. En tout cas c'est bien ennuyeux d'avoir mal au coeur tous les jours, d'être de mauvaise humeur, d'avoir des goûts excentriques et de faire supporter tout cela à son mari. Heureusement que le Roi est un brave homme !
Un petit Pierre est né à New York (1). On n'a pas encore de détails sur son état et celui de sa maman.
A Paris, on s'apprête à fêter les 80 ans de ma grand'mère. Henri lui a envoyé des souhaits touchants pour cette belle occasion. Maman va mieux.
Nous avons reçu hier une très longue lettre de François qui nous parle de vous tous et du prochain départ de notre Colombe (2). On se réserve tous de l'égayer un peu à Pâques et on espère qu'à ce moment-là elle sera forte et vaillante.
Nous avons été un peu enrhumés tous les deux ces jours-ci : changement de température, tantôt il fait soleil, tantôt nuageux et frais. Il paraît qu'à Lyon il fait meilleur qu'ici. Tant mieux pour vous et surtout pour Marie-Louise qui doit se promener au soleil. Nous avons appris cela par M. Villiet, le futur associé d'Henri arrivé ce matin à Nice et qui est venu déjeuner avec nous. J'espère qu'ils s'entendront tous les deux. Ce monsieur a l'air très gentil et débrouillard et son intention est de chercher immédiatement un local pour l'atelier et de quoi se loger avec sa femme et sa fillette qui sont restées à Lyon en attendant. Henri quitterait donc M. Roullet sitôt qu'ils auront un local afin de l'installer. Je serai bien contente de ce changement de situation pour lui, travail certainement plus intéressant, moins de poussière et pas de patron... Nous vous en reparlerons bientôt et j'espère que pour Pâques ce sera en bonne voie.
Nous comptons les semaines, chères Marraines, avant de vous revoir. N'est-ce pas que nous avons bien travaillé à Nice et que vous serez satisfaites de vos enfants ? Ce sera un petit Jean ou une petite Alberte (?), à moins qu'on ne change d'idée. Et que fait Marthe ? Quelles belles choses ?
Nous avons appris avec grand plaisir les fiançailles d'Hélène (3) et vous chargeons de la féliciter, si c'est permis. Maman, qui a vu Herbert, nous dit qu'il désire partir à l'étranger, au grand chagrin de Thérèse. Vous nous parlerez de leurs projets, n'est-ce-pas ?
Bons baiser à toutes les trois de leurs Majestés qui vous aiment bien.
Votre petite Jane"


(1) chez Renée (Beauser, soeur de Jane)
(2) surnom de Marie-Louise
(3) Dumas, avec M. Lavaux

Après le mariage...

Forcément, puisqu'ils vivent désormais ensemble, ils vont beaucoup moins s'écrire...
Les lettres conservées sont dorénavant surtout celles des autres, mais pas seulement. Jane s'est trouvée promue secrétaire de son époux, et les Marraines ont gardé les lettres qu'elle leur écrivait fidèlement.
En décembre, peu de lettres. Le temps à l'échelle de ce blog va donc avancer plus vite maintenant. Et 1928 va être l'année d'un grand évènement à l'échelle familiale.
Mais d'abord, la photo, et quelques félicitations.

On ne voit pas que le pantalon d'Henri était trop court, mais le noeud pap a été rajouté à l'encre...
La petite fille à gauche est sans doute Denise Jobert, cousine de Jane.

"Le 7 décembre 1927
Cher Monsieur,
Vous vous excusez de ne pas m'avoir averti plus tôt de vos projets, je pourrais le faire aussi de ne pas vous avoir déjà envoyé mes souhaits bien sincères. Vous évoquez les mauvais jours que vous avez passés, vous parlez des encouragements que l'on a pu vous apporter à ce moment-là. Je conserve pour ma part le souvenir du malade courageux et facile à soigner que vous avez été.
Vous me ferez plaisir de venir me voir quand vous passerez à Lyon. Mes enfants ne vont pas mal actuellement, l'un d'eux a été atteint d'une courte pneumonie. Ma femme souffre de temps à autre de quelques malaises du foie. Elle se joint à moi pour vous dire le plaisir que nous avons à vous savoir heureux.
Bien cordialement vôtre.
L. Laroyenne"

M. Laroyenne était un médecin, cousin éloigné du côté Collet, qui avait soigné Henri pour sa blessure de guerre. C'est lui qui lui avait conseillé Nice pour son climat, et qui, l'ayant déclaré guéri, lui avait donné sa bénédiction pour envisager de se marier.

"Vendredi 15 décembre 1927
Ma chère Jane,
Nous avons su par les Villeurbanais, auxquels vous avez donné signe de vie, que vous être bien arrivée dans votre nouveau home et probablement avez-vous été
conquise dès votre première journée par ce beau pays de soleil et de fleurs.
J'ai bien souvent pensé à vous ces jours-ci et j'espérais bien recevoir un petit mot de vous pour tout au moins nous rappeler votre adresse, afin que nous puissions vous faire parvenir la photo tirée à la sortie de l'église.
Elle n'est pas trop mal réussie, pour le temps gris et sombre qu'il faisait ; de toute façon ce sera un cher souvenir pour vous deux.
Pouvons-nous espérer recevoir de vos nouvelles par voie directe ? Je sais très bien qu'il ne faut pas trop demander à de jeunes époux qui sont très égoïstes, ne songent qu'à leur amour et pour lesquels le reste du monde compte si peu !
Je vous embrasse bien tendrement tous les deux pour nous trois.
Violette"


dimanche 25 mai 2008

Je ne peux pas l'enlever...

Je crois que Papa a dû me la donner pour mes vingt ans. En tout cas, je la porte depuis si longtemps qu'il a fallu photographier mon doigt dedans...
La voilà donc, modeste et ravissante.

jeudi 22 mai 2008

27 novembre 1927 : Jane fait ses derniers préparatifs

"Paris, dimanche, le dernier.
Mon pauvre Henri,
Je te plains sincèrement, du fond de mon vieux coeur de vieille chose. Au moins, jouis-en bien, de ce dernier dimanche de ta vie de garçon, amuse-toi, enjoy yourself.
Et que fais-tu aujourd'hui ? Fait-il un temps gris et brumeux à Nice, comme à Paris ? Is the sun shining gloriously ? Au fait, pourquoi te posé-je mille questions auxquelles tu n'auras pas le temps de répondre ? Alors je vais m'arrêter ici, t'embrasse vite, en courant, parce que tu comprends, il faut que j'aille chez mon coiffeur afin que cette tête soit en état pour mercredi et jeudi, pour les jours qui suivront aussi. Quoique, une fois enfermée dans ton repaire de brigands, que m'importera d'être belle ou laide, soignée ou désordonnée ? Y feras-tu seulement attention avec ton cerveau rêveur, tes idées perdues dans les nuages ? Eh bien, tant mieux ! Je n'aurai plus ce souci "d'être belle et toujours adorée à la ronde". Ah ! si. J'oubliais mon futur adorateur : Mr Paul Scoffier. Est-il bien ? Grand ? Gros ? Blond ? : Mon idéal.
Je crois que je suis encore en voie de dire des bêtises aujourd'hui. Comment pourras-tu, après de telles lettres, éprouver un sentiment de respect et de gravité en contemplant la "belle mariée" que je serai jeudi ? Tout cela c'est de la galéjade, n'en crois rien. Il faut bien remplir son papier, comme tous les jours, quand on n'a rien à narrer.

Et puis moi, je ne sais pas beaucoup te parler d'amour, et d'ailleurs ce n'est pas mon rôle. Je veux bien permettre qu'on me choie, qu'on m'adore et y répondre par un sourire bienveillant et même content.
Il y a cependant une chose ennuyeuse depuis hier, une nouvelle lue sur le journal annonçant que les trains venant de Marseille auront un retard de deux heures pendant une huitaine de jours, à cause d'un accident qui s'est produit je ne sais plus où. Alors, n'arriveras-tu qu'à 2 heures environ ? Et où déjeuneras-tu ? Et sauras-tu l'heure exacte de ton arrivée assez tôt pour m'en prévenir ? Cette histoire est tracassante, cependant ne nous frappons point exagérément. Qu'est-ce que 2 heures de retard quand on a toute la vie devant soi ? Rien. Et puis nous serions tout transportés à la gare pour souhaiter la bienvenue à nos chers Lyonnais et crier : "Bonjour Philippine !". N'oublie pas. Et surtout ne dis pas à François que je suis contre lui dans cette circonstance, ce serait très mal, tu me fâcherais gravement.
J'ai essayé ma robe terminée, hier soir, avec mes bas blancs et souliers, papa a jeté un coup d'oeil, j'étais vaguement émue.
Puis on a fait le plan de la table. Quel travail pour arriver à placer ces 34 invités à une table en fer à cheval ! C'est nous deux qui présiderons, ensuite viendront les parents les plus proches et au bout se trouvera ma pauvre petite amie Ginette. Elle me lancera des regards désespérés et j'en perdrai tout appétit. Il y aura du turbot, de la volaille, des haricots verts, du foie gras, de la salade, de la glace, des fruits, du champagne (mais pas pour toi). Je dirai qu'on enlève tous tes verres sauf un petit. Et vieille chose te permettra de boire une petite larme dans sa coupe ; (après elle, bien entendu). Suis-je assez bonne ?
On va tâcher de retenir quelques taxis à l'avance afin d'être tranquilles.
Il est tard, laisse-moi aller chez mon coiffeur, ma grand-mère nous attend ensuite. C'est peut-être la dernière fois que je me rends à la Providence, puisque si tu n'arrives qu'à 2 heures, mercredi, et que tu doives acheter gants et melon, cravate aussi, nous aurons bien peu de temps !
Peut-être te mettrai-je une toute petite carte demain, mais je doute que tu l'aies à temps.
Enfin, mon petit Henri, sois calme, dors bien, trouve tout de même une minute pour te raser, et arrive-moi bien vite avec une mine resplendissante et un air profondément joyeux.
N'oublie pas que le chapeau de vieille chose est bleu vif, son manteau bleu criard et ses fourrures jaunes.
Ne te moque pas. Je t'aime bien et demeure ta fidèle petite chose jusqu'au bout de nos belle fiançailles. Ensuite ?... on verra.
Jane"

27 novembre 1927 : La dernière lettre d'Henri ?

Chère Mademoiselle,
Nous voici arrivés au terme de cette correspondance et c’est aujourd’hui la dernière lettre que je vous écris. Ce n’est pas sans émotion que je le fais et je voudrais que vous lisiez ici tout ce que mon coeur peut y mettre de tendre et de spontané en même temps que d’irrévocable et d’absolu.

Chère petite Chose,
Tu sais, nous serons bien obligés de nous dire “vous” mercredi, au moins jusqu’au moment où le “tu” échappera à l’un de nous devant notre parenté. Le contraire semblerait indécent. Et pourtant le lendemain on nous forcerait à nous tutoyer si nous n’avions déjà recommencé. Nous verrons bien, petite chose, ne nous faisons pas de soucis d‘avance.
Oui je pense que demain je n’aurai certainement pas le temps de t’écrire et que ce serait d’ailleurs un luxe inutile puisque j’arriverais à Paris sensiblement en même temps. Il me reste une carte dans ta boîte. Je pense que je te l’enverrai “pour le principe”. Mais tu sais, au dernier moment ne t’attends à rien de sensé, je dirais presque : à rien d’affectueux. Quand on est bousculé, on est bousculé. Dès aujourd’hui je suis d’une fébrilité extraordinaire. Je pense à toi, à toi ici, à toi à Montchat, à toi à Paris, à toi mercredi, à toi jeudi... Cela fait toutes sortes de “petites choses” différentes qui dansent une ronde dans ma pauvre tête et je ne m’y reconnais plus. Je voudrais pouvoir penser à toi, rien qu’à toi, sans détails, ni circonstances, ni personnes... et je n’y arrive guère. Je voudrais être plus vieux de cinq jours seulement !
Enfin, heureusement, je vais mettre de côté la préoccupation “Petite chose arrivant à Nice”. En effet, ton domaine est prêt et t’attend impatiemment. Une nouvelle poussière commence à recouvrir toutes choses. Ce serait affolant... mais tu excuseras cette poussière... et bien d’autres désagréments aussi.
Je me souvient que dans les premières lettres que je t’écrivais, j’avais quelquefois des histoires à te raconter. Aujourd’hui je suis heureux parce que l’enfant en aura presque une à lire et rira peut-être.
Tu sais que je m’étais adressé à ma boulangère pour me trouver une femme de ménage pour ce matin. Nous avions pris rendez-vous pour 8 heures, la boulangère et moi. A huit heures vingt, ne voyant venir personne, je vais relancer la panetière qui me dit :
- Voyez donc si “elle” n’est pas au marché à côté. Elle est passée ici il y a un instant et puis, apprenant qu’il s’agissait de travailler chez un homme seul, elle n’a plus voulu. Tâchez de la voir et rassurez-la...
- Qui est-ce donc ? fis-je, tout à fait amusé.
- C’est la Calabraise, vous la connaissez. C’est cette femme qui a tout fait pour entrer chez votre patron...
- Dieu garde ! Laissez-la à ses frayeurs, madame. Je l’ai échappé belle.
Petite chose, “la Calabraise” est une femme solide et forte qui pèse deux fois mon poids et réduirait en bouillie des gens bien plus costauds. La vois-tu, en admettant que j’aie réussi à l’amener chez moi, me fichant une raclée parce qu’elle se serait figuré... ? Et puis me “cigognant” (comme on dit à Lyon) pour que je la fasse entrer à l’atelier !..
Je me suis débrouillé autrement, sur le tard. De sorte que le carreau a été lavé très vilainement, très incomplètement. Tout cela à cause de la pudeur calabraise, et à cause de toi, aussi. Heureusement que j’ai fini avec tous ces détails ménagers. Fini n’est pas le mot, puisque tout va recommencer, mais je te laisserai le sceptre, ô ! Reine : tu me commanderas, j’aime beaucoup mieux.
Je ne me suis pas encore laissé attendrir : petite chose n’a toujours qu’une couverture, mais je lui ai installé une provisoire table de toilette avec la fameuse cuvette et le fameux pot si vilains. Ce lit, cette table, deux chaises, une descente de lit et des “rideaux à punaises” à la fenêtre, c’est tout. Dans la salle à manger ce n’est guère plus confortable... Mais tu verras bien tout cela, il ne faut pas que tu sois désenchantée si à l’avance. Nice ! perpétuel printemps. Nice, fille du Soleil ! Nizza-la-bella !
Ne médisons pas trop : il a fait beau aujourd’hui. Je t’écris cette lettre à quatre heures, même cinq. J’ai terminé, il y a peu de temps, mon travail personnel en lavant l’évier une dernière fois. Te souviens-tu que j’avais naïvement commencé le nettoyage par l’évier il y a une quinzaine de jours ?
Maintenant il me reste à écrire à Jeanne Mouterde (depuis une semaine !) et à ma mère peut-être. Je t’attends pour écrire à ma tante Hortense. Elle a envoyé à Montchat le fameux service d’argenterie “12 couverts, 12 petites cuillers, une louche”. Je ne sais pas en quoi est tout cela, tant pis.
Il paraît que nous avons reçu aussi une cafetière et un sucrier en “métal français” de la part de Mmes Gangolphe, Vulliod et Ancel (cousines germaines de ma mère - millionnaires). C’est assez inattendu, merci quand même. Madame Gangolphe est la belle-mère de mon docteur. Nous la remercierons ensemble. Enfin cinq cadeaux sont déjà à Montchat. Un trait.

Tu me rendrais bien service en effet, en retenant pour moi une chambre à l’hôtel en question, cela simplifiera tout. L’homme n’aura, comme à chaque fois, qu’à arriver, à se laisser conduire, nourrir, coucher, etc... Tu avoueras que la vie est belle à Paris. S’il n’y avait pas le métro... Seulement ne me fais pas l’avance du prix de la chambre. Ce serait incorrect de ta part ! Retiens-la simplement, s’il vous plaît.
En ce qui concerne la journée de mercredi, Maman m’écrit qu’elle n’arrivera avec Mme L. et M. qu’à 17h10, au lieu de 14h52. Donc cela va modifier tes plans. Peut-être pourriez-vous donner rendez-vous à ma mère à l’hôtel. Non ! elle aurait de la peine à le trouver. Si l’homme aux moustaches (1), qui arrivera bientôt à Paris, avait l’idée de les piloter. Mais nous n’en saurons rien. Cela aurait pu être s’il avait répondu avec un peu de retard à l’invitation de tes parents et fût allé les voir préalablement. Il m’a écrit qu’il le ferait volontiers, et puis je n’ai même pas eu le temps de lui répondre. C’est affreux ce temps qui manque, surtout quand il faudrait tellement se reposer !
Nous nous rattraperons après, si tu veux. Il faut bien espérer que nous finirons par passer une journée tranquille en bout de congé.
Je me suis renseigné, il paraît que je dois t’offrir un bouquet de fleurs blanches jeudi matin. Tu me diras ton goût mercredi et jeudi, je te les apporterai rue Henri-Poincaré, en gants blancs, melon, souliers vernis et smoking... Oh ! que j’aurai vergogne et combien il faut que je t’aime pour me faire “beau” de cette déplaisante façon.
Mais après tout, c’est très bien et je brandirai allègrement le melon d’une main puisque dans l’autre j’aurai la tienne. Ma brûlure est finie, mon rhume presque, je ne souffre plus du tout de mon “vieux” dos. Je ferai un marié presque passable, je l’espère.
J’ai allumé mon feu... Tu remarques que je n’allume jamais mon feu sans te le dire. Manie. Je ne le ferai plus.
Oui, nous allumerons sans doute le phare à Montchat, mais petite chose, il y a une grille dans ta chambre, ne serait-il pas mieux de faire le feu là ? D’ailleurs je ne crois pas que nous soyons longtemps à la maison dans la journée. Tout cela dépendra de toi, si tu veux te reposer en arrivant et même dormir un peu. Peut-on essayer de deviner d’avance les idées de petite chose après une nuit de chemin de fer et le lendemain de son mariage !
Je ne sais pas si on m’aura préparé le lit où j’ai couché pour la Toussaint, au grenier. Si non, peut-être me permettras-tu de dormir sur ta descente de lit, ou couché en travers de la porte pour te protéger ? Eh ! tu me poses une question, je réponds de mon mieux.

Crois-tu que je puisse oublier mon billet de confession ? Non, seulement je crois bien que je ne m’exécuterai qu’à la dernière heure, mardi après-midi. Maman m’a écrit à ce sujet l’autre jour : elle espère que ce sera pour moi le point de départ d’une nouvelle... fidélité à la religion. Je ferai mon possible, en tout cas.
Pendant que j’avouerai mes péchés, petite chose sera en train “de se laver la tête, de faire ses malles et des tas de choses”. Cela me procurera des distractions, j’oublierai de déclarer des fautes graves, je m’en souviendrai tout à coup jeudi à 11 heures et quart. Il faudra “remettre ça” devant le public juste au dernier moment. On rira. Penses-tu quelquefois à notre mariage à la mairie ? Moi presque jamais. Le plus clair de l’affaire sera sans doute de faire antichambre en attendant que d’autres couples se fassent unir. Cinq minutes de formalités, des signatures, et en route vers N-D de Lourdes.
... Tu me demandes si je pousserai l’alliance jusqu’au bout du doigt. Naturellement ! Mais surtout parce que si l’alliance est de la même mesure que la bague, elle sera trop large et glissera toute seule. Encore une chose à quoi l’on ne pense qu’au dernier moment !

Et puis me voici devant la dernière page de cette lettre, la dernière que je t’écrirai, étant ton fiancé. Puissions nous ne plus jamais nous écrire et vivre toujours l’un près de l’autre. Pourtant, je reprends vite ce souhait imprudent. Petite chose n’a pas fini d’avoir des vacances. L’homme lui en donnera de temps en temps. Elle passera un peu plus de temps que lui à Anse l’été. Quand il ira voir la famille ou la tienne, tu resteras peut-être quelques jours après lui pour revoir tes amies ou vivre un peu avec mes soeurs qui t’aiment bien.
Alors nous nous écrirons. Plus familièrement ? Non. Nous avons été jusqu’à la limite de l’intimité en correspondance.
Petite Chose, oui, j’ai dans ces lettres cherché à ce que tu me connaisses et m’aimes et je leur suis reconnaissant parce que je crois que tu veux bien m’aimer et que nous sommes aussi sincères l’un que l’autre. Je ne sais pas si tu ne trouveras pas que l’homme de tous les jours ne ressemble guère à l’homme de ces lettres, moins apprêté, moins gentil peut-être parfois (Dieu garde !) mais ne doute pas de ma sincérité. J’ai fait ce que j’ai pu pour te dire toutes mes infériorités et te garder de trop d’enthousiasme pour Nice et le “monsieur Niçois”. Cela me donne le droit, ensuite, de demander sans arrière-pensée à petite chose d’être ma femme. Si tu dis oui c’est parce que tu sais que je t’aime. Depuis je ne sais quand. De toute mon âme et que je veux vivre courageusement et droitement pour que tu souries toujours à l’homme.
Chère petite Jane, empile ces lettres, attache-les, garde-les comme je fais des tiennes. J’ai le droit de te le demander, mes lettres sont parties du meilleur coin de mon âme : celui qui t’appartient. Et que tous les baisers, tout l’amour et tout le respect qui y sont pour toi s’en échappent aujourd’hui pour m’assurer ton coeur définitivement. La dernière ligne.
Veux-tu te laisser embrasser comme j’aime ?
TON Henri

(1) François

mardi 20 mai 2008

26 novembre 1927 : Jane a le coeur léger

"Bonjour, monsieur.
Il paraît que j’ai une jolie écriture (quand je m’applique, naturellement). Trouvez-vous ? C’est un employé de papa qui a dit cela, comme je lui avais recopié un brouillon de lettre l’autre soir. Alors je suis toute fière. Et puis Violette m’a dit ce matin que je ferais une belle mariée, et que tu serais très impressionné par la mousse légère de mon voile. Il retombera sur ma figure, j’en suis ravie : personne ne verra si vieille chose est émue ou pas émue.
Alors, tu seras grondé par ta cousine pour lui avoir offert un si joli vase. Seulement, peut-être n’es-tu pas content que j’aie porté toute seule ce souvenir, puisque dans ta dernière lettre tu me parles de ton désir d’aller rue Ravignan mercredi soir avec le paquet... et moi. Tant pis ! Je m’accuse. Je vais m’accuser tout à l’heure à mon vicaire de bien d’autres choses enc
ore... alors, un peu plus ou un peu moins, cela n’a pas d’importance. Non, j’ai une conscience très légère, en ce moment surtout. De quoi pourrai-je bien m’accuser ? D’avoir été gourmande ? peut-être, mais tu l’es bien toi aussi. D’avoir été un peu coquette ? Oui, je crois. Et puis d’avoir rêvé parfois au beau milieu ou (horreur !) tout au long de mes prières. Mais vous êtes bien curieux, il me semble. Vieille chose est sage, elle ira communier demain et jeudi. Et vous ? Jamais ? Il est vrai qu’un vilain monsieur se moquant des chapelles et des bénédictions n’a pas droit à cela. C’est presque infâme, au moins. Je ne galège point, je me fâche.
Mon abat-jour est ravissant. Mais oui, c’est mon avis. Celui des autres m’importe peu. Mais le découpage n’est pas terminé.
Violette m’a donné ce matin notre store en filet superbement brodé. Je lui ai dit merci pour toi aussi. Il paraît que 2 m 75 c’est bien haut ! Peut-être que l’Homme, en rêvant (à quoi ? je ne sais pas) se sera trompé de quelques bons centimètres. Pardon. J’ai l’âme taquine aujourd’hui. Je me sens le coeur presque léger parce que tous mes achats sont terminés et que ma robe n’a plus besoin que d‘un coup de fer. Excessivement simple, cette petite robe, vous savez, bien inférieure au smoking princier de l’Homme. Heureusement que le châle sera là !
Alors, tu veux bien toujours ? Réfléchis, moi je vais commencer à réfléchir sérieusement, c
’est le moment.
Oui, les fruits confits sont bons, seulement, l’ennuyeux c’est qu’il n’en reste plus qu’un seul. On le partagera ce soir en 3 morceaux égaux.
Je n’ai pas reçu de cadeaux, que des lettres et des cartes de félicitations. Je te félicite, je nous félicite. Ce qu’il y a d’amusant, c’est qu’on félicite ma grand’mère et mes parents, pourquoi ? Sais-tu qui l’on devrait féliciter dans cette affaire ? C’est mon vieil et sympathique ami : Herbert, cet homme délicieux dont j’évoque chaque jour la silhouette aimable en dégustant une ou deux tasses d’un thé parfumé. Ecrivé-je (sic) bien ? Parlé-je mieux encore ? Certainement oui.
Je t’aime bien. Tu trouveras ton “oiseau bleu” mercredi à 12 h 15 sur le quai de la gare, tout à fait à l’entrée du quai, en tête du train. Alors comme cela nous nous apercevrons de très loin, cette fois, et pourrons nous faire des signes désespérés, toi avec l’une de tes valises, moi avec mon bouledogue qui sera de la fête aussi, je l’espère bien. Il ne mord pas, sois tranquille. N’aie toujours peur que des chevaux, c’est suffisant. Quel Homme !

Je suis
ravie du store de ma chambre. J’aurai une coupe électrique de l’Homme aux moustaches (est-ce cela ?) et un beau tapis d’Orient aux tons chatoyants et charmeurs. Et puis je mettrai aussi “chez moi” le confortable fauteuil de mes vieilles tantes. On verra quoi encore. Peut-être le vase bleu de Madame Gravier (1) et d’autres jolies choses. Plus rien de nouveau à signaler dans mon quartier. Il n’y a jamais de rafle par ici, que je sache. Dis donc, ce n’est pas rassurant du tout ces histoires-là ! Alors à demain encore, mon ami, si vieille chose a le temps. Allez au cinéma, à l’Opéra (en smoking, il aura l’air moins neuf jeudi), dormez et mangez, soignez bien votre rhume si vous voulez embrasser bientôt votre petite chose, votre drôle de petite chose qui vous embrasse aujourd’hui, gentiment, tendrement peut-être."

(1) Je crois qu'il s'agit du vase chinois bleu qui est à Verneuil

21 novembre 1927 : Henri n'a rien à dire

Ma chère Jane,
Ce soir je n'ai absolument rien à te dire. Le facteur est en retard, je n'ai pas eu ta lettre d'hier. Il est vrai que j'ai celle de samedi, reçue aujourd'hui à midi, mais c'est déjà bien vieux. Que vais-je te dire ? - Que je t'aime ? Je te l'ai déjà dit de tellement de façons que je crains de n'en pas trouver de nouvelle. Et cependant...
Te souviens-tu du matin de la Toussaint ? Dans la cuisine de Montchat, nous nous revoyions pour la première fois de la journée (officiellement) et tu m'as embrassé tu t'es fait embrasser, en me prenant par la tête. C'est d'ailleurs la seule fois que cela nous est arrivé. Pourquoi faut-il que j'y pense avec douceur, ce soir ? Pourquoi l'avais-je - pas tout à fait oublié - mais rangé au second plan dans ma mémoire ? Voilà, c'est le souvenir que j'évoque aujourd'hui. Voudras-tu m'embrasser encore de même quand nous nous retrouverons dans la cuisine de Montchat ? Je sais bien que je suis idiot, mais je te pose la question quand même.
Et dis-moi, que ferons-nous toute cette journée du deux décembre à Lyon ? Où irons-nous nous promener ? Ce qu'on va s'ennuyer ! Où voudras-tu que je t'offre à déjeuner et à dîner ? As-tu un restaurant préféré à Lyon ?
Ne me réponds pas ! Il ne faut pas tracer ainsi d'avance minutieusement l'emploi du temps de ses vacances, autrement ce n'en seraient plus. Nous irons tout simplement, la main dans la main, au gré du caprice de petite chose. Nous laisserons le plus possible de valises à la consigne, et le bouledogue aussi, s'il se peut. Je t'assure que je l'aime bien, surtout depuis qu'il a été malade et convalescent, mais je préfère qu'il revienne à la surface plus tard, beaucoup plus tard - quand il pleuvra à Nice.
Il pleut en ce moment à Nice, mais le bouledogue n'y est pas encore, ni toi non plus. C'est long. Jusqu'à la veille de mon départ, je trouverai que c'est long. Nous ne sommes qu'au lundi de l'avant-dernière semaine. Car, après le dimanche 27, j'en recommencerai une autre : Deux jours. Ce dimanche sera interminable. Je suis capable d'aller au cinéma comme les nourrices et les soldats, pour tuer le temps. Voilà presque deux mois, je crois, que je n'y suis pas allé. Nous irons ensemble, pas trop au cinéma, à l'Opéra plutôt, si c'est aussi ton goût.
Que me disais-tu que tu engraissais ? Tu donnes ta bague au bijoutier pour la rétrécir encore, c'est donc le contraire. En es-tu toujours contente ? Elle est bien indigente, mais tu l'as voulue ainsi. Je me console : en la voyant, tes amies se font une idée plus exacte de moi. Elles auront moins d'étonnement, le jour de notre mariage, à voir un homme terne, mal fait, gris et trop maigre, au bras de la radiante Jane Beauser. C'est que, d'après ce que tu me dis, elles seront assez nombreuses, tes frivoles amies, à venir nous épier - à la sacristie d'abord, à l'Hôtel Moderne peut-être, ensuite. Ma foi tant pis, il n'y aura qu'un homme pour sortir à ton bras de l'église, et te choisir une place à côté de lui dans le compartiment. Et ce sera moi. C'est tout ce qu'il me faut. Je te choisirai un coin, dans le sens de la marche, je te munirai d'un oreiller, d'une couverture sans doute aussi et je m'assoirai à côté de toi comme dans le petit train de Labretêche. Le voyage durera plus longtemps, j'en suis ravi. Tu ne pleureras plus, tu me fera un brave vieux sourire, et, si tu veux, ce sera du bonheur.
J'aurai le droit de t'embrasser souvent, à chaque station et même entre, quand elles seront trop éloignées. Et à Lyon comme tu seras frileuse (tu verras, à sept heures du matin, en descendant du train !) nous irons prendre un café au lait dans un café de Bellecour, ou faire du feu à Montchat, ou manger une soupe au fromage aux Halles, ou bien faire ce que tu voudras d'autre, puisque c'est toi qui décideras de tout ce jour-là. Après la journée très émouvante, très gentille (puisque nous serons tout à fait en famille) mais très fastidieuse et bousculée du 1er décembre, celle du deux sera un vrai lundi tranquille, intime et doux. J'y pense presque davantage qu'au jour de notre solennelle union devant Dieu et devant les hommes. Et toi ? N'as-tu pas décidé d'avance quelque chose pour ce jour-là et choisi la façon dont il me sera le plus facile d'entrer tout à fait dans tes bonnes grâces ? Moi je passerais aisément ces heures, ta main dans la mienne, assis sur un banc des quais du Rhône, à t'écouter, à te questionner, à te faire sourire, à t'embrasser souvent. Mais ce n'est pas un programme à la hauteur, je le reconnais. Il nous faudra marquer par quelque exploit notre passage dans cette chère vieille bonne ville de Lyon. Tu me diras lequel et je ferai ensuite tous mes efforts pour agir selon ton désir. Irons-nous chez la mère Filloux, tirerons-nous les sonnettes des "gens" pour fuir ensuite, irons-nous voir notre Tante Hortense pour la remercier de son superbe cadeau, ferons-nous arriver un embarras de voiture pour avoir traversé en rêvant la place de la République ? Je ne sais pas encore. Simplement, je sais que nous nous amuserons comme des enfants, avec un seul coeur pour tous les deux.
Mais nous n'écrirons pas trop de cartes postales le deux décembre, et les gens ne nous en voudront pas.

Je n'ai pas reçu encore les lettres de faire-part. Tu as dû les envoyer en petite vitesse, en gare ? Mais il y a le temps encore. Et ça me fera une distraction pour ces longues journées, de coller des timbres à trois sous sur les enveloppes. Veux-tu envoyer une de ces lettre à Joannès Roullet, 97 boulevard Gambetta, Nice ? Ca ferait plus "officiel". Et je pense qu'il serait sensible à cette attention de la future madame Henri Reignier. Aujourd'hui tu trouveras dans l'enveloppe le papier ecclésiastique certifiant mon innocence et la parfaite légitimité de mon désir de t'épouser. Je veux croire que le maire de Nice n'aura à sanctionner qu'un pareil satisfecit de son côté. Alors tu peux être fière ! (...)
Mon smoking ? Il est tout à fait ordinaire, avec seulement le long du pantalon un liseré de soie qui me paraît un peu large. Il paraît que "c'est ainsi". Je dois te dire que je ne m'y connais guère. Quant aux souliers vernis je pense les prendre demain, j'en ai trouvé une paire de "tout faits" qui a l'air de m'aller. J'achèterai les bas de soie noire, en superbe simili et, à une dizaine de kilogs près et quelques autres menus détails, je ferai un cavalier presque présentable.
Je voudrais bien, moi, voir ta fameuse robe. Sans doute auras-tu un voile et aussi un bouquet que je t'aurai offert. Ça me fait rire et ça m'intimide. Je n'oserai pas serrer ton bras contre le mien en sortant de l'église, de peur d'abîmer ta superbe toilette et aussi parce qu'il pourra y avoir des gens pour nous regarder bêtement à la porte. Mais je serai très heureux. Petite chose, je me trouve tout à coup au bas de mon papier et, comme je t'avais prévenue, je ne t'ai absolument rien dit.
Rien de grave, rien de sérieux, rien d'essentiel. Seulement un peu de bavardage avec petite chose. Mais si tu comprends que c'est tout ce dont je suis capable maintenant, simplement, bavarder avec toi, parce que tout est réglé, décisif, définitif, presque fait, entre nous, tu y verras une preuve de tranquille amour, d'amour solide et confiant. Ce soir je t'embrasse dans un endroit bien mal commode, chère petite chose, mais c'est de plus près, tout à fait serré contre toi - comme j'aime - comme je t'aime.
Henri"

Note : Photo de la bague (qui est à mon doigt) dès que j'aurai acheté des piles neuves pour l'appareil photo, lequel a attendu gentiment mon retour de vacances pour tomber à plat....

lundi 5 mai 2008

Ouf, c'était donc pas ma faute !

Les commentaires sont revenus ! Pourvu que ça dure, et que ça marche vraiment...

18 novembre 1927 : Jane est toute gaie

"Mon petit Henri,
Je n'ai pas compris et ne cherche pas à comprendre pourquoi ta lettre ne m'est arrivée qu'à 3 heures aujourd'hui. Résultat : petite chose a été triste, triste presque à mourir de 11 heures du matin à 3 heures moins 5 minutes de l'après-midi le 18 novembre 1927, et 12 jours avant son mariage. Évènement à considérer.
Je suis contente maintenant. En l'espace de 2 minutes (le temps de descendre l'escalier, de le remonter, enfiler la clef dans la serrure et m'installer dans les profondeurs moelleuses de mon divan), ma physionomie altérée est devenue des plus souriantes.
Cher facteur, merci ! (...)
J'ai vu Violette hier, on a parlé de Lyon d'où elle revenait. Notre mariage est toujours considéré, dans ta ville natale, comme un évènement sensationnel. Alors, on a coupé cette fameuse robe et j'ai commencé ce matin à la coudre. C'est émotionnant. S
uppose que je fasse une bêtise irréparable ou que je donne un coup de ciseau au beau milieu de mon tissu... ce serait atroce. N'y pense pas. Je vais coudre encore un peu ce soir, puis demain. Lundi je déjeune chez notre tante Henriette. Mardi, il y a le dentiste, grand'mère et sa réception habituelle, et peut-être un dîner chez des amis. Et mercredi j'irai chez Violette essayer ma robe.
En plus de cela, nous allons dimanche chez Marthe Fromentin, belle fille de 30 ans. Tout un programme. Après mercredi je ne sais plus. Tout ce que je sais c'est qu'il restera une semaine à peine avant l'arrivée de mon ami, et que je serai, je crois, heureuse de l'accueillir, avec mon meilleur sourire. Voulez-vous ? En voulez-vous, du sourire de votre petite chose ? Pourquoi pas ? (...)
J'ai... nous avons reçu un autre cadeau, ensuite, chez Tante Angèle : 300 F. Je suis toute heureuse. On mettra ça aussi dans le grand p
ortefeuille et on pourrait acheter, par exemple, un bon fauteuil pour le dos de monsieur, et sur le dossier on pourrait poser la têtière brodée et héréditaire. Ou bien on pourrait acheter encore un tapis pour ma chambre ou un en paille de couleurs pour ta salle à manger. On en reparlera plus tard. L'essentiel c'est que nous soyons riches. Ce sera bien vite confortable chez nous. Et vieille chose sera comme une reine dans le petit logis de l'Homme. (...)
Je suis allée chercher les faire-part ce matin. Moi je les trouve sympathiques. Te plairont-ils ? Et comment ta mère et tes soeurs les trouveront-elles, voilà la question angoissante.
Je t'envoie l'échantillon. Ne pensé-je p
as à faire plaisir à mon ami ? Tu en recevras bientôt d'autres.
Tu as raison de faire un bon feu le soir. Bientôt c'est vieille chose qui l'allumera et tu n'auras plus cette peine. Tu auras chaud tout de suite en rentrant. Ton lit (le tien) sera fait aussi, et tu auras le droit de te mettre tout de suite dans tes pantoufles : un vrai confort. J'espère bien qu'après cela tu ne regretteras plus jamais ton existence de garçon et tes rideaux à punaises (excuse-moi, je veux dire fixés par des punaises). (...)
Oui, ma blouse de ménagère est bien jolie pour une chose d'un usage aussi vulgaire. Elle est bleue (avec des poches, pense donc !) et un petit col à carreaux blancs et bleus. A Paris on ne vend que de jolies choses, tout le monde sait cela.
Oui, achète ton chapeau à Paris. On ira tous ensemble, avec Herbert, avec François, et Marie-Louise et Marthe et tout le monde. Ce sera très drôle. Tu nous feras bien rire et vieille chose s'amusera. Tu peux bien, au besoin, te rendre ridicule à demi pour la rendre heureuse.
Violette m'a dit hier qu'elle nous jouerait des tours au moment du départ, le 1er décembre. Méfie-toi.
As-tu réfléchi à ton témoin ? Je devrai , en même temps que je porterai à la mairie et à l'église les avis de publication, leur dire les nom, prénoms et adresse de notre témoin à chacun. Je gribouille, excuse-moi. Je ne m'applique plus jamais maintenant, quand je t'écris. Tu me connais trop bien et sais depuis longtemps que je ne suis point un as. Alors pourquoi perdre mon temps et chercher à t'illusionner ?
Songe donc ! Je suis rentrée toute seule à 11 heures hier soir. Personne ne m'a enlevée, c'est dommage. J'aime tant les aventures !
Et je t'embrasse. Fini mon bavardage pour aujourd'hui. Je vais à la poste et geler mon nez, mais en y mettant beaucoup de poudre dessus personne n'y verra rien. Tu permets ? Et ça sent si bon !
Je t'aime bien toujours. Et toi ?
"Janot Lapin"