mercredi 30 juillet 2008

22 décembre 1929 : Chroniques d'Anna

"Ma chère petite Jane,
Ta bonne lettre, impatiemment attendue, nous a surpris et peinés. Pauvre petite Suzie ! Comme elle a dû souffrir en effet, et comme vous avez dû être tourmentés ! On s'inquiète si vite avec ces chers petits et ce n'est pas toujours commode de les soigner ! Enfin, ce n'est pas grave heureusement, et nous espérons qu'à l'heure actuelle le mal a complètement disparu ou à peu près, et que votre départ pour Lyon n'en sera pas retardé.
Nous espérons aussi que ta belle-mère sera remise de cette nouvelle indisposition et que vous passerez quelques bons jours tous ensemble. André sera sans doute de la réunion ?
J'ai reçu ce matin un mot de Jo m'annonçant une affreuse nouvelle : leur pauvre Thérèse est morte d'une congestion cérébrale vendredi soir, et sa mère, appelée d'urgence, est arrivée quelques heures avant la fin. Demain, funérailles à Angers, et vendredi à Grenot !
Tu vois d'ici le désespoir et la situation de ces pauvres malheureux ! C'est épouvantable, c'est la plus dure épreuve qui puisse les atteindre !...
Hier, mariage de Maurice. Très belle cérémonie ; la mariée est quelconque et parle très peu. Très bon lunch avec jaz (sic) et danse, toilettes splendides ; 8 demoiselles d'honneur en moire rose, 4 petits couples et 4 grands. Gd'mère est venue seulement au lunch à cause du mauvais temps ; et tante Angèle seulement au Temple, ayant une leçon à 5 heures. Les petites Le Gonidec n'ont pas manqué une danse et étaient très élégantes. Mme W., très jolie toilette, en crêpe georgette gris, chapeau bas et souliers gris, tout-à-fait chic. Les mariés sont partis à Tarbes le soir même pour aller voir la gd'mère de la mariée, et ils doivent revenir après la Noël.
Nous sommes bien contents que Suzie ait été ainsi gâtée par son parrain qui est si généreux ! Elle sera joliment bien dans son petit lit qui doit être sûrement ravissant, d'après ce que tu me dis. Vous êtes des veinards, d'avoir une telle température en cette saison, et nous en sommes heureux pour vous ; ici, après 2 jours très froids, nous avons de nouveau la pluie, mais une pluie glaciale, et nous n'avons que 12° avec le chauffage : c'est maigre !
A N. Y. cela va mieux. Jean a vu le Dr qui lui a dit que tous ses malaises étaient nerveux et lui a donné ce qu'il fallait pour dormir. Elle nous dit que ta lettre si affectueuse lui a fait grand plaisir.
Le 1er janvier, nous déjeunons chez les Jobert avec les Rosenthal qui viendront dîner avec nous le dimanche avant.
Gd'mère me charge de te dire de ne pas oublier d'envoyer tes voeux à Mme Poisson ; c'est en effet obligatoire après les cadeaux qu'elle t'a fait pour ton mariage ; et Gd'mère serait très gênée vis-à-vis d'elle si tu ne le faisais pas ! Mme Fournier est de nouveau remise de sa crise et est venue à la Providence jeudi dernier.
Merci pour l'adresse du Capitaine. Nous pensons bien à vous, mes chers enfants, et à la joie que vous aurez de cette bonne réunion de famille. Pourvu que tu n'aies pas trop de surmenage avant le départ et que le voyage ne soit pas trop fatigant ! et que vous ne preniez pas froid surtout !
Papa se joint à moi, ma chérie, pour t'embrasser mille fois bien tendrement ainsi qu'Henri et Suzie. A vous trois toute notre affection.
A. Beauser"

9 novembre 1929 : Des nouvelles des marraines

"Mes chers Enfants,
Nous avons été bien contentes de la lettre de Jane nous donnant de bonnes nouvelles du voyage d'Henri et du sort des deux pauvres isolées pendant son absence.
Je vous suis bien reconnaissante, ma petite Jane, de nous avoir cédé ce cher homme pendant deux jours. Il nous a fait bien plaisir à tous. Tout de même il nous a paru étrange de le voir sans vous, mais nous lui avons posé tant de questions affectueuses sur vous et la petite chérie que cela nous a rapprochés un peu en attendant plus complète réunion.
François nous a quittées 24 heures après Henri, mais ce n'est peut-être pas l'adieu définitif avant le Maroc. Il nous a écrit qu'il n'embarque que le 13 et comme il y a d'ici là près du départ un dimanche et une fête nationale il se peut qu'il passe ces jours ici en s'acheminant vers Bordeaux. (...)
Ici cela va mieux pour toutes les trois. Je dis ainsi parce que Marthe a eu de forts maux de tête avec mal de gorge et Marie-Louise a repris un rhume fameux, rhume de cerveau surtout, mais qui l'a tenue très fatiguée toute la semaine.
Cependant il fait très chaud à la maison, peut-être trop, et nous avons eu deux ou trois journées de soleil bien agréables. Enfin j'espère que cela va être fini et il ne fait pas encore froid.
André a dû beaucoup travailler cette semaine et nous ne l'avons pas revu depuis dimanche.
Les petites photos laissées par Henri nous ont fait bien plaisir, et nous usons la grande à force de la regarder. (...)
Nous avons quelques visites et cela me fait bien plaisir ne pouvant presque rien faire encore. Je suis vite lasse pour tricoter et même pour lire, ma vue étant affaiblie, mais je vis surtout des faits et gestes de mes chères petites qui m'entourent si bien et je ne veux pas me plaindre.
Votre lettre était toute parfumée du mymosa (sic). Il avait concentré toute sa senteur à notre intention nous apportant toutes vos bonnes pensées et sourires de la minette chérie.
Nus vous adressons au centuple tous nos affectueux sentiments. Et toujours à bientôt des nouvelles.
Maman"

Décalage horaire

Au bout de 5 mois, nous avons avancé d'un peu plus d'un an dans cette histoire. Je sais que certain(e)s n'ont pas forcément un accès quotidien à Internet, ou ne sont pas accro au point de visiter le blog tous les jours.
Alors je m'interroge : est-ce que j'avance trop vite ? est-ce que je dois accélérer le mouvement pour en arriver plus tôt aux évènements marquants, aux tournants de l'histoire, ou bien faut-il continuer à ce rythme tranquille, en plantant le décor et les personnages ?
En espérant lire votre avis, je vais continuer à mon allure bancale, en choisissant d'abord au coup de coeur plutôt que sur des critères documentaires.

mardi 29 juillet 2008

1er novembre 1929 : Lettre d'une soeur

"Ma chère Jane,
Je m'aperçois que ta dernière lettre est datée du 2 sept. et j'avais pourtant l'intention d'y répondre au plus vite. Enfin n'en sois pas fâchée, car je suis si occupée depuis le retour des vacances que le temps passe sans s'en apercevoir ! Je sais par maman que vous êtes tous 3 en parfaite santé et que votre Suzy a fait ses premiers pas, cela a dû vous faire une émotion... je connais ça !
D'après les dernières photos de Lyon, nous croyons que votre fille est grande pour son âge et bien bâtie ; le bon air y est sûrement pour quelque chose et je suppose qu'elle doit être dehors du matin au soir. Je voudrais bien pouvoir y mettre mon Pierrot, dans votre beau jardin, et même Nany qui s'entendrait très bien avec sa petite cousine. Ici, sa petite amie est Jacqueline Archinard qui a l'âge de Pierrot ; cela devrait être aussi l'amie de Pierrot qui veut l'embrasser à chaque instant et l'appelle "Laline", mais elle ne veut rien savoir et dit "non, non".
Est-ce que Suzy commence à parler ? C'est si amusant à cet âge. Pierrot est une vraie poupée frisée, et toujours gracieux ; il parle half french, half english, et on n'y comprend pas grand'chose.
Jacques est dans les malins de sa classe comme il le dit lui-même ; s'il était à Paris, il ferait un bon petit élève toujours désireux de savoir et ayant une mémoire étonnante.
Voilà en peu de mots ce que nous devenons. Nous sommes ravis de cet appartement : c'est clair, grand et gentiment arrangé sans trop de frais ! Quel dommage qu'on soit si loin, comme on passerait de bons moments tous ensemble... Enfin, nous espérons bien que le plus dur est fait maintenant et qu'on pourra rentrer en France dans un temps pas trop lointain.
Est-ce que Jane travaille toujours pour elle ? Si cela ne l'ennuie pas elle pourra se faire 2 petites robes en lainage pour la maison (je suis très contente des miennes) avec ce que Mme Saladino lui enverra de ma part. Il y a aussi quelques petites choses que Nany ne peut plus mettre et qui iront à Suzy en refaisant les ourlets plus haut. Je suppose que cela ne t'offense pas que je t'envoie des choses qui ont été portées. Je sais que Mme Archinard n'en ferait pas fi, mais j'aime mieux te faire plaisir. Si tu veux, je mettrai de côté les affaires de Nany et te les enverrai l'année prochaine ; elle a un petit ensemble rouge garni de laine noire qui lui allait à ravir, mais elle grandit tellement qu'on voit son derrière !
Elle avait 24 robes quand nous sommes allés en France et il ne lui reste plus grand'chose en ce moment ! Je n'ai jamais le temps de m'ennuyer comme tu le penses car je n'achète rien pour Nany, tout est trop cher et pas très chic. Heureusement que la maison Michau est là avec ses bouts de tissu.
Je t'envoie quelques photos de Long Branch ; il y en a une de toute la famille, qui n'est pas au point, et c'est bien dommage, ne trouves-tu pas ?
A bientôt de vos bonnes nouvelles à tous les 3, cela nous fera bien plaisir.
Nous vous embrassons de tout notre coeur et y joignons pour Suzy les grosses caresses de ses petits cousins.
Ta soeur qui pense souvent à toi.
Renée"

lundi 28 juillet 2008

13 octobre 1929 : Inquiétude pour la santé de Marie

"Mon cher Henri,
Tu dois être inquiet du long silence des Marraines, qui n'ont guère eu le temps ou l'humeur de t'écrire parce que la santé de Maman nous donne des inquiétudes assez vives. Elle a eu une défaillance de coeur assez grave il y a 6 jours ; le docteur l'a fait coucher et mise au régime lacté pendant 5 jours, ce qui l'a reposée un peu mais affaiblie.
Hier le docteur l'a revue le matin et conseillé de la ramener à Lyon où elle serait mieux chauffée, et mieux soignée, notamment par le Dr Bret ; nous avions donc demandé à François Mouterde de l'emmener en auto, mais l'après-midi et la nuit ont été pénibles, et le docteur qui sort d'ici ne parle plus de descendre à Montchat pour le moment.
Il fait heureusement très beau temps et l'on peut aller chercher facilement ce qu'il faut à Villefranche ; j'y descends maintenant.
Je vais demander au Dr Bret de venir ici ; notre docteur étant son élève, une consultation sera j'espère efficace.
Je te tiendrai au courant.
Je me sauve à Villefranche ; embrasse bien pour tout le monde Jane et Suzanne.
F. Reignier
Je devais embarquer mercredi mais je demanderai l'ajournement."

28 septembre 1929 : Les Marraines sont encore à Marcy

"Mes chers Enfants,
Combien vos bonnes nouvelles nous ont fait plaisir ! Et ce beau temps qui continue est tout à fait agréable pour ceux qui sont à la campagne comme vous et nous. Et la mignonne pourra mieux prendre ses premiers ébats. A quel nombre de pas en est-elle à présent ? La voilà tout décidément partie à la conquête du monde. Mais vous voici plus préoccupée, ma chère Jane, de lui voir inventer des choses dangereuses qui seront plus à sa portée. A-t-elle un peu renoncé aux cailloux ou autres choses aussi peu digestibles ? Avec six dents, elle peut devenir ambitieuse.
S'intéresse-t-elle à ses poules qui vont travailler en partie pour elle, surtout en commençant. Il faudrait que vous puissiez les tenir bien au chaud et leur donner une pâtée chaude quand il fera froid ; mais peut-être qu'à Nice, elles seront moins paresseuses en hiver. Ici les oeufs ont passé subitement de 7,50 à 10 francs. C'est un peu exagéré.
André a encore eu de l'ennui avec ses boeufs qui marchaient si merveilleusement bien. L'un d'eux s'est empalé, presque sous ses yeux. Cela ne paraissait guère troubler la pauvre bête qui continuait à manger, mais le vétérinaire a dit tout de suite qu'il fallait l'abattre et on a pu constater qu'il avait eu raison.
Le boucher a donné environ 80 pour 100 de sa valeur parce que la viande était très bonne, mais là n'est pas tout le dommage, parce qu'il a fallu vendre l'autre boeuf trop difficile à réappareiller (sic), puis ensuite chercher une autre paire dans les environs. André est allé pour cela à la foire de Chénelette, mais les boeufs qu'il a ramenés sont jeunes et pas encore habitués au travail, de sorte qu'il faudrait trop de temps pour les dresser à un moment où l'ouvrage abonde et où le temps est favorable pour le presser. Alors, André va chercher de nouveau une autre paire de boeufs, ou plutôt il s'en occupait hier matin et nous ne savons encore rien à ce sujet. D'autre part, comme Claudius est parti, il a fallu aviser à un remplacement et c'est un jeune ménage qui sans doute va faire ce qu'il cherche. Le mari a dû venir hier de Tournon, pour achever de s'entendre avec André.
Marthe avait pensé vous écrire, mais ce sera pour une prochaine fois et c'est pour le pas retarder de deux ou trois jours les nouvelles et les faire de nouveau se croiser que je vous écris ce matin. (...)
Pendant 5 jours à peu près nous avons eu un vent du nord très peu chaud, on ne pouvait s'asseoir dehors, mais la température s'est radoucie et hier c'était bien bon. Il est probable que nous ne rentrerons que vers le 10 octobre.
Merci pour les diverses recettes qui peuvent toujours trouver à s'employer, et s'il y a encore des raisins au marché de Montchat, nous essaierons la confiture.
Pas de lettre de François depuis qu'il est allé chez vos parents. Nous attendons les nouvelles.
Mille tendresses, chers enfants, à tous les trois ensemble et à chacun en particulier.
Maman"

dimanche 27 juillet 2008

Août 1929 : Trois jeune femmes (et un bébé) sous un arbre

De g. à d. : Marthe, M-Louise, Suzy, Jane

Août 1929 : Réunion de famille à Marcy

De g. à d. : Marie, M-Louise, Anna, Henri, Jane et Suzy, Marthe

6 août 1929 : Jane et Suzy sont à Marcy

"Bonjour, mon vieil homme,
Je vais bien, et toi ?
Viens vite, ici l'on est à merveille. Il fait beau, l'air est délicieux, les gens affables. En ce moment, toute la famille est réunie au jardin, autour du parc de ta fille. On coud, cause, goûte, parfois se promène ; Marthe parle d'aller s'exercer au billard du café voisin avec papa. C'est effrayant, on entendra tout.
Suzanne a été insupportable hier toute la journée, ne voulant être regardée par personne et hurlant lorsque maman ou les marraines faisaient le geste de la prendre. Aujourd'hui ça va mieux.
La maison est grande : 3 pièces en bas, dont salle à manger, cuisine et notre chambre avec mobilier confortable, lustre superbe. Au premier étage : chambres des marraines et de mes parents, 3 pièces aussi.
André n'a pas encore paru, on l'attend un peu ce soir (on dit, en grand secret, dans les tuyaux d'oreille, qu'il a cédé galamment Belotte à son cousin, et que ce dernier a trouvé une situation meilleure ; c'est tout). Ton frère est un galant homme. Aimait-il ?
Bref, c'est tout. Que fais-tu ? J'espère que tu me l'écriras bientôt. Dis-moi tes courses, tes lettres reçues, ce que tu manges... et bois. Ne fume pas, c'est défendu. Ici tu auras la vie belle et te reposeras. Tâche que ce soit le plus tôt possible. François doit arriver samedi matin.
Il paraît que Lozanne est un peu plus éloigné de Marcy que Villefranche.
J'envoie mon meilleur souvenir à l'illustre M. Battanchon, mon vieil ami.
A toi, mon vieux loup, tout ce qu'il me reste d'à peu près bon au fond de ce mauvais coeur de mauvaise femme"

jeudi 24 juillet 2008

Je me sens moins seule...

Merci à l'anonyme qui m'a fait un petit coucou ! et je suis heureuse d'apprendre que notre saga familiale intéresse au-delà de la famille et des amis .
Bientôt la suite... (pas demain, il y a Urgences !)

jeudi 17 juillet 2008

7 juillet 1929 : L'affaire Villiet, explications

"Mon cher Kozak,
Il paraît que tu es "furieux" parce que je ne te réponds pas... Il y a de quoi. Mais j'ai des circonstances atténuantes. D'abord Jane t'a écrit, et puis, deuxièmement, je n'ai pas beaucoup d'entrain pour le faire, car la brillante affaire dans laquelle j'avais mis toute ma foi, est maintenant arrivée à son apogée de décrépitude et je suis, dans ce rayon, tout à fait démoralisé - et piteux vis-à-vis de toi.
Il ne me reste qu'une consolation : c'est de me dire que j'ai été la victime d'un triste sire et de me réjouir, si l'on peut dire, de ce qu'il vient de vérifier la justesse de ma thèse, en consacrant sa propre indignité. Je fais des phrases pour t'annoncer ce que les Marraines t'ont sans doute déjà appris : Villiet a fichu le camp de Nice, abandonnant femme et enfant et laissant ses créanciers, dont moi, sans aucune nouvelle et en face d'une situation évidemment embrouillée et déficitaire.
Il paraît que Villiet fut, dans le temps, un excellent ouvrier. M. Roullet, que la nouvelle de cette lâcheté a suffoqué, me l'a encore certifié. Malheureusement pour moi, il n'a pas su ouvrir les yeux à temps et j'ai été trop confiant et - ce qui est inexcusable - indirectement. Je suis vacciné pour l'avenir ! Je serai désormais employé, ne laissant une situation que pour en prendre une meilleure, et si jamais, dans un avenir imprévisible, je me "mettais à mon compte", ce serait tout seul.
J'ai voulu, pendant un certain temps, faire confiance à Villiet, ne l'abandonnant que lorsque la pâture de la famille se trouva compromise. Et, au moment de nous séparer, je n'aurais pu garder l'affaire à moi seul, sans lui donner une indemnité. Et il eut l'outrecuidance de demander dix mille francs. Ou bien sans entamer un procès, qui ne serait peut-être pas encore fini et eût été la ruine totale. C'est dans ce moment que Villiet, qui était toujours dehors, sous prétexte d'affaires, sut faire croire à M. Roullet que je tramais de monter à Nice une industrie copiée sur la sienne (celle de Roullet) et me rendre suspect à ses yeux. De telle sorte que M. Roullet n'eut aucune raison pour chercher à débrouiller mes affaire de façon à compenser un peu ma malchance et que son estime ne m'est revenue que du jour où je me suis clairement lavé de ces soupçons et ai attaqué Villiet sans réserve.
Si Villiet, à l'aide de ces calomnies, avait su m'évincer totalement, me précipiter dans la ruine et bâtir sur elle une fortune et une réputation, il aurait été digne des héros de Balzac. Au lieu de cela, la fainéantise et la boisson l'ont poussé à la déconfiture, à l'abus de confiance et à la fuite. Parallèlement, ayant rendu sa vie conjugale insupportable, et sa femme menaçant de le quitter avec sa fille, il est parti lui, les laissant, littéralement, sans un sou. Sa femme demande maintenant le divorce. C'est elle qui m'a écrit pour m'annoncer tous ces "évènements".
Je t'ai écrit (je n'ai pas eu le courage de t'en parler à Lyon dernièrement) que Villiet devait me rembourser, par mensualités, dix mille francs. Je vais maintenant faire valoir mes droits sur l'actif restant. Naturellement étant donné que les créances autres, pour n'être pas très importantes chacune, sont assez nombreuses, je ne compte pas obtenir beaucoup. N'importe, je me vois dans la nécessité de prendre un avocat et je cours dans ce but depuis plusieurs jours après un Me Mouterde avocat à Nice, sans avoir pu le joindre. (...) En définitive le fer forgé m'aura coûté quinze mille francs (sans tenir compte des intérêts) puisqu'il ne me reste entre les mains que cinq mille francs de marchandises et que je considère comme très problématique qu'il puisse être sauvé quelques autre chose du désastre Villiet. (...)
Nous sommes maintenant presque à la campagne sur le versant Est de la colline de Cimiez qui domine la ville. Nous sommes immédiatement en dessous (mitoyens) de ce monastère de Cimiez qui a fourni le titre et le décor d'un des derniers romans de Bordeaux. J'ai tiré ce matin une petite photo de ce que l'on voit de notre porte : une tonnelle, un jardin en gradins avec des oliviers et, en haut le clocher du monastère. Ce jardin est idyllique pour le moins et assez vaste (deux ou trois mille mètres), on s'y isole parfaitement et comme on y a tous les courants d'air d'une vallée et d'une mer, il y fait meilleur qu'en ville. (...)
Notre adresse sera donc jusqu'à nouvel ordre celle que Jane a dû te donner : "Petit-Nid - Voie Romaine - NIce-Cimiez". Et tant pis pour ce détail, pourvu que le résultat reste : la fille légumant ses biberons d'un seul coup, d'un seul, Jane bien moins surmenée et nous trois au meilleur air.
Nous formons une tribu avec nos propriétaires, les Battanchon, wigwams séparés, prairie commune. On échange des litres de vin, des oignons, quand le ravitaillement est déficient (il faut faire un kilomètre pour trouver la première épicerie !). Et Battanchon fils m'a installé toutes les étagères, lampes, etc. avec des tampons dans les murs et le feu sacré du bricolage. Il n'a que ça à faire. Sa maman est une des meilleures sages-femmes de NIce et elle a son domicile et ses occupations en ville. Le mari, le fils et la bru, avec Cora la chienne, représentant les petits-enfants, vivent à Cimiez, jardinent, se cuisent au soleil, bouquinent, font marcher la T. S. F. et le phonographe. Battanchon père a 70 ans et frise le gâtisme, n'en parlons pas. Battanchon fils bricole, pose des barres de sûreté aux portes, des fils de fer barbelés un peu partout, fait des meurtrières dans les volets et rédige des avis éloquents, pour les rôdeurs : "Défense de pénétrer. Pièges à mitraille !". (...)
Je te remercie pour l'idée (que je n'avais jamais eu l'audace d'avoir) de combiner nos vacances avec celles de mes beaux-parents. Je suis heureux comme tout à la pensée de n'avoir pas à aller à Paris et à y promener dans le métro une famille en bas âge, une valise et un parapluie. Vive Marcy ! Je serai heureux de retrouver ma chère belle-mère et le bon petit père Beauser. Pourvu que cette organisation ne soit pas trop fertile en corvées pour nos marraines, je m'en réjouis pleinement. Et puis, pour la première fois depuis St Clément des Places, nous nous reverrons autrement qu'entre deux express.
Je vais arrêter cette prose, espérant que tu en as classe et que ta colère est usée et, passant au chapitre des salamalecs, je viens t'embrasser pour la môme Jane, pour ta filleule et pour moi aussi.
Henri"

2 juillet 1929 : Déménagement, villégiature, naissances...

"Mes chers enfants,
Je pense que vous attendez tous les jours des nouvelles. Marie-Louise pense bien à vous écrire mais n'a pas encore trouvé le moment de calme nécessaire à cause des allées et venues, visites et autres occupations.
François est ici depuis samedi soir et reste seulement 3 jours qui finiront ce soir. En ce moment il est en route avec M. L. pour aller visiter une maison à Marcy, le Marcy qui est à 2 ou 3 kilomètres d'André, à la suite de St Cyprien, vous voyez à peu près la direction.
Ils sont donc allés rejoindre le propriétaire qui est marchand de vins à Vaise et qui les conduira en auto jusqu'à Marcy. Nous verrons donc dès ce soir si cette villégiature peut nous convenir et M. Louise vous le dira en rentrant.
Madame Beauser est arrivée hier vers 6 heures et nous sommes bien contentes de l'avoir pour quelques jours. Ensemble nous irons cet après-midi voir les Dumas et féliciter Hélène qui a un fils depuis samedi soir : un petit Jacques. Le baptême ne se fera peut-être qu'à l'arrivée d'Alberte qui doit être à Lyon le 13. Et Alberte elle-même a de nouvelles espérances. Encore un à la suite, et tante Jeanne aura sa douzaine de petits enfants.
André est venu dimanche pour quelques heures. Rien de nouveau pour lui. En attendant, il a rentré beaucoup de fourrages.
Alors, êtes-vous toujours contents de votre nouvelle habitation ? (1) Le jardin surtout doit vous faire plaisir et il fait moins chaud aussi ces jours-ci. Il a même fait froid, avec 5 degrés seulement.
Vous pensez si nous parlons de vous avec Madame Beauser et si nous nous réjouissons des prochaines vacances."
Ici, c'est Marthe qui prend la plume :
"Colombe et Kozak rentrent de Marcy. La maison en question n'est pas m
al. Il y a l'eau sur l'évier (Il faut la pomper). Il y a aussi l'électricité. Le jardin n'est pas épatant, trop de soleil, mais par contre il y a une cour assez ombragée où Minette sera bien je crois. 3 chambres en haut, cuisine, salle à manger et une autre pièce en bas dont on pourra faire une chambre. On sera à environ 3 kms d'André. Il lui sera donc assez facile de venir dîner quand bon lui semblera. Ce ne sera pas plus long que de préparer sa soupe.
M. Beauser a ses vacances à partir du 3 août, alors si Jane pouvait arriver à ce moment...
Kozak vous injurie parce qu'Henri ne lui a pas répondu. Avis.
Au revoir mes chers enfants"


(1) La nouvelle habitation, ici à droite :
"Le petit nid" à Cimiez, sur les hauteurs de Nice.
Devinez à qui est l'ombre en bas...

mercredi 16 juillet 2008

21 mai 1929 : Henri a laissé Jane et Suzy à Lyon

"Mon Fenon,
Oui, j'ai fait un bon voyage, merci. J'ai bu tout mon flacon de beaujolais d'un seul coup, d'un seul, parce que, après ce concours de fromage de bique, j'avais pris soif et... que personne n'avait pensé à m'offrir à boire. Bref, comme le train était surpeuplé et bissé, je me suis installé en IIè classe. Au départ de Perrache il y avait dans mon compartiment l'habituel contingent dans ce cas, c'est à dire :
1° Le jeune homme distingué, réservé, sur le point de se marier, et rejoignant son poste à Draguignan ;
2° La jeune fille bien, gantée, peut-être un peu teinte, mais enfin "bien" tout de même, et se rendant chez son oncle de Valence.
(Lesquels deux voyageurs font tous leurs efforts pour créer une telle ambiance d'aristocratie, avec leur silence, leurs gants, et leur éventuel : la fumée ne vous incommode-t-elle pas mademoiselle ? - qu'on se croirait en première).
Illusion que vient immédiatement ruiner la présence de : 3° Ma Pomme, qui marche sur les pieds des susvisés pour se rendre à la toilette et en revenir changé, des pieds à la tête, en pantalon tigré de travailleur et jersey mou. Puis, qui bouscule leurs délicatesses par l'étal d'un casse-croûte sans fourchette, ni verre, ni couteau...
4° Le couple de rigueur, en deuil et légion d'honneur, cheveux tirés, Nouvelliste.
St Rambert d'Albon.... Nettoyés le couple et la donzelle, le jeune homme distingué s'étend sur une banquette et moi sur l'autre.
La vallée du Rhône fuit sous nos roues. Le sommeil consacre notre lyonnais silence...
Boum ! Boum ! Boum ! Marseille ! Un faquin viole notre retraite et notre interrupteur. Adieu, paix brumeuse, digne, vide et pleine... Ce sont les gens du midi. Un ténor s'installe, qui nous envoie Hérodiade en entier. Un vieux zèbre, qui n'a pas revu Nice depuis son congé (il y a de cela trente-cinq ans) prend le compartiment à témoin de son émotion prédigérée. On apprend qu'il a été gardien du champ de tir du Var et qu'aux heures de sortie, il faisait le garçon de café chez le "Bicot" et qu'il touchait son prêt-franc, et qu'il fut de garde à la porte de l'Hôtel de Cimiez où était descendue sa majesté Victoria.
Sommeil en ligne brisée. Cannes... Nice.
La tarte était excellente, merci. Et pas une lettre dans la boîte. Les E. D. M. (1) toujours au même endroit et le rendez-vous toujours fixé à vendredi soir à l'arrivée du train 115.
Mon petit fenon, tu me raconteras les nouveautés. Je sais bien que notre Kozak national, fort goûté par le Préfet et la Préfète, n'aura obtenu de la part de leur fille que de trop distraites attentions. C'est un vrai cinéma, cette jeunesse. Je l'ai vue manger un morceau de tarte et ne l'ai plus retrouvée au moment des adieux. Mais cela suffit peut-être au Kozak et cela suffirait à tout amoureux décidé.
Qu'en dit la fille ? Qu'en disent nos soeurs et notre mère ? Je te charge d'embrasser chacun pour moi. Profite bien de ce large amour que tu rencontres au 28 et que j'ai toujours su être le plus beau présent de ta corbeille de noces. Et puis reviens dans les bras
tout grands ouverts
de ton vieil homme"

(1) : Les Etablissements D. Michel

30 avril 1929 : La fée arrive à Montchat

"Mes chers enfants,
Combien nous les attendions, ces chères nouvelles ! On dit toujours : il peut y avoir une lettre perdue, mais on n'en croit que la moitié et on commence à s'inquiéter...
Enfin, vous êtes bien gentils et voici deux bonnes lettres dans une, et le bon espoir d'un jour de grâces pour Henri à la Pentecôte et de plusieurs bons jours de ses deux chéries. Nous allons faire reposer Jane si elle est un peu lasse et nous pouponnerons notre Petite à qui mieux mieux. Je ne m'effraie pas de sa sauvagerie pour les étrangers ; elle se sentira tant aimée par ici qu'elle ne gardera pas longtemps sa méfiance instinctive.
Nous ne la gâterons pas, la chère mignonne, mais nous tâcherons de l'intéresser et maintenant ce doit être facile.
Bravo pour la petite dent qui sans doute ne tardera pas à avoir sa voisine. Cette apparition plutôt précoce est un bon signe et donne plus de latitude pour la nourriture.
Le cher Kozak est en route sur mer aujourd'hui et très probablement il filera sur Nice avant de venir ici, cédant à votre invitation et à son désir très grand de vous voir davantage mais il peut y avoir des accrocs dans les projets, ne vous réjouissez pas trop vite pour n'être pas déçus. Ensuite, qu'Henri tâche bien de tenir son samedi, pour que nous ne soyons pas volés.
Pendant que j'écris, on tape contre la maison, dans la rue, pour faire la place des coffrets d'électricité. (...) Dans tous les cas, l'offre de nous avoir des fournitures en gros nous fait bien plaisir et je suivrai le conseil de nous documenter à la Compagnie, quai des Célestins. Après quoi je vous écrirai et peut-être qu'avec François vous pourrez calculer à peu de choses près la quantité de matériel. Je crois que la grosseur du fil à 16/10 est obligatoire.
C'est notre locataire qui est heureux de l'évènement ! Et pour nous cela ressemble à un conte de fées.
J'espère que vous n'aurez pas de déceptions avec V. (1) pour l'arrangement survenu. Dans tous les cas, ne vous en faites pas de souci, ce serait le plus grave de l'affaire et ni François ni moi ne sommes pressés des avances faites. Et cela me fait grand plaisir que le travail chez Michel ne donne pas de préoccupations pénibles.
Vous faites joliment bien de prendre vos ébats le dimanche dans de si jolis pays. Quels bons souvenirs j'en ai gardés, pour ma part.
Ici le jardin devient agréable, les lilas sont en pleine floraison, et nous avons eu de si jolies fleurs de pêchers et poiriers sur l'herbe verte ! C'était ravissant, mais il ne fait pas chaud ces derniers jours et l'on ne peut guère stationner dehors étant assis. Il n'en faut qu'une et la chaleur est là. (...)
De Paris nous avons appris la naissance d'une petite fille chez Paul et Violette et tout va bien sauf qu'il n'y a pas encore de petit Dumas à l'horizon. La naissance date du 25.
Marthe va son petit train-train sans grand enthousiasme à cause du personnel. Enfin, demain, jour sans tramways, elle aura sa journée et que de choses pour la remplir, trop pour en venir à bout.
A bientôt les petites histoires menues de chaque jour : 17 jours, mes chers Jane Henri Suzanne, et nous vous possédons.
Il y a longtemps que vous ne nous avez donné des nouvelles de vos parents. Ce sera pour la prochaine lettre, n'est-ce pas ?
J'espère qu'ils vont tous bien et que votre soeur a fait bon voyage ainsi que son petit Pierre.
Allons, à bientôt, et mille tendresses.
Maman"


(1) Villiet, ex-associé d'Henri.

lundi 14 juillet 2008

Mars 1929 : Les Américains ont débarqué (suite)



























De g. à d. : Renée, Jean Grethen, Suzy, Jane

Mars 1929 : Les Américains ont débarqué

"Ma chère petite Jane,
Comme tu dois le penser, j'ai attendu l'arrivée de nos chers grands et petits pour répondre à ta gentille et longue lettre ! Et ils se sont fait attendre, le bateau ayant eu 48 heures de retard ! Il ne sont arrivés qu'hier soir à 6 h 1/2 gare St Lazare, où nous avons attendu le train une partie de l'après-midi. Comme nous avions eu juste le temps de les embrasser avant qu'il ne partent en taxi, Jean est venu nous cueillir à la maison à 8 h et nous a emmenés en auto Bd Barbès où nous avons dîné tous ensemble !
Les pauvres ont eu une sale traversée et Renée a été vraiment malade ; Pierrot a l'intestin tout détraqué n'ayant pu avoir de lait les derniers jours et il a besoin de grands soins maintenant. Aussi nous devions les avoir à dîner ce soir, et Renée est venue avec les deux grands cet après-midi pour me dire que ce serait remis à demain soir, car elle veut s'occuper de ce pauvre gosse qui était vraiment bien fatigué ce matin. Espérons qu'on va le remettre vivement d'aplomb et que Renée et Jean pourront partir tous les deux seulement jeudi ou vendredi. Renée te préviendra par dépêche de son arrivée, et ils espèrent pouvoir trouver une chambre du côté de la place Masséna pour être plus près de la mer. Je me réjouis pour eux et pour vous de cette bonne réunion ; que de choses à vous raconter, et comme les journées vont vous sembler courtes ! (...)
Nous avons eu une grande lettre très gentille de Juliette ; tout va bien pour le moment.
Nous sommes très contents de votre réunion avec la famille Mouterde et c'est dommage pour vous qu'il n'aient pu avoir la villa en question !
Ce que tu nous dis de l'augmentation des appointements d'Henri nous fait bien plaisir car avec sa pension, c'est vraiment intéressant, et ce
la vous permettra de mettre de côté pour les imprévus, car on ne peut vivre au jour le jour et c'est nécessaire de se constituer peu à peu un petit capital.

Espérons que vous trouverez un appartement vous convenant, plus près de l'usine, à cause du repas de midi.
Tu me diras dans ta prochaine lettre si la petite prend bien son lait Nestlé ; tu fais très bien de commencer l'allaitement mixte, surtout ayant tes règles, cela te fatiguera moins, et Suzy s'en trouvera mieux aussi.
Tu dois penser, mon Janot, que ce n'est pas le désir qui me manque d'aller auprès de vous, et que si j'étais seule, je n'hésiterais pas ; mais je ne puis songer à laisser papa, et les petits me retiennent aussi, voulant jouir d'eux le plus possible.
Renée te racontera tous leurs méfaits avec Saladino, leurs projets d'avenir, etc. Il est probable que c'est bien leur dernier congé avant le retour définitif !
Je termine, ma chérie, ayant juste le temps et la place de t'embrasser mille fois bien tendrement ainsi que ton cher Henri et la petite, pour papa et pour moi.
Vos parents qui vous aiment beaucoup et pensent à vous sans cesse. Gros baisers de Renée et de Jean et des chers petits.
A. Beauser"

21 février 1929 : Renée s'apprête à embarquer

"Ma chère Jane,
Quand vous recevrez cette courte lettre, nous serons sur l'océan, les uns bons marins, les autres moins bons ! Peu importe pourvu qu'on n'arrive pas trop défraîchis !
Voilà longtemps que je me propose de vous écrire, mais mon temps est plus qu'occupé avec les préparatifs du voyage, les rhumes des uns et des autres, les dents et les premiers pas de Pierrot, et... jusqu'aux poux que Jacques nous a rapportés de l'école et qui avaient envahi la tête de Nany et celle de ce pauvre Pierrot qui se grattait si gentiment... (et pour cause !)
Nous avons admiré en temps la petite photo de votre poupée : elle ressemble certainement à sa maman, et je suis bien impatiente de la connaître, ainsi que son papa.
Nous projetons d'arriver à Nice la semaine suivant notre arrivée et nous vous demandons de nous réserver une chambre avec bain dans un bon hôtel moyen près de la place Masséna (si toutefois ce n'est pas trop éloigné de votre demeure) à partir du 14 mars jeudi. Nous nous arrêterons à Lyon au retour sans doute afin de voir votre famille et les Biass.
On vous récrira un mot ou télégramme quand nous serons fixés ! N'importe comment comptez sur notre visite et vous verrez des gens heureux d'être
libres !

Nous vous embrassons de tout notre coeur en attendant bientôt.
Renée"

vendredi 11 juillet 2008

Je me sens seule

Bien sûr, je surveille le compteur en bas à gauche, et aujourd'hui il en est à 323. Ça peut vouloir dire que 32,3 personnes ont rendu visite 10 fois chacune à Jane, bien que je doute d'avoir 32 et surtout virgule 3, lecteurs. Ou bien j'ai 10 fidèles qui sont venus environ 30 fois, le restant étant constitué d'erreurs de connections ou de passants que je n'ai pas passionnés. (Et il faut que je me compte, et que je me retranche, évidemment... enfin je me comprends)
Le "bloggage" étant un exercice solitaire, et l'objet de cet objet étant de partager avec vous mes émotions, mes enthousiasmes et ma conviction que les squelettes ne méritent pas de demeurer au placard, je vous serais humblement reconnaissante de bien vouloir vous manifester, de temps en temps, et aussi de diffuser l'adresse en direction des membres de la famille dont je n'ai pas les coordonnées, et de non-membres aussi, pourquoi pas.
Ceci ne concerne pas Hélène, bien sûr, qui persiste fidèlement et contre vents, marées et caprices de Blogspot, à me faire part de ses sentiments et de ses encouragements. Qu'elle en soit ici publiquement (!) remerciée.
Vous avez aussi le droit de poser des questions, de critiquer, de réclamer des informations que je me ferai un plaisir de donner si j'en ai la possibilité. Je me suis investie toute seule d'une mission, que j'aime, mais je voudrais bien que tout cela ne reste pas lettre ... morte !
Voilà, fidèles lecteurs, et moins fidèles que je pardonne, une petite bouffée d'humeur matinale. Merci de m'envoyer quelques témoignages concrets de votre assiduité. Et Merci tout court d'être là et d'avoir lu ça... Le feuilleton continue très bientôt.

PS : Woaoh, j'avais une c... dans la mise en forme, j'ai bidouillé le code HTML, et ça a marché !!! On va peut-être encore pouvoir faire quelque chose de moi...

jeudi 10 juillet 2008

16 janvier 1929 : Jane est très occupée

Nous voilà déjà en 1929, moins de lettres ont survécu à cette période. Jane, Henri et Suzy ont passé les fêtes à Lyon,. En rentrant, Henri a trouvé un nouvel emploi, car apparemment l'association avec M. Villiet n'a pas réussi comme espéré ; nous en saurons un peu plus ultérieurement.

Chères Marraines,
Je suis une paresseuse, excusez-moi, ou plutôt c'est la faute à Suzanne, qui prend une grande partie du temps de sa maman et ne lui laisse même pas le loisir d'écrire.
Nous allons bien. C'est à dire que mon vieil homme a un gros rhume de cerveau et le nez bouché, c'est très incommodant. Il fait froid, vous comprenez, alors... quand on travaille dehors. Mais on soigne ça énergiquement avec du bon tilleul et de la teinture d'iode.
La petite fille est toujours en bonne santé. Mais mademoiselle a moins d'appétit (trop distraite). Elle a pris seulement 105 g. la semaine dernière, et 70 la semaine avant, sans doute à cause du voyage et des trimballements.
Mais elle se porte bien et a toujours ses joues roses. On sort tous les jours au soleil. Dimanche dernier il faisait chaud sur la plage, et nous y sommes restés longtemps.
Je vous remercie, chère maman, de faire des petites culottes, mais je ne voudrais pas que vous tricotiez trop longtemps, c'est fatigant.
Ce petit livre dont vous me parlez m'intéresserait certainement si vous pouvez vous le procurer facilement.
Marthe est-elle contente de son travail ? Est-elle prise toute la journée, et ces trajets en tram ne l'ennuient-ils pas trop ?
Je suppose que vous allez toutes les trois, demain, au mariage Collet. Amusez-vous bien. Marie-Louise a-t-elle dû compléter sa toilette ? C'est bien de l'ennui, juste pour quelques heures...
J'ai reçu hier une lettre de maman. Papa a un gros rhume, maman dort toujours mal et ils ont froid. Les radiateurs ne chauffent pas suffisamment. Maman me dit que la petite Martine (1) vient d'avoir une congestion pulmonaire et qu'on a cru la perdre. Pauvre chou. Et chacun me charge de vous remercier, de remercier le capitaine pour les bonnes dragées.
Henri n'a pas beaucoup à faire chez Michel. Je suis contente de ce changement, qui lui enlève du souci. Jusqu'à présent, il est venu déjeuner facilement, beau temps, pas de panne de vélo. Nous ne cherchons pas encore d'appartement, Henri est partisan d'attendre, d'autant plus que dans un mois environ, il aura 2 heures pour déjeuner. Si nous voulions un appartement à 3 000 F, on en trouverait tout de suite, mais il vaudrait mieux avoir un bout de jardin. Enfin, on verra.
Henri va le soir rue Smolett, après 4 h 1/2, pour quelques jours. La perte d'argent ne sera pas plus élevée que ce qu'il pensait, et il ne s'en soucie pas beaucoup, comptant rattraper cela en s'occupant le soir de 5 à 7.
Il pense faire la lanterne de Rat (2), une pour mes parents et un cadre de glace pour nous, puis aussi un lustre pour le Kozak, etc. Je vous en reparlerai.
En attendant, nous nous sommes, ou plutôt vous nous avez offert une superbe balance, chère maman, dont nous vous remercions très fort. Henri va arranger une caisse ou autre chose pour pouvoir peser la petite.
Ma chère Marthe, ta négresse a été encadrée artistiquement et pendue à côté de notre lit. Henri la regarde tous les soirs et souvent l'embrasse à m'en rendre jalouse. Que pensez-vous de cela, chère maman ? C'est très coupable, n'est-ce pas ?
Et maintenant, chère maman, que voilà Marthe fixée sur sa voie, pourquoi ne viendriez-vous pas à Nice auprès de votre petite-fille et jouir du beau soleil qui ferait du bien. Nous aimerions beaucoup à vous avoir. Et Henri pourrait aller vous attendre à Marseille un samedi soir et vous amener ici le lendemain pour moins vous fatiguer.
Nous comptons sur nos chères soeurs pour vous décider. Il ne faut pas toujours refuser, ce n'est pas gentil.
Bons baisers de nous trois à vous trois et à bientôt de bonnes nouvelles.
Jane"

(1) Fille de Jean et Henriette Jobert, cousine de Jane, née
(2) Paul Dumas

20 novembre 1928 : Une rare lettre d'André

"Ma chère Jumelle (1),
Je me suis bien déjà proposé quarante-cinq fois de répondre à ces cartes postales que tu as eu la gentillesse de faire s'égarer jusque sur ma montagne ; mais tu connais le refrain : j'aurais voulu en tous les cas activer davantage le complément de félicitations dont je pensais faire suivre ma carte de visite. Revenir maintenant sur ce souvenir d'un Jour mémorable où tu dotas la Famille d'une Héritière Universelle, d'une annexe inédite... etc. etc. me semble un peu trop démodé. Mais je dois me rattraper ailleurs car, dit la rumeur, cette fille mérite un compliment nouveau tous les jours, un attendrissement plus complet, une admiration plus convaincue, consciente et organisée et, sur parole, j'adhère à ces louanges et je grille de faire connaissance.
J'ai donc vu "Poupette" (!) hier à Montchat où j'ai fait une apparition ; par elle j'ai eu quelques détails sur votre installation, votre vie à trois, vos santés et votre traintrain quotidien.
Oui ma chère enfant, j'irai volontiers faire une virée à Nice ; je devrais bien penser à l'exiguïté de votre appartement et aux mille raisons qui devraient m'inspirer un peu de discrétion, mais je serai vraiment très très heureux de retourner à Nice que je retrouverai sans rancune ; tu penses aussi quelle fête pour moi de passer quelques
jours avec vous, de quitter ma solitude où j'appréhende déjà de rentrer au retour, quel bonheur inoui d'embrasser ma jumelle et ma nièce, de "faire enrager" Henri et de l'encombrer dans son atelier... voilà, voilà bien la question : il paraît que cette atelier est devenu tellement exigü que le plus minaud apprenti ne saurait s'y glisser ; il s'agirait tout d'abord de savoir si je peux me rendre utile ?
Que la Bourgeoise m'invite, c'est une gracieuseté délicate qui part d'un bon naturel, mais que le Patron m'embauche, c'est LA question. Et encore faut-il :
1° Qu'il me signe une garantie contre tous risques et principalement contre la chute possible des tuiles, les dangers du caramel, l'incompétence du Dr De Alberti, etc. etc...
2° Qu'il me fixe le moment préférable pour entrer en fonctions, soit : avant Noël de façon à passer la veillée ensemble et aplanir les montagnes de boulot qui pourraient être un obstacle à de longues vacances pour vous au 1er janvier, soit après le jour de l'An si l'on peut déjà former des projets à si lointaine échéance ; si je vais à Nice j'irai embrasser ma pâtissière et je me propagerai à l'Eldorado en espadrilles, je balancerai l'encrier sur les carreaux neufs de la mère Bruno, je ferai une sérénade à la môme Gorgonzöll, etc. etc...
Pendant ce temps-là mon commis fera la soupe aux boeufs et ira coucher chez sa mère qui, intentionnellement sans doute, est venue habiter dans le voisinage.
Il ne me reste plus qu'à t'envoyer les amitiés de mes petits lapins pour ma petite nièce, le bonjour de la mère Andrillat et de la mère Duchesne que ta grâce a conquises, une grosse provision de mon affection pour toi et mon frère de jadis. Pigalle, les Lilas, Blanche, Gioffredo, Tondrette de l'Escarène, Grâve et Pie Scoffier. D'ici un mois peut-être je prendrai le train. Quelle joie ! To be sure I'm enjoyed.
Andrew"



(1) André est né le 22 juin 1901 et Jane le 28 juin 1901

Novembre 1928 : Marthe est rentrée

"Mardi soir après dîner
Gentils soeur et frère,
Je pense qu'à cette heure-là habituellement je faisais la vaisselle, que Jane l'essuyait, qu'Henri faisait les 119 coups dans le cabinet ou ailleurs, qu'après j'allais chercher ma poupée dans son moïse, qu'elle était trop attendrissante avec toutes ses mines. Je pense à tout ce bonheur perdu, aux trois têtes blondes et brune qui sont beaucoup trop loin. Oui, j'ai été triste de partir. La vie !
Qu'a dit notre trésor du sevrage de nuit, n'a-t-elle pas trop pleuré et protesté ? et ses parents ont-ils pu dormir ?
J'ai vu Thérèse et Odette tout à l'heure qui sont partisans des tétées de nuit. Alors tu vois à peu près... En somme il faut faire au mieux pour l'enfant et les parents et selon ses idées...
Que pouvez-vous bien devenir sans votre Providence. Au moins à présent votre mobilier sera en sécurité et vous n'aurez plus à sursauter devant l'inconvenance de mon langage et de ma tenue.
Sans vouloir en convenir devant vous, j'ai cependant pris bonne note de vos observations et je fais des progrès admirables dans la voie de la perfection. Vos exemples, les saines idées que vous m'avez inspirées et aussi l'atmosphère respirée chez vous auront porté leurs fruits, soyez-en sûrs. Je me sens des envies de devenir meilleure, de vous ressembler, en un mot d'avoir le droit de me respecter, etc.
Donc j'ai fait un bon voyage, la côte était splendide comme toujours, c'est trop beau. Je n'avais point de jeune homme en face de moi, les ayant fui éperdument aussi ai-je pu dîner confortablement et digérer tranquille.
En arrivant figurez-vous que j'ai trouvé un brouillard, une humidité, mais j'ai aussi trouvé mes marraines qui m'attendaient patiemment malgré 20 minutes de retard. On s'est bien embrassé, on a bien parlé de vous, on vous aime. J'ai montré les photos qui ont été les bienvenues malgré tout, et maintenant nous espérons que vous nous enverrez la dernière bien réussie.
Maman et Marie-Louise se sont pâmées devant le merveilleux tapis si chatoyant. J'espère bien arriver à le finir avant le 1er janvier malgré les prédictions de mon cher frère. Les chaises doivent nous arriver demain et Maman vous remercie bien pour les chaises en attendant qu'elle les transforme en chaise à bébé comme tel est son projet.
Thérèse a été enchantée de sa jolie bavette, elle a dit qu'elle en manquait justement.
Une histoire : Constance attend un bébé elle aussi depuis trois ou quatre mois, et elle ne s'en doutait même pas se croyant affligée d'une tumeur ou autre maladie grave !!! Ces enfants !
As-tu pu avoir ta laveuse ? Soigne-toi bien Petite. A une autre fois.
Je vous embrasse bien fort tous les trois.
Marthe"

dimanche 6 juillet 2008

23 octobre 1928 : La tante d'Amérique

"Chère Jane, cher Henri,
Ca c'est une bonne nouvelle !
Nous sommes joliment contents pour tous les deux, car nous pensons que le pauvre père a souffert autant que la maman (moralement s'entend !), c'était ainsi avec Jean à chaque fois !
Bravo pour le courage de Jane et la beauté de la petite Suzanne, et merci de nous avoir écrit tout de suite ; nous étions anxieux de recevoir la nouvelle, et nous sommes ravis d'avoir une petite nièce. Croyez-moi, une fille vaut bien un garçon, et elle vous donnera sûrement beaucoup de joies. Comme je voudrais la connaître ! Est-elle blonde ou brune, est-elle sage la nuit ? Ne la gâtez pas trop surtout.
C'est une bonne idée d'acheter une voiture avec les dollars. Au moins achetez quelque chose de confortable, car nous supposons que dans ce pays idéal pour son climat, la jeune poupée va passer une partie de la journée dehors au bon soleil ! C'est a moitié de la santé pour un bébé. Pierrot passe de 4 à 5 heures par jour dehors et dort au soleil ; aussi sa frimousse est toute bronzée ! (...)
Donnez-nous quelquefois des nouvelles, elle seront welcome car nous pensons souvent à vous et vous aimons bien ! Un bon baiser des enfants à leur jeune cousine. Nous vous embrassons bien affectueusement.
Papa et maman doivent être ravis, ainsi que tous ceux d'Henri !
Comment sont les tétées de mademoiselle ? Est-ce à son goût ? Pierrot est sevré maintenant et s'en trouve très bien. Il commence à marcher à 4 pattes et à jouer avec les autres !
Un gros baiser encore de votre soeur d'Amérique.
Renée"

22 octobre 1928 : L'oncle et parrain écrit à sa nièce

"Ma chère petite nièce,
Je suppose que ta maman aura ouvert cette lettre et aura su traduire ce qu'elle contient, c'est à dire en tout premier lieu les souhaits de bienvenue en ce bas monde, que formule ton vieil oncle, mais il est bien probable que les oncles ne te servent pas encore beaucoup à te distraire et que le monde se résume en quelques objets palpables ou nettement visibles dans un rayon très court autour de ta chère petite personne. En tout cas, ce monde là est rempli de bonnes intentions pour toi, tandis que le grand... mais ce sera à toi de le dompter et de le captiver, je suis sûr que tu y réussiras à merveille si, comme je le suppose, tu es le portrait de ta maman, avec les quelques traits acceptables (au propre et au figuré) de ton papa.
Sais-tu que j'ai une triste excuse à saluer avec tant de retard ton entrée parmi nous, et que ce n'est que par une lettre de ta grand-mère que j'ai su la nouvelle huit jours après ? Il paraît que ton papa m'a écrit, mais sans doute pour aller plus vite, il a confié sa lettre à un grand oiseau - je m'arrête, puisque tu ne connais pas encore les petits oiseaux - et ce grand oiseau a brûlé en route. Il paraît encore que ton papa me demandait de te servir de parrain. Entre nous, tu tomberais bien mal, mais je te laisse le soin de décider. Et dans le cas où tu dirais ce premier "oui", tu me diras tout bas ce qu'il te manque pour être heureuse, et ce que tu veux que ton vieil oncle ait le bonheur d'offrir à la petite Dauphine pour proclamer toute sa joie d'être pour la première fois
l'Oncle François"

20 octobre 1928 : Un oncle et parrain tout neuf

Octobre 1928 : Quelques conseils de Tante Henriette

"Bravo, bravissimo ! Je ne vois pas en quoi la chaste Suzanne est un désastre pour la famille, mes chers amis ? Je vois auprès de moi de pauvres mamans de fils qui se lamentent... le latin, le calcul, et le foot-ball d'où l'on revient en petits morceaux, et les ressemelages de chaussures, et... des tas de choses enfin.
Mais non, ma chère Jane, Suzanne et Martine seront beaucoup plus faciles à façonner et, de nos jours, la femme a le droit de regarder un peu plus haut que le couvercle de sa lessiveuse.
Je te souhaite une petite personne aussi peu encombrante que sa cousine et s'élevant aussi aisément. Mais, soyez des parents aussi sans-coeur que nous ! Laissez g... la môme jusqu'à en devenir rouge comme une vulgaire petite tomate. 3 semaines de ce régime et l'enfant trouvera que le berceau vaut les bras de maman. Sans cela vous êtes perdu, mes amis. Et pas de tétée la nuit ! de 12 h à
7 h, rien. Dodo pour la mère et l'enfant.

Encore un conseil de la vieille tante, ma petite Jane, attends le 15ème jour pour te lever ; je suis sûre que la sage-femme sera de mon avis. Et le jour où tu te lèveras, serre-toi à bloc avant de mettre le pied par terre. Et porte une ceinture bien ferme ! La nuit, continue au moins pendant 6 semaines à te bander, à te boudiner ; c'est un peu ennuyeux, mais c'est aussi bien agréable de se retrouver svelte et jeune au lieu d'être une grosse mémère avachie.
Et puis, comme mendiante, vraiment, tu ne sais pas y faire. Une chemise ! Pauvre gosse sans liquette ! On te fera une chemise, mais on y joindra une bavette et un souvenir un peu plus durable.
Ici les santés sont bonnes, mais ce sont les bonnes qui ne sont pas en santé et je les f... à la porte samedi. On me recommande deux prétendues perles, je vais les essayer. J'ai à faire par dessus la tête avec Denise - solfège, piano, français - enfin tu sauras à ton tour le mal qu'on se donne pour "éduquer" ces demoiselles.
Nous vous embrassons de tout coeur.
Henriette Jobert"

jeudi 3 juillet 2008

14 octobre 1928 : Grand-mère maternelle

"Ma chère petite Jane,
Tu juges de notre émotion hier soir au reçu du télégramme d'Henri, et de notre joie en lisant l'heureuse nouvelle !!
Cette petite Suzanne sera bien accueillie par tous, et le petit Jean viendra plus tard!
Maintenant nous avons hâte d'avoir quelques détails sur l'évènement qui s'est produit plus tôt que vous ne le pensiez, ce qui n'en est que préférable et vous a évité la pénible attente !
Nous espérons donc que tout s'est passé pour le mieux, sans trop de souffrances et tout naturellement, sans doute hier matin.
Marthe aura-t-elle pu partir de suite au reçu de la dépêche ? Nous l'espérons aussi et elle est sans doute avec vous aujourd'hui. Ce pauvre Henri a dû être un peu affolé de se trouver seul en un tel moment, et nous le remercions beaucoup de nous avoir vite prévenus.
Papa écrit aujourd'hui au Crédit Lyonnais pour qu'il fasse créditer 1 000 F à Nice au compte d'Henri, à l'occasion de la naissance.
Nous attendons ce soir les Rosenthal qui sont rentrés seulement depuis quelques jours, bien tristes et bien fatiguées, elles seront heureuses d'apprendre la venue du cher bébé, de même que grand-mère avec qui je dois aller demain chez Suzanne Gayet, et les Jobert à qui j'ai écrit. Je préviendrai également Jo comme elle l'a demandé.
Reçu hier enfin une grande lettre de Jules, tout va bien chez eux et ils doivent envoyer leur photo à toute la famille ! (...)
Mais je m'attarde à bavarder, ma chérie, et je veux te laisser reposer, car tu dois être certainement fatiguée par la montée du lait, et encore une fois, nous attendons impatiemment des détails sur toutes ces choses qui nous préoccupent et nous intéressent !
J'ai tant de regret et de peine de ne pas être auprès de toi en ce moment !
Mille choses affectueuses à ta chère belle-soeur que je remercie tant d'avoir bien voulu me remplacer.
Pour ton cher Henri et pour toi, sans oublier la toute-petite, les baisers les plus nombreux et les plus tendres de vos parents qui vous aiment beaucoup.
A. Beauser

Ce nom de Suzanne nous plaît beaucoup, toutes nos félicitations pour l'heureuse idée.
J'ai écrit hier soir à Renée et lui ai annoncé la nouvelle."

14 octobre 1928 : Grand-mère pour la première fois

"Mes chers enfants,
Que nous sommes heureux de la bonne nouvelle ! Nous voudrions contempler le cher trio, et nous envions Marthe. Un peu de patience et cela viendra bien, mais en attendant donnez-nous vite des nouvelles. Combien nous avons regretté que Marthe ne soit pas partie plus tôt, car vous avez pu vous trouver un peu dans l'embarras au premier moment. Enfin, elle est partie au plus vite, et je la vois maintenant, affairée, joyeuse, interloquée de toute sa responsabilité et contenant avec peine ses transports de tendresse pour cette gentille petite Suzanne qui a devancé son frère mais qui est si bienvenue quand même. Marthe est partie sans savoir la naissance et émue comme nous en attendant la nouvelle.
M. Louise est très heureuse d'avoir une filleule et croit déjà la voir dans ses bras. Et les trois grand'mères, on ne parle pas de leur joie ! (1)
J'espère ma petite Jane que tout va bien, que vous êtes plus contente que vendredi, que le souvenir des souffrances s'efface vite devant ces joies nouvelles si profondes.
Et mon Henri, est-il heureux ? délivré du souci des jours derniers et possesseur d'une belle enfant. Que de soins et de projets en perspective ! Je vois tout cela de loin et vis de vos sentiments.
Henri et Marthe vont vite nous écrire afin que nous soyons encore plus avec vous. En attendant, mille tendresses à vous quatre et nos souhaits de chaque instant.
Maman"

(1) Trois, en comptant la grand-mère de Jane.

13 octobre 1928 : C'est une fille !

mercredi 2 juillet 2008

En attendant le grand évènement de 1928...

Quelques lettres maternelles et sororelles... (sans oublier la sage-femme)
Appréciez et admirez les différents styles, et la ponctuation ! (J'ai quand même ajouté quelques virgules de confort à la lettre de Marthe).
La prochaine fois, vous aurez les détails officiels et de première main de la naissance, et les réactions du public enthousiaste.

10 octobre 1928 : Marthe est prête à partir

"Chère Janotte,
Heureusement qu'il y a encore des gens honnêtes sur la terre qui sont assez bons pour faire parvenir à destination les lettres que certaine jeune dame étourdie laisse tomber à terre. La photo n'est donc pas perdue et ils sont bien jolis ces petits. Je consens volontiers à avoir une nièce si elle est aussi ravissante que la tienne. Quant au tout petit on lui donnerait au moins 1 an.
Je voudrais que le nôtre ait déjà 1 jour, qu'il ouvre les yeux, qu'il sache parler, qu'il soit tout blond. Que c'est long la vie.
Alors voilà, j'arrive au commencement de la semaine prochaine s'il n'y a rien de nouveau. Et j'attends ta prochaine lettre pour fixer un jour.
Je suis touchée aux larmes de la peine que prend mon tendre frère pour me faire un moïse. Il n'y avait pas besoin de tant de ressorts, je suis rembourrée.
Pour le parrainage nous avons pensé que vous devriez tout simplement prendre notre Kozak qui serait très fier certainement. Il faut bien que cela lui arrive une fois d'être parrain dans la famille, pourquoi pas pour le premier-né ? Henri n'a qu'à lui écrire pour lui expliquer. Je me demande si Pierrot serait enchanté. Enfin je n'en sais rien, tout cela dépend du point de vue où l'on se place, de l'importance qu'on y attache et de l'idée qu'on s'en fait. Vous êtes renseignés, je pense.
Nous sommes donc très bien rentrées, la maison était dans un état déplorable, mais on ne s'est pas frappé étant donné que chaque année pareille chose se reproduit - et on en meurt pas (sic). Mais Marie-François qui était là tout à l'heure veut à tout prix nous envoyer sa femme de ménage pour nous aider à cirer. Nous avons retrouvé tous nos Dumas et tout à l'heure nous étions seize dans notre salle à manger. Il y avait aussi Hélène et Jean rentrés de Besançon. Tu n'as pas idée du vacarme que tout ce monde faisait. On a eu une minute de silence pourtant au moment du goûter mais ç'a été le seul répit. T'en fais pas le petit Jean pourra crier ça n'égalera jamais les six petits Dumas Biass Giroud fermés dans une pièce avec leurs parents et Marie-François. Ces dames m'ont donné pour toi leurs petits ouvrages. Il n'y a que nous qui ne faisons rien. C'est honteux.
Suzanne M. attend un gosse. Vive la France.
A bientôt de vive voix le complément et les détails et surtout le plaisir de te serrer dans mes bras et ton loup aussi. Quant au petit Jean, je l'étouffe.
Marthe

Adresse de Kozak : Cne Reignier, chef de la Brigade Géodésique de Ouezzan. Ouezzan (prière de faire suivre)
Bonjour et tendresses de
Colombe"

Septembre 1928 : Préparatifs






"Madame,
Je vous remercie pour les bons et bien sincères voeux que vous formez pour mon complet rétablissement.
Je suis beaucoup mieux depuis hier et peu à peu je vais reprendre mes occupations. J'ai fait deux visites aujourd'hui et journellement je vais progresser et j'espère venir vendredi vers 10 h 1/2 vous visiter.
Préparez-moi une brosse à ongles, savon et un tube de vaseline ordinaire.
Nous ferons ensuite une liste de pharmacie et les objets nécessaires pour cet heureux évènement.
En attendant de vous voir croyez, chère Madame, à mes sentiments dévoués.
M. Vahl"