jeudi 28 février 2008

Références (en chantier)

Voilà pourquoi on l'appelait "Kozak"... (François en 1919)

Jane et ses parents (vers 1921)

De g. à d. debout : Marie, Henri, Marie-Louise
Assis : Marthe, André, François (1928)


Jane Beauser : Née en 1901, troisième enfant du couple ci-dessous.
Anna Beauser (née Jobert) : 1876-1956. Mère de Jane. Hypocondriaque et dépressive.
Louis Beauser : 1867-1941. Père de Jane. Anciennement banquier à St Chamond (Loire), puis à la suite d'une maladie (?) a été ruiné, et obligé de venir travailler à Paris.
Renée Beauser (épouse Grethen) : Soeur aînée de Jane, mariée, trois enfants (Jacques, Mathilde dite Nanny, Pierre). Installée à New-York où l'ont amenée les affaires de son mari Jean Grethen (négociant en tissus). Les deux soeurs s'entendent très bien.
Jules Beauser : Frère de Jane et Renée, marié à une Belge nommée Juliette. Mène en Belgique une vie plutôt précaire, travaillant de façon saisonnière dans la restauration ainsi que sa femme. Ecrit régulièrement à ses parents pour leur demander de l'argent. Mouton noir de la famille.
Caroline Jobert (née Molleron) : 1848-1937 : Grand-mère de Jane, mère d'Anna.

Henri Reignier : Né en 1897, quatrième enfant du couple ci-dessous.
Marie Reignier (née Collet) : 1862-1943. Mère d'Henri.
Pierre Reignier : 1846-1909. Père d'Henri, mort précocément (Henri avait 12 ans).
Antoinette Reignier : (1891-1914) Soeur aînée, morte de tuberculose à 23 ans. Très rarement évoquée.
François Reignier (alias le Kozak) : (1893-1977) Frère aîné. Géomètre dans l'armée. Dit aussi "le Capitaine". Epousera Germaine (Quinat) en 1929, 4 enfants (Monique, Jacqueline, Pierre, Nicole).
Marie Louise Reignier : (1895-1977). Dépressive. Passera toute sa vie avec sa mère, puis sa soeur, dans la maison de Montchat (Lyon).
Marthe Reignier : (1900-1989). Peintre amateur.
André Reignier : (1901-1988). Agriculteur dans la région Lyonnaise, puis horticulteur dans les environs de Nice. Epousera tardivement (en 1947) Jacqueline (Goffaut), 1 enfant (Françoise, dite Françou).

Famille Mouterde : Marie Collet (ci-dessus) avait 4 frères et 3 soeurs, parmi lesquelles Marie-Louise, beaucoup plus âgée qu'elle, qui épousa Albert Mouterde. Il eurent entre autres enfants 1 fils, François, dont les enfants sont les contemporains des enfants Reignier :
Albert, Suzanne, Marguerite, Jacques...

Famille Dumas : Une autre soeur de Marie Collet, Jeanne, épousa Gabriel Dumas. Ils eurent 6 enfants :
- Gabriel (x Odette)
- Thérèse (x Herbert Biass)
- Alberte (x Auguste Giroud)
- Paul (x Violette). C'est cette Violette-là qui était l'amie de Jane et qui a contribué à sa rencontre avec Henri.
- Pierre (x Violette)
- Hélène (x Jean Lavaux)

mercredi 27 février 2008

2 septembre 1927 : Carte postale : Nice - Les lavandières du Paillou

"Have just received your letter, one day sooner than expected. I am afraid, if we go on at such a rate, increasing the weight of our letters, we shall soon have to pay "surtaxes". We have better to talk. It will be cheaper and more pleasant.
What could make you think I would't like to have a "promenade sentimentale" with you in the woods ? That is quite offending for me ! Anyhow, you unsettled my schemes by answering so soon. My best thanks for it ! But I have decided to spare Saturday's night to write to you and so will I do. Today I am to write to my mother. I write in english (bad english) to puzzle your "pipelet". As you must be waiting for my answer, I send you this beautiful picture. The child will keep quiet. Dear little thing, I beg to remain your "cher et très sympathique ami". H. R."

mardi 26 février 2008

1er septembre 1927 : Jane laisse courir sa plume

"Cher et très sympathique ami,
C'est effrayant, cette correspondance. Quelle surprise et ... quelle joie ! C'est à dérouter les calculs les mieux établis. Tout à l'heure, (...) j'ai été arrêtée au passage par ma concierge et ... que m'a-t-elle remis ? Quelle adresse ! C'est d'une extravagance ! Moi, je n'oserais jamais, si j'étais vous (1).
Et j'ai tant de choses à vous répondre ! C'est fou. Je ne sais plus. Oui, ces trains, ces facteurs font vraiment preuve d'un zèle extraordinaire, et sans s'en douter.
By the way, comment faites-vous pour écrire comme vous le faites ? Est-ce de la recherche ou de la simplicité ? (2) Je me le demande... En tout cas ça me plaît... infiniment. Je m'étonne sincèrement que vous trouviez ma plume intéressante et coulante.
Coulante, ça, peut-être, car ça me vient tout seul et trop vite, malheureusement, et la "personne" en question n'est pas assez réfléchie encore pour arrêter à temps les "boulettes". C'est ainsi que parfois elle gaffe et se fait méjuger. Excusez mon argo (sic). Vous savez, à Paris, on est lancé, et il doit arriver que malgré soi, on révolutionne parfois les gens bien élevés. Ma foi, tant pis ! Et je sais très bien que je suis une gosse sans conséquence.
Savez-vous ce que m'écrivait hier ma tante en me remettant un paquet de livres la veille de son départ en vacances ? : "J'ai choisi pour toi ces quelques volumes, peut-être les trouveras-tu trop sérieux. Te sens-tu capable de faire un vrai effort ? Il faut que la grande enfant gentille qu'est Janot devienne une femme..." etc. Eh bien ! J'espère que vous voilà fixé. Inutile de vous dire que la grande enfant est tout à fait décidée à se meubler l'esprit, et d'ailleurs ces chers bouquins lui sont déjà sympathiques. En voici les titres : "Le maître de forges", "Eugénie Grandet", et "Madame Bovary". Il paraît que ce dernier, de Flaubert, fera rougir ma mère ; gare !...
(...) Vous me parlez de votre mère. Il me semble la connaître un peu par ce que vous m'en dites. Oui, je serais heureuse, certainement, de la voir et, sans doute, de l'aimer. Mais peut-être se fait-elle de votre "Inconnue" une idée trop avantageuse.
Il y a des jeunes filles supérieures, que l'on admire. J'en connais.
Moi, je suis tout simplement une brave gosse, j'ai un coeur, du courage, et pas mal de désirs de gentillesse pour les personnes qui me sont sympathiques.
J'ai quelques affections enthousiastes, des dévotions de brave jeune chien. Ainsi, tenez, savez-vous quelle est ma meilleure vieille amie à Paris ? Une chère "vieille fille", amie de toujours de ma famille. Elle est la marraine de ma soeur, et un professeur de chant et piano. Et je l'adore ! Et elle m'aime beaucoup. Et je ne sais pas au juste pourquoi.
Pardonnez-moi, je suis une folle. I should like to speak English a lot, and I am always lazy. You write perfectly. I don't. But I talk easily. (...)
Dans quinze jours, me dites-vous ? C'est ce que je pensais. Mais quand, au juste ? Peut-être pourrez-vous me le dire soon. Il wish you could. Will it be on a Saturday or any other day of the week ? Comme je parlais de ce "revoir" avec votre cousine, elle m'a dit que nous pourrions arranger cela chez elle encore, tout au moins pour une partie de votre première journée, et peut-être honorer "my family" de votre visite sur la fin de l'après-midi. Qu'en pensez-vous ? A moins que, "désemballé", si vous avez jamais été emballé à mon sujet, vous ne conceviez nullement le désir de venir présenter vos hommages à la rue enfumée qu'est la rue Henri Poincaré. We never know.
Et maintenant, attention, j'arrive au point ennuyeux que vous me demandez d'aborder. Mes ambitions, dites-vous. Morales, oui, j'en ai. C'est-à-dire, voilà. Sans avoir jamais rêvé d'un "garçon exceptionnel" que vous prétendez ne pas être (et remarquez que je n'ai jamais eu l'intention de faire cette comparaison) mon désir était de rencontrer un jeune homme (à peu près de votre âge), sérieux, intelligent et travailleur. Trois qualités simples mais rares. (...)
Ai-je encore quelque chose à vous raconter ? Je ne sais plus. En tout cas je reprends une troisième feuille (au risque de me ruiner), et je m'aperçois avec confusion que mon écriture de chat s'horrifie. Vous me donnerez des leçons d'écriture à votre prochain voyage. Ce sera une charité. Je crois que c'est là surtout une question de calme. (...)
Oui mon "Eternal City" étant vraiment rasoir, je l'ai laissée en plan, tout en disant, naturellement, à ma tante qui me l'avait passée, que c'était des plus intéressants. On peut se permettre de ces petits mensonges-là, quand ce ne serait que pour faire plaisir au gens.
A propos de ma tante (c'est une femme supérieure), eh bien ! elle aimerait que nous allions tous les deux, vous et moi, passer une journée à Labretêche où je suis allée ces derniers dimanches ; c'est là qu'ils ont leur petite maison et le tennis. Y êtes-vous ? Il y aurait le charme de la promenade en forêt, a-t-elle dit (promenade sentimentale qui déplairait certainement à vos idées de vieux philosophe endurci). Enfin bref, tout cela c'est à voir, il y a là mes parents, leur approbation, et hélas ! la courte durée de votre séjour. Et puis le temps. C'est une grosse question, à Paris, et que les méridionaux comme vous paraissent ignorer ou dont ils ne pensent pas à se soucier. Nous avons eu un soleil et un ciel idéals pendant ces 4 derniers jours. Et aujourd'hui c'est d'un gris !... Mais mon humeur est toute rose, comme la vieille robe sympathique qui m'est venue d'Amérique et que je porte sur moi aujourd'hui, pour vous écrire, mon cher maître. Me considérez-vous comme une personne sensée ? J'écris aujourd'hui avec une facilité qui m'effraie. Quelle impression produira-t-elle ? Soyez indulgent.
Si votre chère mère, que je vénère autant que ma digne grand-mère (qui fait brûler des cierges pour mon bonheur), avait le malheur de jeter les yeux sur mon horrible gribouillage, elle aurait sans doute de moi une opinion désastreuse.
"Aimez-vous les cartes postales ?" Cette question ! Mais naturellement, en plus des lettres, bien entendu.
Gardez-vous bien de retirer vos appellations, si peu correctes soient-elles, car je n'oserais plus, moi, oser, et j'ose déjà si peu.
Je demeure sincèrement et très gentiment votre vieille petite chose"


(1) Malheureusement, l'enveloppe n'a pas été conservée, mais au vu de certaines autres adresses fantaisistes, on peut s'attendre au pire...
(2) Henri a souligné cette phrase, et écrit dans la marge "je n'en sais rien moi-même, chère personne"

1er septembre 1927 : Carte postale "Nice. Entrée de la Poissonnerie"






"La Poissonnerie : endroit où l'on vend la "Poutina".
La "Poutina" : poisson nouveau-né que par un privilège datant du roi de Sardaigne on a le droit de pêcher, à Nice (et non ailleurs).
N'est-ce pas, chère petite fille (!) qu'une ville est toujours belle en cartes postales ? et qu'il vous fait presque envie de visiter Nice ?
Moi, c'est Paris, vous vous en doutez, mais pas tant ses rues, ses places, que ses habitants. Et si je vous rends visite, par hasard, y serez-vous ? En attendant, samedi soir je vous "espère" dans la boîte aux lettres.
Indubitablement vôtre, HR"

30 août 1927 : Henri fait des projets

Dans cette lettre, Henri, après un long développement moral, fait le point sur ses revenus (18 600 francs par an, entre ses "appointements" et sa pension d'invalidité due à une blessure de guerre) et sur son emploi (employé "de confiance", chargé du personnel, du contrôle, des achats, etc. dans une petite entreprise familiale de quincaillerie). Il fait également compliment à Jane pour sa spontanéité et sa facilité d'écriture.
"Eh bien, chère petite chose, c'en sera assez pour ce soir. Il fallait que je vous parle de toutes ces histoires qui tiennent une part si importante de ma vie. Le ton de ma lettre en aura souffert. Je m'en excuse et vous promets d'être plus affectueux et plus attentif à vos "réactions" la prochaine fois. (...) J'ai découvert que nous avions des "styles qui se ressemblent comme des frères. Vous écrivez très aisément, vous écririez une semaine et toujours d'une façon intéressante. Mes éloges ne sont pas hyperboliques.
Hall Caine ? Bien des voeux pour votre lecture de l'"Eternal City". Je me souviens de m'être endormi plus de cent fois avec "The Deemster" du même auteur. C'était pourtant très intéressant, mais si difficile à lire.
Ensuite, commencez donc, vous, à me parler de mon prochain voyage à Paris, et de me dire ce que nous ferons, d'une façon un peu moins vague. Autrement je n'oserai jamais. La date restant fixée en principe à une quinzaine de là, sauf contre-ordre de votre part et empêchement de la mienne. Mon patron va partir en voyage. Il faut qu'il revienne et qu'il ne lui arrive pas d'empêchements, pour que je puisse prendre à mon tour le train.
Il est minuit, c'est à dire que mercredi commence. Je n'ai pas tergiversé avant de prendre la plume cette fois : vous m'aviez écrit, je vous le dis, la lettre qu'il me fallait.
Aimez-vous les cartes postales ?
Affectueusement
Henri Reignier
P. S. : Mais trouvez donc quelque chose, vous, pour faire pendant à mes appellations si peu correctes. Ou j'aurais honte et les retirerais. Ce serait la fin de tout."

lundi 25 février 2008

29 août 1927 : Jane s'applique

"Eh bien oui ! J'ai ri. Et même à plusieurs reprises. Et il y a eu aussi, vous l'avouerai-je, quelques larmes refoulées. (Naturellement, je n'allais pas permettre cela, c'eût été trop bête !)
Mais j'éprouvais, en vous lisant, la douceur d'une certaine gronderie et j'aurais voulu vous demander pardon d'être si folle, ou du moins de l'avoir été.
Oh ! Rassurez-vous ; j'ai chassé mes vilains papillons noirs depuis plusieurs jours. Le beau temps revenu, peut-être ? Je ne sais pas. Et vous auriez été surpris, sans doute, de m'entendre chanter comme un pinson (aux notes moins justes, par exemple), et rire, et jouer hier comme une grande enfant que je suis avec ma gentille petite cousine dont je raffole.
Je viens de rentrer à l'instant d'une petite ballade. C'est une des choses que j'affectionne particulièrement, de partir ainsi le nez au vent et les mains dans les poches - quand la commodité de mes vêtements me le permet - Et il fait si beau et bon qu'on se sent parfois heureux de vivre et plein de force ! J'éprouve souvent cette sensation enivrante d'être jeune et forte et de me griser de soleil, d'air et de belle nature. J'ai traversé une partie de la forêt de Marly hier matin de bonne heure. C'était féérique. Et malgré ma solitude, j'étais bien. Et maintenant je m'arrête, car je serais désolée de vous entendre me reprocher encore mes rêveries. C'est de la folie, n'est-ce pas ? Oui, vous avez raison, et je partage tout à fait votre avis : il faut regarder la vie en face et avec confiance. (...) J'ai dit que j'étais une sentimentale, ou du moins que je l'ai été, oui ; mais quant à ce qui concerne les romans-feuilletons, je déteste ces sortes de choses. C'est de l'irréel, du stupide et dont il ne reste rien. Croiriez-vous que je suis en train de lire "The eternal City" by Hall Caine. C'est très dur, par exemple, d'appliquer mon esprit à cela, surtout en ce moment.
(...) J'espère bien que cette fois-ci je ne vous rendrai pas neurasthénique, ce serait navrant ! Et dormez, je vous en prie. Mon insignifiante petite personne ne mérite vraiment pas que vous vous fassiez du mauvais sang au détriment de votre santé.
Me parlerez-vous, dans votre prochaine lettre, de ces choses utiles auxquelles vous faites allusion ? Je suis intéressée et me permets de les réclamer.
Et ne me grondez plus, je suis sage, très sage, et pense à vous constamment. C'est un honneur, n'est-ce pas ?
Signé "Old Thing"

26 août 1927 : Morceaux choisis d'Henri à Jane

(...) Si vous étiez, en ce moment, ma visiteuse, assise en face de moi dans ce fauteuil de rotin, meuble le plus élégant de ma pseudo-salle à manger, je suis sûr que vous chasseriez toute velléité d'idée noire, car je vous raconterais - n'importe quoi - mais de quoi rire - peut-être de moi - tant mieux.
(...) Dear Old Thing, (là, ça y est) je viens tout à coup de réaliser (comme dit Paul Bourget) que ce n'est plus du tout une corvée de vous écrire.
(...) Histoire d'un voyage à Paris : Il était une fois un homme, ni jeune ni vieux, ni bon ni mauvais, ni sot ni malin qui entassait les jours sur les jours, machinalement, sans savoir comment, sous le regard du soleil du Bon Dieu. (...) Mais il n'était jamais allé à Paris. C'était un scandale. Cette idée le tourmentait, doucement. Il se trouvait aussi que l'homme vécût seul, n'ayant jamais rencontré la femme selon son coeur ou n'ayant eu jusqu'ici l'autorisation de convoler. (...) C'est à ce moment que la cousine de l'homme lui écrivit : "Vas à Paris, par Jupiter, et vois ma petite amie. Je sais que tu es de la famille et ne t'emballes guère. Elle ne se croira pas plus engagée que toi par une innocente promenade au Bois." - "Ma cousine, répondit l'homme, tu as des idée de génie. Je t'ai toujours aimée et estimée, mais cette fois je te révère. Sans toi je n'eusse jamais connu Paris... et ton amie". L'homme fit sa valise pêle-mêle (...) et il prit le train pour Lutèce, songeant d'avance aux merveilles de la capitale et un peu, aussi, à la belle inconnue qui daignait l'attendre. (...) Et l'Inconnue prit l'homme par la main et lui fit visiter Paris. C'est l'homme qui expliquait - l'aveugle et le paralytique. C'était touchant.
L'homme souriait par-dedans et il ne questionnait pas l'Inconnue. Il répondait beaucoup et rêvait un peu.
(...) Ne vous étonnez pas trop de l'incohérence de cette lettre écrite à toute vapeur. Faites de même. Dites-moi si je vous choque ou si je vous fais rire et redites vous que je suis
Sincèrement vôtre.
Henri Reignier"

23 août 1927 : Henri écrit à sa mère...

"Ma chère Maman,
(...)Le fait que le fils Roullet soit ici me permettra de m'absenter un peu, dans trois semaines, et de faire un tour à Paris, si tu n'y mets pas catégoriquement opposition et si je reçois une confirmation d'invitation de la part de ma belle.
Nous commençons à être très copains. C'est une jeune fille de sentiments très élevés, il me semble, et elle parle déjà de "sa part de bonheur à elle aussi", ce qui m'effraye et me fait rire d'attendrissement. (...) J'en écrirai un peu plus long quand j'aurai de vos nouvelles, que je vous prie de ne pas me mesurer au compte-goutte. Car bien qu'amoureux, je vous aime toujours et toujours.
Henri"

jeudi 21 février 2008

19 août 1927 : Jane se lance

"Cher Monsieur,
C'est encore sous l'impression du trouble délicieux que m'a causé la
lecture de votre longue lettre que je réponds en réclamant toute
votre plus grande indulgence. D'abord parce que je suis bien loin
d'écrire comme vous le faites et aussi parce que mon écriture
irrégulière ressemble assez à celle d'un chat, si toutefois les chats
ont jamais écrit quelque chose.
Et puis j'aime à écrire comme je cause, étourdiment, c'est mon
plaisir. Et je ne chercherai pas tout ce que j'ai à vous dire, je
tiens à ce que notre correspondance soit un simple rapprochement
entre nos idées, nos pensées et nous-mêmes. Mais ne croyez pas que
j'aie la moindre idée de vous reprocher la perfection de votre style.
Au contraire, il m'a surprise trop délicieusement et causé trop de
joie pour cela, mais je m'excuse simplement de n'être pas à la hauteur.
Quant à mon papier, je n'ai pu encore le remplacer, aussi il est
d'une minceur piteuse ! C'est le complet assortiment de la
vulgarité ; ne trouvez-vous pas ?
Je m'exécute, en personne naturellement et volontiers obéissante à
vous envoyer les deux pauvres et très anciennes photos que je
possède. Elles avaient été tirées à Lyon, chemin de la 1/2 Lune, ce
coin qui semble nous rapprocher drôlement par les souvenirs qu'il
nous rappelle. (...)
Laissez-moi vous dire tout le plaisir que votre passage ici m’a causé. C’était si imprévu et presque incroyable, après mon long exil en Angleterre et ce retour récent attristé par la maladie de ma mère, que j’ai été longtemps troublée et inquiète. (...)
Ma jeunesse fut triste, la grande sévérité avec laquelle nous avons été élevés, ma soeur, mon frère et moi ; puis la maladie de mon père qui brisa notre situation en durant plusieurs années jusqu’au début de la guerre, et ensuite après toutes ces longues et bien tristes années, la fatigue de maman qui, tout en s’étant améliorée par périodes, est loin d’être terminée.(...)
Je m’occupe beaucoup cependant, ayant toute la charge de l’intérieur, puisque maman n’est pas ici (1). Mais mon père n’est là que le soir, aussi je me trouve assez solitaire. Je sors un peu, vais souvent voir ma grand-mère et quelques amies, et je brode ou couds (c’est là mon art !).
C'est si gentil à vous d'écrire à mon père, et je vous en suis très
reconnaissante. Je n'aurai connaissance de cette lettre que ce soir
et ne puis malheureusement vous causer des impressions qu'elle aura
éveillées.
Laissez-moi vous dire bien sincèrement que mes parents, mon père et
ma grand'mère surtout, se réjouissent du bonheur qui semble briller
pour moi depuis si peu de temps. Quant à maman, en malade
naturellement un peu égoïste, elle eût préféré me garder toujours
auprès d'elle, et de cela nous ne pouvons lui tenir rigueur.
Et maintenant, je n'ai plus de place. N'est-ce pas suffisant ?
J'attendrai maintenant, une seconde lettre.
Très sincèrement, à vous en pensées

Jane Beauser"


(1) Anna Beauser semble avoir été dépressive (en tout cas certainement hypocondriaque), au moment où l’histoire commence, elle est en maison de repos.

17 août 1927 : Henri s'est acheté du papier à lettres

"Chère Mademoiselle
Je ne peux pas, n'est-ce pas, vous appeler "mademoiselle" tout
court ? Ce serait presque faire machine arrière et une telle distance
nous sépare que je m'en garderai bien.
Je pense qu'une certaine dose de familiarité est indispensable pour
combattre "l'action dissolvante du temps et des kilomètres", et si
vous vouliez bien m'écrire avec autant de confiance et de simplicité
que je compte le faire, l'épaisseur du mur serait réduite à bien peu
de chose.
Il ne faudrait pas, lorsque nous nous reverrons dans un mois - comme
j'y compte toujours - que nous nous retrouvions comme la demoiselle
et le monsieur de la Porte Maillot, mais plutôt comme les promeneurs
du Parc de Versailles - prêts à reprendre la conversation
qu'interrompit ma cousine. Ou encore mieux, puisque nous pouvons, si
nous voulons, la continuer ici, prêts à reprendre le fil de la
dernière lettre, vôtre ou mienne.
Mais une autre condition, pour que je garde le plus possible du
souvenir que j'ai emporté de vous, est que je puisse vous revoir au
moins en photographie. Je suis terriblement distrait, à certains
moments et j'ai pu vous paraître bien indifférent dans cette
circonstance : Dimanche, au moment où vous marquiez le désir d'avoir
une de mes photographies, je n'ai même plus songé que vous aviez sur
vous une des vôtres, que j'aurais été fort heureux d'emporter et que
peut-être vous m'auriez donnée.
Alors, soyez généreuse et rendez-vous à la demande tardive que je
vous fais. En échange, je vous promets de vous envoyer mes traits par
retour du courrier. [...]
Puisque vous disposez de plus de temps que moi, j'attends de vous une
lettre un peu mieux bâtie, et, puisqu'il fait bien meilleur à Paris,
d'un style un peu plus aéré. Mais je serais désolé que vous ne
m'écriviez pas comme l'on parle. D'ailleurs j'ai confiance en vous
pour m'indiquer la façon, la façon de continuer cette conversation,
d'abord, et puis la façon de me conduire, en général, maintenant...
et ensuite.
Je vous prie de présenter mes respects à vos parents. Ma
préoccupation est maintenant de pouvoir leur être présenté.
Et je demeure, sans plus de phrases,
Votre dévoué

Henri Reignier"

mercredi 20 février 2008

Merci

à toutes et tous pour vos mails de compliments, sans fausse modestie, je suis assez contente de moi. N'hésitez pas à vous servir de la fonction "commentaires", ça fera encore plus vrai et ça m'encouragera à continuer régulièrement. Si vous avez les adresses mail de membres de la famille qui pourraient être intéressés, n'hésitez pas non plus à me dénoncer.
A très bientôt.

17 août 1927 : Elle a reçu la carte


Carte postale représentant le Pont Alexandre III et le Grand Palais :

"Merci de m'avoir si vite envoyé des nouvelles de votre voyage. J'espère qu'il aura continué à bien s'effectuer et sans trop de fatigue. Vous avez dû retrouver la chaleur (1); ici on gèle, c'est désolant !
Je pense souvent au charmant emploi de nos deux journées et j'espère que vous n'oublierez pas que vous avez encore beaucoup de belles choses à voir à Paris et que vous écrirez souvent en attendant, et librement.
Jane Beauser"


(1) Henri habite à Nice

15 août 1927 : Le soir d'après...


Carte postale représentant le Parc Monceau :

"Je vais descendre du train après un excellent voyage. Je regarde avec mélancolie de vieux billets de métro qui me sortent de toutes les poches. C'est déjà la nostalgie de Paris... Vous avez compris la difficulté d'une séparation en gare du Père-Lachaise, c'est pourquoi vous excusez ma gaucherie. A nouveau donc, si vous permettez, au revoir bientôt.
Henri Reignier"


Personnellement, je trouve ça d'un romantique achevé... (mélancolie et nostalgie, déjà)

mardi 19 février 2008

9 août 1927 : Ca se précise




"Mon cher vieux Sagouin,
Pour enchaîner sans autre préambule, je t'annonce tout de suite que nous t'attendons samedi matin. Tu peux donner à ce "nous" un sens assez large, car il ne s'agit pas seulement de Violette et moi.
Particulièrement, je t'attendrai au train, si ton heure d'arrivée n'est pas trop tardive, afin de te piloter dans ce bon Paris, dont il ne faudra nullement t'effarer, et te mener à bon port rue Ravignan.
Pour revenir à nos moutons (pardon !), ta "possible" a été pressentie aujourd'hui par Violette : elle accepte volontiers une entrevue. A cet effet, le Bois de Boulogne nous attendra samedi après-midi - nous tâcherons que l'ambiance et le paysage soient idoines à faire éclore en vos coeurs la petite fleur bleue.
D'elle je ne te dirai rien, parce que je n'en parlerais guère que par ouï-dire. Et puis Belle a dû te documenter longuement sur ses qualités essentielles ; pour les autres, tu auras le plaisir, j'espère, de les découvrir toi-même. Toutefois, si tu es un peu graphologue, cet échantillon de son écriture te renseignera déjà quelque peu.
Donc nous t'attendons ferme, dis-nous l'heure d'arrivée de ton train, choisis une bonne banquette pour être bien en forme et on pourra faire quelque chose de toi."


Paul Dumas à Henri Reignier, 9 août 1927




1927 : C'est comme ça que ça a commencé...

"(...)A ce paragraphe, tu pourras passer ma lettre à Henri. Etant allée voir les Beauser à Paris, je n'ai rencontré que leur fille Jane. Alors tu saisis. Elle attend le mari possible. Donc si Henri s'en sent et qu'il veuille utiliser ses vacances à ce sport, un mot de lui et nous tirons les plans. (...) Il doit pouvoir se rappeler une blonde mousseuse qui se rasait à 5 francs de l'heure au mariage d'Alberte. C'est déjà de quoi se faire une opinion. Pour plus amples renseignements, l'objet en question doit avoir environ 26 ans, rentre d'Angleterre où elle a passé un an pour apprendre la langue, est assez calée en dessin décoratif, désire beaucoup se marier, bonne femme d'intérieur, a un frère marié à Bruxelles et une soeur à New-York, et vit avec ses parents, son père à la banque Privée. Le tout sera de ménager une rencontre. Nous n'en sommes pas encore là, mais songe qu'Henri a le 1/4 de place et que d'autre part Paul serait enchanté de le voir arriver."

Thérèse Biass à Marthe Reignier, été 1927.

Introduction

Voilà, ça va commencer. J'ai eu l'idée de créer ce blog parce que je ne savais pas bien quoi faire des paquets de lettres retrouvées dans le capharnaüm et dans la cave. Je vais les publier ici, oh pas toutes, il y en a trop, et toutes ne sont pas vraiment intéressantes. On s'écrivait beaucoup au début du XXème siècle, quand il n'y avait pas le téléphone, encore moins les e-mails ou les SMS, et la Poste marchait étonnamment bien.
Je commencerai donc par le commencement, ou à peu près, c'est à dire la Rencontre entre Henri et Jane, en 1927. Je publierai aussi sans tarder un post en forme d'index, pour repérer les noms, les liens de parenté et les lieux, du mieux que je pourrai, et les corrections et mises au point seront les bienvenues. Dès que possible, j'ajouterai des photos et des scans des originaux.
Si tout va bien, ça commence ce soir.