mardi 30 septembre 2008

Avril 1931 : Péripéties et déménagement

"Ma chère petite Jane,
Je ne veux pas attendre davantage pour te dire combien ta longue lettre nous a fait plaisir, et pour vous rassurer sur le sort de papa. La Banque n'a pas fermé du tout, on a seulement procédé à une perquisition pour tâcher de trouver une corrélation entre le journal "Forces" et la Banque de l'Union Publique. On cherchait surtout le fameux document volé au ministre Flandrin, et on a fait ouvrir tous les coffres, emporté un tas de dossiers et mis les scellés. Papa a dû assister à cette opération à la place du directeur qui a eu une altercation avec le commissaire de police. Bref, tout cela s'est assez bien terminé, mais on se demande combien de temps la Banque pourra continuer, car c'est un gaspillage épouvantable ! Enfin, inutile de s'en faire...
Pour le moment, papa est au lit par mesure de précaution, ayant eu une petite alerte hier matin. La potion et les ventouses ont l'air d'agir, et j'espère que d'ici 2 jours il pourra retourner au bureau.
Il nous arrive un bonheur inespéré : Mme Wavrinck vient de nous faire avoir un appartement qu'elle habite à Saint Mandé, où son amie Mme Ehret est propriétaire. Nous l'avons visité samedi avec papa, et l'affaire est conclue. 3 jolies pièces au 3ème sur la place de la Mairie, à côté de l'entrée du bois de Vincennes et en face de la gare, à 1/4 d'heure à pied du métro de Vincennes, et l'année prochaine, il y aura une station à 5 minutes. Comme prix 2 300 F net.
Les deux pièces principales communiquent entre elles et se chauffent parfaitement bien avec une salamandre. Mme W. habite au 1er ; aussi tu te rends compte de notre joie à toutes deux !! Nous déménagerons sans doute en septembre.
Tu nous demande ce que nous pensons de vos projets de vacances. Nous ne connaissons pas la Drôme, mais savons seulement que c'est une région très ventée ; quant à l'Ardèche, nous connaissons Annonay ; il y a des endroits montagneux comme la Louanne (?) avec des bois de sapins, et les étés doivent y être très chauds lorsqu'il fait beau.
Pour vous et les François R., ce serait bien, étant plus près de Nice et de Nîmes, mais pour nous, pour papa surtout qui n'a que 15 jours, ce serait un voyage bien long et bien fatigant, encore pire que Bessenay qui était déjà suffisamment compliqué.
Mais le mieux est de prendre ce que vous trouvez et dans la région qui vous conviendra à tous, sans vous inquiéter de nous, car il se peut qu'à ce moment-là, papa ait malheureusement un congé... définitif, et alors le voyage vaudrait la peine.
Sinon, nous irions plus près de Paris et on s'arrangerait pour se voir autrement l'hiver prochain. Si nous voyons le capitaine et sa femme, nous pourrons causer de tout cela.
Nous avions sur par Mme Dumas l'accident d'auto arrivé au fils Mouterde. Quelle émotion vous avez dû avoir, mes enfants, et c'est bien triste pour ce pauvre cycliste, dans les conditions où il se trouvait, avec son enfant mourant.
Mme Reignier et ses filles doivent se réjouir à l'idée d'avoir Suzie en juin, et pour toi, ce sera un peu de répit pendant qq. temps. Quel malheur que Paris soit si loin et qu'on ne puisse avoir ces chers petits à tour de rôle. (...)
Je vais voir Renée demain à la Providence et lui apprendrai la nouvelle au sujet de l'appt. Elle va être bien surprise !
Henriette et Denis ont dû rentrer samedi de Bandol.
Mille gros baisers à tous les 4, mes bien chers enfants, et à toi, ma chérie, toutes nos meilleures tendresses.
A. Beauser"

Si quelqu'un a des lumières sur cet incident concernant la Banque, elles sont bienvenues.

lundi 29 septembre 2008

29 mars 1932 : Toute une histoire

"Chère Maman,
Je voulais vous répondre plus tôt, et le temps m'a manqué pour cela, à cause de ces trois jours de fête surtout. Drôles de fêtes, ma foi... Samedi, comme nous revenions de Monte-Carlo, avec les Joseph (1), et qu'ils nous raccompagnaient chez nous, le pauvre Joseph a heurté un cycliste qui débouchait de l'esplanade du Paillon alors que nous longions le quai. Le malheureux ne nous vit pas, ou trop tard, l'endroit étant mal éclairé, et il roula à terre, se faisant une fracture au crâne. Nous descendîmes immédiatement de voiture, et Joseph et Henri transportèrent le blessé à l'hôpital où son état fut jugé très grave. Vous devez comprendre notre affolement.
Je rentrai avec Suzanne et tous les enfants Bd Tzarewitch où les hommes virent nous rejoindre une heure plus tard, ayant dû se rendre au commissariat de police. Marcel Mouterde était absent pour deux jours, mais son ancien patron, Me Pascallis, se rendit chez le commissaire pour répondre de l'honorabilité de Joseph. A cause de cela, à cause aussi de la fonction qu'il occupe à Paray, on le laissa rentrer chez lui.
Dimanche, comme ils insistaient pour que nous déjeunions avec eux avec André, nous avons passé la journée ensemble. Joseph est rudement ennuyé de cet accident. Les pauvres n'avaient pas besoin de cela encore (2).
Enfin, heureusement, depuis hier, le cycliste (Minelli, un Italien) va mieux. Il parle un peu, mais ne se souvient pas du tout de ce qui lui est arrivé. Figurez vous que, lorsque l'accident lui est arrivé, il se rendait à l'hôpital pour donner un peu de son sang à sa petite fille, âgée de 6 mois, qui était malade. (L'enfant est morte aujourd'hui).
Henri et Joseph se sont rendus hier soir au domicile de ces pauvres gens qui est tout près de l'usine Michel. Là, ils ne trouvèrent pas la jeune femme, mais des voisins leur dirent qu'elle venait d'être opérée de l'appendicite depuis peu de temps, et que l'enfant était malade pour avoir avalé quelque chose... je ne sais pas quoi, placé à sa portée. Minelli, absorbé par ses tristes pensées, distrait sans doute, se serait peut-être jeté sur la voiture sans regarder ailleurs que devant lui.
Tout cela n'est pas gai. Ce qu'on demande surtout, c'est la vie de cet homme, afin que la conscience de Joseph soit déchargée et qu'il ne fasse pas de prison (8 jours seulement, pense-t-il). Ils restent donc encore au moins une semaine, si tout va bien, car ce n'est que vendredi ou samedi qu'on saura si Minelli est hors d'affaire, et il doit y avoir confrontation des témoins et je crois reconstitution de l'accident afin d'établir les responsabilités. Marcel Mouterde est très gentil pour Joseph. Il est allé le voir dimanche à son retour, et fait ce qu'il peut pour lui rendre service.
Maintenant, si nous changions de sujet. Nous pensons bien à vous tous, à Monique dont nous attendons bientôt des nouvelles et que nous regrettons de ne pas voir. François doit être un heureux papa. Quand repartent-ils pour Chaville ?
Ce sera un grand vide pour vous, mais André nous a dit son intention d'aller à Lyon les 1ers jours d'avril, et nous avons pensé à lui confier Suzie qu'il vous laisserait pendant son séjour et ramènerait. La gosse ne parle plus que de ça, qu'elle va aller voir "marraine", sa marraine dont elle parle si souvent, et grand-mère et tante Marthe aussi.
Je vous préviens qu'elle est bien embêtante, elle fait toujours des grimaces pour manger seule ou pour ne pas boutonner sa culotte... (Le matin, elle prend une soupe de petites pâtes au lait, ou bien de vermicelle ou de semoule).
Janot va bien. Toujours pas bien faim, par exemple. J'avais commencé les bouillies à la cuiller, mais il recrachait presque tout, aussi y ai-je renoncé pour le moment. Il prend assez bien son lait et la Blédine au biberon, je continue ce régime jusqu'à ce que l'appétit revienne. Ces maudites dents le tracassent. En ce moment, il a les deux incisives inférieures et une canine supérieure (n'est-ce pas bizarre ?). Une incisive supérieure se devine. (...)
J'ai des excuses à faire à Marthe. J'ai envoyé à Constance la paire de petits souliers qu'elle avait donnée à son filleul et qui se trouvaient malheureusement trop petits. Nous espérons que le bébé va bien maintenant.
Que font de beau nos soeurs ?
J'attends des nouvelles de Paris. Les dernières étaient bonnes. Maman me disaient qu'ils viendraient avec nous en vacances tous les deux, et qu'ils aimeraient, si possible, avoir une chambre dans notre maison. Quant aux Grethen, ils forment le projet d'aller à la mer, mais ne savent pas encore bien ce qu'ils feront.
Avec Henri, nous cherchons de quel côté on pourrait bien aller cette année. Avez-vous quelque idée ? Peut-être n'est-ce pas trop tôt pour y penser.
Au revoir, chères marraines, il est tard, nos yeux se ferment, nous n'avons plus que la force de vous embrasser tous les cinq bien tendrement.
Le quatuor
Janot, Suzie, Jane, Henriette"

(1) Joseph Mouterde, cousin du côté de Marie (Collet)
(2) Suzanne et Joseph Mouterde venaient de perdre un petit garçon nommé André, âgé de quatre ans.

mercredi 24 septembre 2008

23 janvier 1932 : Mauvaises nouvelles de M. Louise

"Mon cher Henri,
C'est tout de suite que j'aurais voulu répondre à ta bonne lettre et te dire : "Viens chercher M. Louise", mais quoiqu'un peu mieux sous le rapport du sommeil, elle passe encore des moments pénibles et ne se sent pas bien solide pour un si grand voyage. Les paroles encourageantes lui sont cependant bien sensibles et elle souffre de laisser croire peut-être qu'elle y est indifférente, mais non, tu la connais assez pour savoir qu'elle serait heureuse de passer quelques semaines près de vous, de voir qu'elle peut aider à Jane et de jouir de ces deux petits qu'elle aime comme s'ils étaient siens ; seulement elle a peur d'être malade, de laisser tant de kilomètres entre nous. Elle redoute de sortir seule, de rester seule à la maison pendant qu'elle voudrait faire sortir Jane.
Cet état d'angoisses est pénible plus qu'on ne saurait croire. Elle se sent entravée pour vous dire : "Je pars", et aller de l'avant tandis qu'elle en a bien envie. Ces angoisses sont bien connues et peuvent se guérir, en ayant le genre de vie qu'elle souhaite depuis si longtemps et qui amènerait la paix, en dépit des contrariétés qui se rencontrent dans toutes vocations. Tous ces retards à trouver une situation aimée l'éprouvent et amoindrissent des richesses tenues en réserve. Il lui faudrait être fixée par l'intérêt d'une chose à diriger où elle emploierait ses forces, ses facultés, ses initiatives, et c'est avant tout une famille à élever qui serait l'oeuvre intéressante. A défaut il y a sans doute des choses captivantes mais qui ne l'attirent pas autant. Satisfaite dans ses goûts et malgré bien des labeurs peut-être, ses malaises s'en iraient progressivement. Vous comprenez bien cela tous les deux mais comme ces choses peuvent paraître bizarres à beaucoup de personnes, je vous demande avec instance de les garder pour vous seuls.
Maintenant je ne peux pas vous dire absolument que M. Louise ne se trouvera pas un jour prochain en meilleures conditions pour aller vous rejoindre, mais alors nous vous avertirions peu d'avance. Et je pense, d'autre part si Melle J. rencontrait ce compagnon de choix que nous désirons, ce serait peut-être aussi le signal du voyage et d'un petit séjour près de vous.
Pour les autres projets, il doivent ce me semble se greffer sur celui-ci. Tu connais mon désir d'être près du plus grand nombre de mes enfants, mais ce sont les plus éprouvés qui attirent le plus et demandent le plus de soutien.
L'annonce que nous avons faite pour la maison n'a amené que deux personnes qui trouvent le prix trop élevé. On pourra renouveler l'avis 2 ou 3 fois ou bien chercher à louer le tout, mais alors on manquerait l'un des buts qui est d'éviter des frais de transmission pour plus tard.
Toutes ces incertitudes sur des sujets importants nous pèsent beaucoup. Il n'y a que le Bon Dieu qui puisse nous tirer de ces impasses, car nos essais ont bien souvent échoué et nos moyens sont faibles, mais je demeure confiante en la Providence et vous demande de prier un peu avec nous pour que nous soyons fortes.
Je vois sous un beau soleil la villa familiale de tes rêves et me demande si nous en sommes près ? En attendant, nous sommes bien rapprochés dans l'union de nos coeurs.
Nous attendons les photos annoncées et nous en réjouissons à l'avance. Jean aura bien prospéré et Suzie bien drôle (sic). Je voudrais bien entendre tout ce qu'elle dit et causer avec elle. Je parie qu'elle attend sa grand-mère pour ne plus oublier la lettre E. J'aimerais tant à lui enseigner quelques choses, comme je le faisais avec vous. C'est un vieux rêve qui reparaît.
J'espère que Jane va bien et reprend toutes ses forces en étant dehors davantage et en voyant pousser de si beaux enfants.
Je suis contente des détails que tu me donnes sur André ainsi que de son bel entrain et de son état de santé.
J'ai pu aller cours Lafayette dimanche jour de baptême : François est venu nous prendre en auto et Albert nous a ramenées. Le père Rivet était venu et nous étions aussi nombreux qu'ici le 2 janvier. Rien de nouveau pour Constance.
Mille tendresses mes chers enfants et petits-enfants pour moi et vos soeurs.
Maman"

10 décembre 1931 : Le magasin de Colombe

"Ma chère Jane,
Nous avons été bien contentes de recevoir des nouvelles une fois de plus, mais ennuyées en même temps d'apprendre le mal de doigt d'Henri. Espérons que cela va mieux à l'heure qu'il est et que les remèdes qu'on lui a donnés font bon effet. Cela nous fera plaisir d'apprendre que tout est remis dans l'ordre.
De loin nous avons bien pensé à la séance de vaccination de Suzy et compati aux frayeurs de cette pauvre chatte. Il est probable que les deux autres piqûres ne la fatigueront pas davantage que cette fois-ci mais tu dois appréhender ces moments. C'est ennuyeux que cela se fasse en plusieurs fois.
Enfin quand ce sera fini vous serez tranquilles, cette vilaine maladie fait tellement peur.
Alors ma petite Suzy me sert de représentant avec son manteau de laine, et Madame l'Epicière en voudrait un du même magasin. Tu peux lui dire que le magasin est consentant et qu'il se conformera à la qualité de laine et aux mesures envoyées (lesquelles il espère exactes). Comme prix il ne croit pas exagéré de demander 75 F étant donné qu'il aura bien de 30 à 35 F de laine.
Pourrais-tu regarder discrètement les bras du modèle et en évaluer approximativement le tour. S'ils sont au dessus de la moyenne il me faudrait faire les manches plus larges tu comprends.
Cette bonne dame veut-elle un col droit comme celui du manteau de Suzy ou la simple bande qui se fait couramment comme ça (là, un petit dessin). Tu seras bien gentille de me le dire, si elle poursuit son idée.
Oui ce sera gentil de pouvoir choisir vos locataires et ce serait parfait que vous ayez quelqu'un des parisiens, seulement le reste du temps où ils ne l'occuperont pas tu seras encore bien seule.
Autour de nous nous ne voyons guère de qui cela pourrait faire l'affaire mais nous en parlerons quand même à moins que vous n'ayez déjà conclu quelque chose.
François Mouterde et André V. sont venus ce matin revoir la maison dans les détails. On fera une annonce de vente après le jour de l'an, moment plus propice disent-ils, mais ils pensent toujours que ce ne sera pas des plus commodes, les acquéreurs étant plutôt rares depuis "la crise". Enfin il n'en faut qu'une.
En attendant, on va chercher à louer meublé l'en-bas soit en partie soit en totalité, et au mois pour être plus libres. Cela fera peut-être l'affaire de quelques étudiantes en médecine ou en pharmacie. André V. doit aller voir dans deux maisons qui groupent ces dites jouvencelles et Marthe et moi allons nous occuper d'aménager les lieux.
En ce moment nous rangeons et déblayons la cave, ce qui n'est pas une mince affaire. Après ce sera le tour du grenier.
Nous n'avons pas de nouvelles de Nîmes depuis notre retour. Je pense que cela ne tardera pas car nous sommes impatientes de savoir ce que devient cette petite Kozakine et si Germaine a pu rentrer le 8 comme elle pensait.
Nous aimerions bien entendre la chanson de Janot au soleil. Ça doit être joli joli. Embrasse-le bien fort pour nous ainsi que notre chère Suzy. Pour toi et Henri toutes nos tendresses.
Tante Colombe

Merci mon cher Henri de tes deux bonnes lignes. Je lis d'affectueuses choses au travers. Guéris vite cet abcès qui me fait souffrir aussi et ne néglige aucun moyen pour en avoir vite et en plein raison.
Tendres amitiés à vous tous mes quatre bien aimés.
Maman"

samedi 20 septembre 2008

24 novembre 1931 : Et une triste...

"Ma chère petite Jane,
Tu avais dû savoir par T. Angèle la grave maladie de Martine (1). La pauvre chérie a été enterrée ce matin ! Elle est morte samedi soir après 8 jours de souffrances : méningite, pneumonie infectieuse, abcès au poumon, etc. ; on a tout tenté pour la sauver, mais hélas, l'infection était générale et il n'y avait aucun espoir. La douleur de ses pauvres parents est navrante, et Gd'mère est bien chagrine aussi mais ne l'ayant pas vue malade et l'oncle Jean n'ayant pas voulu qu'elle assiste à l'enterrement, elle a supporté ce coup beaucoup mieux que je ne le pensais.
Renée et Jean ont été très affectés et n'ont presque pas quitté la chère petite une fois morte. On n'enverra des faire-part que d'ici quelques jours, il y avait donc relativement peu de monde aux obsèques qui étaient très simples, à N. D. des Champs où le corps avait été ramené de la clinique la veille. Renée m'a emmenée déjeuner à Boulogne et je rentre à l'instant de la Providence. Mille choses affectueuses pour vous de tous !
Nous avons passé une semaine bien angoissante et bien triste et j'attendais un changement quelconque pour vous prévenir. Ta bonne lettre nous a fait un grand plaisir, mon Janot, car nous te savons tranquille maintenant sur ton état et délivrée de ce cauchemar (2).
Tante Angèle m'écrit qu'elle vous a trouvés en excellente santé et les enfants superbes. Peut-être y a-t-il du nouveau à Nîmes ? C'est même probable, et Henri va sans doute bientôt remplir ses fonctions de parrain. Tes belles-soeurs font bien de profiter de cette occasion qui les distraira un peu. (...)
Ci-joint une recette très bonne paraît-il contre la chute des cheveux ; elle est en usage à l'hôpital St-Louis. Il n'y a qu'à la faire préparer par un pharmacien. (...)
Merci pour le patron de Janot. Je vais lui faire une paire de chaussettes sans talon, comme me l'a conseillé O. Dumas, il paraît que c'est très pratique jusqu'à 1 an. S'il a besoin d'autre chose en lainage, lui ou Suzie, tu me le diras ; de même que le jouet qui pourrait faire le plus de plaisir à Suzie pour son Noël, cela me rendrait gd service d'être fixée.
Je termine, mes chers enfants, en vous embrassant tous les 4 bien affectueusement pour nous tous. Encore de grosses caresses à nos chéris, et pour vous deux, nos meilleures tendresses.
A. Beauser"


(1) Martine Jobert, fille de Jean et Henriette Jobert, nièce d'Anna, cousine de Jane, soeur de Denise. Elle avait 4 ans.

(2) Nous ne saurons pas exactement de quoi a souffert Jane : fausse-couche compliquée, grossesse extra-utérine... ?

24 novembre 1931 : Une heureuse nouvelle


Vous noterez l'adresse...

samedi 13 septembre 2008

Fin septembre 1931 : Inquiétudes pour Jane

"Ma chère petite Jane,
Tu dois penser si nous avions hâte de recevoir de tes nouvelles, ayant appris mardi par Odette Dumas que tu étais souffrante et que Marthe était partie pour te soigner et s'occuper des enfants ! Nous étions donc bien tourmentés, et ta lettre reçue hier augmente encore nos inquiétudes, quoique tu sois sur pied maintenant, mais ces suites de fausse-couche sont quelquefois mauvaises si l'on a un excès de fatigue et de surmenage comme c'est ton cas !
En tout cas, Dieu veuille que ce soit bien une fausse-couche, car une 3ème naissance aussi rapprochée de la seconde serait vraiment déplorable pour vous à l'heure actuelle ! L'essentiel surtout est que ta santé n'en souffre pas, et nous attendrons avec anxiété le résultat de ta prochaine visite au Dr !
Quel ennui que ce voyage précipité pour la pauvre Marthe, et quelles complications à Montchat pendant son absence !
Plus que jamais je déplore notre éloignement et de n'être bonne à rien, quand je voudrais tant te rendre quelques services dans les moments difficiles et m'occuper des chers petits.
Enfin espérons que tout s'arrangera et que ta prochaine lettre nous tranquillisera complètement.
Vous avez dû en effet, passer une bonne journée dimanche tous réunis avec François, et nous sommes contents qu'il ait fait cadeau à Suzie d'un aussi joli manteau bleu qui doit lui aller à merveille. Le pauvre doit être navré de ne pouvoir assister à la naissance de son enfant ! (...)
Je suis allée hier à l'Exposition avec Mme Fournier qui me pilote connaissant tout à fond, et se trouve heureuse de n'être pas seule.
Papa ne va pas mal malgré un travail fou qui l'oblige à rentrer le soir à des heures impossibles pour dîner. Il se joint à moi ainsi que Gd'Mère pour vous embrasser tous les 4 bien affectueusement.
Encore de bonnes caresses à nos deux petits, ma chérie, et toute la tendresse de vos parents qui vous aiment beaucoup.
A. Beauser"

13 septembre 1931 : Des projets pour Marie-Louise

"Mon cher Henri,
C'est moi qui prends la plume car François est plongé dans des calculs lui laissant les méninges en eau à la fin de la journée et une furieuse envie de dormir, le pauvre.
Nous avons bien étudié votre lettre et mûrement réfléchi puisque vous voyez que la réponse a un peu tardé à venir.
I. Il importe de marier Marie-Louise. Il y a longtemps que c'est notre avis et que nous y avons pensé. A Pâques, voyant tante M. Vulliod chez elle, nous lui en avions parlé ; réponse : "J'y songe, mais qu'elle se rétablisse et n'aie plus cet extérieur si fragile". Vous dites que son séjour à la campagne lui a fait du bien, c'est donc pour le mieux. Que les marraines se tranquillisent donc, personne ne trouve drôle que M. Louise ait envie de se marier, la meilleur preuve c'est que cet hiver même Anaïs avait sans le dire parlé d'elle à quelqu'un. Malheureusement, le "quelqu'un" a reculé car M. Louise à ce moment-là n'avait pas l'air bien solide. Dans notre entourage, je ne vois personne pour le moment, mais je vais en parler aux personnes que je connais ou que Maman connaît. Maintenant, Marie-Louise consentirait-elle à quitter Lyon ? Si non, cela restreindra forcément notre champ d'action.
II. Déterminer le chiffre de leur dot, c'est je pense comme vous le point capital si l'on veut parler sérieusement mariage. Au point de vue d'un partage, vous connaissez n'est-ce pas les idées de François quant à ses soeurs, et ce n'est pas parce qu'il est marié maintenant qu'elles ont changé, et je dois vous dire que je partage pleinement ses idées.
III. Question vente de Montchat : Il faudrait avant d'arracher notre mère à tous ses souvenirs, lui avoir trouvé un gîte stable qui lui plaise. Je vous avoue qu'à son âge, étant donné son fragile état de santé, ce serait une folie d'aller ainsi ballottée de l'un chez l'autre. Nous ne comprenons pas bien après la vente de Montchat l'achat de 2 maisons. Cela fait doubles frais, double impôt. Quant à vendre Montchat le plus tôt possible, c'est évidemment le mieux, car plus ça va plus la maison s'abîme et un jour viendra où les réparations coûteuses seront urgentes, mais encore une fois, pour ce faire, il faut que nos marraines soient fixées, installées q. q. part.
Tous ces décisions pourraient comme vous le dites être mises au point cet hiver et lorsque François reviendrait d'Algérie, on passerait aux actes. Vous savez seulement qu'avec Mère et M. Louise il ne faut pas trop brusquer les choses sous peine de leur faire beaucoup de mal.
J'espère que vous avez fait bon voyage, sans trop de fatigues pour Jane. Nous n'avons pas reçu de nouvelles des Marraines depuis votre départ, espérons que cette séparation n'aura pas eu une trop grand répercussion sur Marie-Louise. A mon passage à Lyon le mois prochain j'espère pouvoir la décider à nous accompagner à Nîmes, ce qui ferait une petite diversion et lui changerait peut-être heureusement les idées.
Je vous quitte, mon cher Henri, pensant que vous n'aurez pas trop de peine à me lire car j'écris bien mal et vous embrasse tous quatre très affectueusement.
Germaine
PS : Suzy aurait-elle besoin d'un vêtement d'hiver que Jane serait contente de lui voir et que son Parrain pourrait lui envoyer, avançant un peu le jour de l'an.

Mon vieux Gonghi,
Ma chère secrétaire intime t'a dit tout ce que nous pensions des questions que tu soulèves. J'ajoute que j'ai maintenant l'intention arrêtée d'aller vous voir en octobre au cours de ma perm à Nîmes et que nous pourrons encore bavarder de toutes choses ; je pense que tu ferais bien de cigogner André pour qu'au moment où je viendrai tout soit bien arrêté entre nous. Puis j'irai ensuite à Montchat et pourrais encore tâter les Marraines, voir passer aux actes.
Nous passons une semaine à St Claude, où je mets au net mes calculs avant de passer la main au successeur : car la guerre est finie pour moi, j'ai eu la vie très dure ces temps-ci avec le mauvais temps. (... illisible)
Mon vieux frère, je vous embrasse tous bien affectueusement.
François"

mardi 9 septembre 2008

11 août 1931 : Plus que trois jours !

"Mon petit Henri,
Voilà ma dernière lettre. J'espère en avoir une de toi demain, avec des détails sur ton voyage en Italie. Je crains que tu aies eu la pluie là-bas, car André, qui écrit, dit qu'il pleuvait dimanche. Ce serait dommage.
Soigne-toi bien, pendant ces derniers jours. Je les compte, plus que trois, et tu viendras te reposer en famille. Tu dois en avoir bien besoin, surtout si la chaleur continue à Nice. Ici, le temps est assez maussade, et on a presque froid depuis deux jours. C'est navrant, et on se croirait presque en septembre.
Les marraines vont bien, Suzie et Janot aussi. Son eczéma disparaît, aussi vais-je supprimer le lavement du matin à l'eau salée. Peut-être l'ai-je continué trop longtemps, je ne sais pas. En tout cas, le petit n'a grossi que de 125 grammes en 15 jours. Il se peut qu'il y ait une différence de balances. Mais comme il a eu très peu d'appétit pendant les 8 premiers jours, ce n'est pas très étonnant, et je pense que c'est plutôt à la fin de son séjour que le bien se fera sentir. Il a bonne mine et est très éveillé et gracieux.
J'ai donné les cadres à papa, et il me charge de t'en remercier chaudement en attendant de le faire lui-même.
Pas grand'chose de nouveau à t'apprendre. J'ai sommeil. Je me lève bien 2 ou 3 fois par nuit, tantôt pour l'un, tantôt pour l'autre de nos enfants. C'est une vraie nichée que nous avons maintenant, et ça occupe.
Jules a écrit à mes parents, ce matin, disant qu'il est au bord de la mer, dans un restaurant pour la saison, et qu'il est sans nouvelles de Juliette depuis longtemps, ce qui le préoccupe fort et l'attriste même beaucoup. Sa lettre est assez navrante...
Voudrais-tu m'apporter quelques couches, surtout les 2 ou 3 triangles en éponge, un biberon Robert avec son capuchon, et ton linge sale, et tu seras le plus obéissant des maris.
N'oublie pas non plus la petite boîte de chapeaux pour un certain monsieur. Il faut bien qu'il ait des vacances aussi...
Au revoir, mon brave homme, je t'aime bien. Je te souhaite un bon voyage, et de dormir dans le train.
Les marraines et ma famille t'embrassent bien. Jacques me disait l'autre jour : "Et Henri, quand est-ce qu'il vient ?" Tu vois ce respect. Le pauvre gosse apprend sa table de multiplication avec un grand courage, parce qu'il y a une carabine au bout, chez le marchand de jouets de Bessenay.
Baisers et tendresses de ton Fenon.
A bientôt"

Est-ce que vous pensez la même chose que moi à propos de la "boîte de chapeaux" ?

6 août 1931 : Jane attend son homme


"Bessenay, Maison Bonnet - Jeudi, 2 heures

Mon vieux marron,
J'ai été fort en colère de n'avoir pas de tes nouvelles avant ce matin. C'est indigne et vexant, d'autant plus que chacune de ces dames s'inquiétait et faisait mille condoléances à la pauvre délaissée. Enfin, passons. Tu attendras un jour de plus ma lettre, voilà tout.
Ici, tout va bien. Les marraines sont all right, le fils est un trésor de sagesse. Son eczéma va beaucoup mieux, il n'y a que son appétit qui laisse à désirer. Je suppose que le grand air le nourrit et l'endort. Je le pèserai un de ces jours chez le pharmacien. Il n'a pas de pèse-bébé. On emportera un panier. Il a répondu à Marthe : "Oh ! Ici on ne pèse pas, on se rend compte..." C'est une noix.
Ce matin, nous sommes allés au marché en bande. Maman (B) a acheté des sandales en cuir à Suzie. Renée m'a offert un superbe col pour garnir une robe que je vais me faire avec une petite soie que maman (R) m'a eue par des Mouterde. C'est batoche. Je ferai aussi la petite veste en tissu pareil et je me propose de m'en parer pour épater la population Bessenayenne.
Ici on est bien occupé. Le matin on brasse au ménage, je lave les couches, soigne le môme. A 3 heures, la smala s'amène. Les enfants vont jouer dans le pré voisin avec la bonne. Jacques a déchiré déjà 2 fonds de culotte en grimpant aux arbres. Ces gosses sont marants (sic). Il n'avaient jamais vu la campagne et s'épatent de voir des grenouilles, et des sauterelles aussi. Mathilde (qu'on appelle Nany) voudrait monter sur les vaches. Pierrot est un gros bonhomme, plus petit que Suzie malgré ses 6 mois d'avance. Papa apportera des pellicules pour l'appareil de Renée.
Je suis contente que tu aies passé du bon temps avec André. Dis-lui que s'il vient ici, on le couchera. Le reverras-tu avant le 15 ? Je te souhaite de bien te distraire à Livourne. Je compte qu'il reste à peine 9 jours avant que tu arrives.
Il fait beau depuis 3 jours, à part de vagues orages qui passent souvent sans tomber. Tu dois avoir chaud. Ne monte pas à midi. C'est trop fatigant. Si tu veux du gâteau maison, arrive avec une belle mine.
Les marraines ne pensent pas que François pourra venir. Il se plaint de la pluie qui retarde ses travaux. Germaine l'a rejoint à St Laurent ces jours-ci. Elle dit qu'elle grossit fortement et que leur rejeton remue fortement. Elle craint d'avoir des jumeaux. Décidément, c'est la terreur des mères...
J'ai oublié de te dire que Suzie avait été piquée par une guêpe, le soir avant son indigestion, et qu'on a attribué sa fatigue à cela, tellement la pauvre gosse avait été révolutionnée.
Je t'annonce aussi qu'on trouve à Bessenay d'excellents pâtés aux pommes et aux pruneaux.
Jean (Grethen) est à Copenhague en ce moment. Il ira ensuite en Suède. Mr Grethen l'accompagne pour le présenter à ses clients.
Renée et maman trouvent que le petit est grand et fort pour ses 2 mois et qu'il se fait joli garçon depuis quelques jours. Il est vrai que sa figure redevient sans taches. Les croûtes qui s'étaient formées sur son crâne sont parties avec de la vaseline et le peigne fin.
Et voilà tout le nouveau. (...)
Ma mère est rajeunie. Elle se porte bien et a une mine superbe.
Mardi soir, nous sommes allés au cinéma, Marthe, maman, Renée, ses 3 enfants et bibi. On a vu "A l'aube", c'est la reproduction des actes de Miss Edith Cavell pendant la guerre, son dévouement et sa mort. C'était très bien. Ce qui était amusant, c'était la salle de cinéma (un écran placé dans une salle de café, et une soixantaine de brave gens comme spectateurs).
Au revoir, mon homme, je t'aime bien. Arrive vite, mange et dors beaucoup. Ne vois jamais Rose.
Je t'embrasse de tout mon coeur, et les marraines aussi.
Fenon

PS : Pour le cadeau à Marie-Louise, j'ai consulté maman et Marthe. Elles pensent que M. L. aimerait soit une paire de ciseaux de taille moyenne, soit une ceinture de robe dans les tons beige, ou bien quelque chose qui lui ferait bien plaisir, c'est un pied en X pour un panier à ouvrage, sur lequel elle froncerait une cretonne. Peut-être pourrais-tu le faire ici toi-même ? Fais comme tu veux, ce sera bien.

Légende de la photo : Pierrot Grethen, Jane et Jean, Jacques Grethen et Suzie (admirez la toison)

mercredi 3 septembre 2008

1er juillet 1931 : Jane à sa belle-mère

"Ma chère maman,
Nous venons de recevoir votre lettre, et sommes heureux de la bonne nouvelle. Je vous écris tout de suite, au cas où vous partiriez samedi matin.
Vous allez donc partir au bon air, vivifier vos poumons à toutes les quatre. J'en suis bien contente et je pense au bien que cela va faire à ma petite Suzie, ces deux mois de montagne. Et ce voyage, et cette nouveauté vont rudement l'intéresser. Je voudrais la revoir demain, mais c'est dans un mois seulement, ou presque, puisqu'Henri n'a son congé que du 15 août au 31, et je ne voudrais pas le laisser seul plus de deux semaines.
Petit Jean supporte bien la chaleur. Il est dehors, à l'ombre, presque tout le jour. Le matin, je fais vite tout le ménage, et Henri nous monte au jardin à 2 heures avec le moïse. On y reste jusqu'à 5 heures, à l'air. Je n'ai pas repris toutes mes forces encore, mais ça viendra. Et je suis plutôt "grosse" que maigre.
Petit Jean pesait 4 kg 400 dimanche dernier. Il prend ses 250 g par semaine. Aujourd'hui il m'a fait plusieurs sourires. C'est attendrissant, et intéressant de le voir s'éveiller et regarder autour de lui avec des yeux tout ronds.
André est venu nous voir dimanche après-midi, et a soupé avec nous. Il ne pourra pas avoir son congé avant septembre. C'est dommage.
Il paraît que Renée s'est retrouvée plusieurs fois avec Thérèse, à sa grande joie. Elle m'écrit qu'elle trouve Odette charmante, et sera contente de la voir souvent.
Nous sommes touchés de savoir que Suzie parle bien de nous. Je voudrais bien la voir raccommoder. Ça doit être drôle... et beau.
Alors, chères marraines, nous vous souhaitons un bon voyage, et vous chargeons d'embrasser François et Germaine de notre part.
Henri s'endort dans son fauteuil, il est 9 h 20, heure indue. J'ai sommeil aussi. Janot me réveille chaque nuit vers 3 heures et réclame sa tétée. Puis il faut recommencer à 6 heures. Et en ce moment, il a son pauvre "tutu" bien enflammé. Alors il faut lui donner des bains de son, le pommader et le changer sans arrêt. Quel boulot ! Aujourd'hui, l'inflammation s'atténue, heureusement.
Henri a apporté, ce soir, une superbe armoire en chêne et acajou, qu'il a fait faire à l'usine, pour les enfants.
Au revoir, chères marraines, nous vous embrassons bien tendrement toutes les quatre.
Jane-Henri"

mardi 2 septembre 2008

11 juin 1931 : Des nouvelles de Suzy

"Mes chers enfants,
Nous sommes bien en retard pour vous écrire et je suis tout étonnée de revoir votre lettre datée du 3. Il y a des moment où le temps coule sans marquer les jours. Et pourtant, vous pouvez croire que nous parlons de vous à chaque instant. Nous avons eu de nombreuses visites et félicitations d'icelles.
Notre petite va bien et n'oublie pas ses parents. Avec ce beau temps, elle vit beaucoup dehors et y reçoit ses visites, comme les petits Biass et la petite Michelle Vincens. Elle prête ses jouets plus volontiers qu'au début, et fait de petites conversations avec eux. Tout cela la prépare à ses devoirs de soeur aînée. Elle pense à son petit frère et on voit qu'elle a conscience de cet évènement nouveau.
La nourrice que nous avons gardée six jours en a été ravie (de Suzy) et a bien joué avec elle. François a pu revoir sa nourrice qu'il ne connaissait plus, car il est arrivé la veille de son départ.
François est donc arrivé lundi soir 1er juin avec Germaine, il est reparti le lendemain pour St Claude, puis revenu samedi pour 24 heures, reparti pour Paris voir le colonel et de là en route pour Padoue où il a dû arriver ce dernier mardi, dans l'après-midi, tandis que Germaine restée 8 jours ici partait pour Nîmes où elle attendra le retour de son mari.
Ce sera sans doute vers la fin du mois ou le commencement de juillet. J'espère qu'à ce moment nous serons à la campagne, qu'elle pourra nous rejoindre au moins momentanément et que vous viendrez aussi quand vous le pourrez. Sera-ce à Oyonnax, j'attends une réponse du maire. Enfin, dès que nous serons fixées je vous en aviserai, car vous aimerez bien à le savoir un peu d'avance.
Vous avez dû être heureuse de retrouver votre chez-vous et votre homme. (Suzy dit "mon homme" aussi). J'espère bien que vous avez repris votre appétit en étant en meilleur air et plus libre pour dormir, n'ayant pas le souci du petit près de vous. Cela est étrange qu'il en soit ainsi à la clinique.
Avez-vous bien rencontré pour la personne qui vient vous aider ? En avez-vous les secours désirés ? Fait-elle votre cuisine ? Enfin, ménagez vos forces renaissantes, et Henri va-t-il tout à fait bien ?
Hélène (1) a pris un zona qui vient de la faire souffrir cruellement pendant plusieurs jours. Elle a envoyé son petit à ses beaux-parents et les Dumas vont faire son ménage à tour de rôle, la petite bonne ayant un panaris. Enfin il y a un mieux. Elle était hier sur sa chaise longue lorsque Marthe y est allée.
Suzy aime bien les cerises et il y en a encore beaucoup. Elle fait attention aux noyaux et recommande à tout le monde d'y prendre garde. Elle est bien gentille et nous l'aimons follement. Mais soyez sans crainte, on se fait obéir.
Toutes 4 nous vous embrassons bien tendrement.
Maman"


(1) Hélène Dumas, épouse Lavaux

9 juin 1931 : Renée a le cafard

"Ma chère Jane,
Ne sois pas fâchée de mon long silence ; je n'ai pas cessé de penser à toi et de me réjouir de ton heureuse délivrance.
Je pense qu'aujourd'hui tu es de retour chez toi, et que cela doit vous sembler bon à tous les deux ; comment te sens-tu, es-tu bonne nourrice et comment se comporte le jeune Jean ? Autant de questions qui nous intéressent quand tu trouveras le temps d'y répondre !
Nous allons tous bien et commençons à nous résigner à ce changement de vie qui est tellement différent de là-bas. Je peux bien t'avouer, à toi seule, que j'ai un cafard terrible chaque fois que je repense à N. Y. ou que j'entends un air de là-bas ! Jean dit que c'est ridicule mais je sais très bien qu'il a aussi ses instants de "blue" et qu'il nous faudra du temps avant de l'oublier.
Évidemment, il y a la famille qu'on est bien content de voir de temps en temps quoique étant si loin de tous, cela ne nous gênera pas beaucoup et nous conserverons ainsi notre indépendance qui nous a toujours été chère ! Ces raisonnement te choquent peut-être et tu dois penser que nous sommes devenus bien égoïstes !
Pour le moment, on se débat avec les peintres, électriciens, plombiers, etc. et cette installation nous coûte bien cher, mais l'appartement est grand, bien compris et confortable. Si tu veux venir à Paris, nous pourrons vous coucher tous dans la chambre de Nany qui est notre chambre de jeunes mariés, et vous serez bien ; il y a même le petit moïse qui pourrait recevoir le jeune Jean ! Le bois est à deux pas, mais jusque là je n'ai pas trouvé une minute pour y conduire les enfants. Jacques est à l'école tout près et trouve que ce n'est pas rigolo d'être en France parce qu'on y travaille plus qu'en Amérique ! Il est vrai que c'est tout un changement pour lui.
Papa et maman sont venus dimanche : il vont bien, sauf maman qui a des crises de gaz et qui n'ose ni manger ni boire (cela amuse bien Jean !). Ils parlent des vacances, et attendent de savoir ce que vous allez faire... moi aussi, car j'irai sûrement quelque part pendant l'absence de Jean.
A bientôt de vos bonnes nouvelles à tous quatre. Suzy doit vous manquer ! Mille baisers de tous à tous et bonne santé aux 2 intéressants de la famille.
Renée"