dimanche 25 octobre 2009

31 octobre 1936 : Suzie de retour à Lyon

"Ma chère Jane,
Quelques mots pour vous dire que le voyage de Suzie a été très bon, qu'elle a bien déjeuné avec ses bons sandwichs et autres provisions, que la rencontre à Valence s'est opérée bien facilement, de même que l'arrivée à Montchat et que ce matin après une nuit d'un seul sommeil, elle est en train de ranger ses affaires avec Marraine. Tout à l'heure, elle ira au marché et reprendra la classe mardi matin. Nous avons eu très beau temps pendant tout le séjour des Meudoniens et j'espère que cela continuera encore.
Germaine est repartie hier avec ses petites en même temps que Marthe prenait son train pour Valence. Marthe a trouvé plaisante la petite ville.
Vous nous donnerez bientôt de vos nouvelles, ma chère Jane, ainsi que nous des nôtres, et j'espère que vous allez bien vous reposer et vous sentir plus forte avant que vienne l'hier.
Suzie a bien bonne mine et paraît encore grandie. On veillera à ce qu'elle se fortifie encore et devienne bien raisonnable.
Mille tendresses de nous quatre à vous trois, et qu'Henri chasse vite ses migraines.
Maman"

23 octobre 1936 : Catastrophe

"Ma chère petite Jane,
Tu dois penser si nous avons été attristés au reçu de ta lettre, et désolés de ce malencontreux coup de froid qui t'a fatiguée de nouveau et vous occasionne bien des complications ! Je te dirai que nous n'étions qu'à moitié tranquilles de te savoir revenue à Nice, et pas suffisamment loin de la mer ! Mais si le Dr dit que vous êtes bien à St Roch, il n'y a qu'à s'en rapporter à lui, descendre à Nice le plus rarement possible et continuer surtout à te reposer et à éviter toute fatigue.
C'était bien à prévoir que tu ne pourrais t'occuper des deux enfants sans danger ; aussi votre décision de la renvoyer à Lyon est excellente et ses tantes en seront heureuses. Puisque elles ne demandent qu'à s'en occuper, et que la petite travaille bien à l'école, on ne peut demander mieux pour l'instant. L'essentiel c'est ta santé et celle d'Henri ; sans cette chose précieuse, tout va mal. Dans un sens, il est préférable que tu aies revu le Dr afin de savoir où en sont tes poumons ; du moment qu'il y en a un de complètement calcifié, c'est le principal, et en ne faisant aucune imprudence, l'autre finira par guérir à la longue, c'est inévitable. En voyant le Dr tous les mois, tu sauras exactement où tu en es, et ce que tu dois faire. C'est uniquement une question de temps.
Si Henri a l'occasion de confier Suzie à un contrôleur du PLM, il est préférable qu'il s'évite la fatigue et la dépense du voyage.
Heureusement que vous avez trouvé une jeune fille qui te rendra bien des services tous les matins jusqu'au départ de Suzie. Enfin, mes chers enfants, nous pensons à vous sans cesse, prenant une part immense à tous vos tourments qui sont les nôtres, et nous font oublier tous nos soucis personnels qui ne sont rien à côté ! Mais nous déplorons surtout cette triste situation qui nous empêche de faire pour vous tout ce que nous désirons tant ! Papa continue ses démarches, tj. sans résultat. Il va tous les jeudis chez Renée passer la journée et faire travailler Jacques (allemand et géométrie), cela le distrait, et moi je vais chez Gd'Mère. Jean doit partir demain pour Bruxelles où il a qq. affaires en train. Je ne les reverrai que le dimanche après la Toussaint à St Mandé.
A part cela, rien de nouveau, les santés sont bonnes ; je souffre seulement depuis 3 semaines d'une forte douleur dans le dos (rhumatisme sans doute) occasionnée au moment des 1ers froids. (...) Ci-joint ce petit billet pour tes fortifiants. Soigne-toi bien, mon Janot, et prends patience. Il y a déjà une grande amélioration ; la guérison du poumon gauche viendra comme celle de l'autre.
Renée est bien peinée de te savoir souffrante ! Elle se joint à nous deux pour t'embrasser bien affectueusement, ainsi qu'Henri et les petits.
A toi encore, ma chérie, mille baisers avec notre meilleure tendresse.
Tes parents tout dévoués.
A. Beauser"

dimanche 11 octobre 2009

29 septembre 1936 : Le temps change

"Ma chère Jane,
Nous recevons ce matin votre lettre de samedi, et nous partageons bien vivement votre déception pour l'examen. Nous n'aurions jamais cru que c'était si difficile, car Henri a beaucoup travaillé et savait beaucoup auparavant ; il n'y a pas à dire non.
Nous espérons qu'il ne se tracassera pas trop quand même et prendra un peu de répit en attendant nouvelle détermination.
Nous commençons à préparer notre départ et nous attendrons Henri samedi dès le matin s'il peut être libre et nous aurions ainsi le plaisir de le voir un peu plus longtemps et lui le temps de se mieux reprendre du voyage. Nos enfants vont bien et profitent de la campagne malgré le temps changeant : hier pluie, et froid vif ! aujourd'hui beau temps et vent du nord. On a trouvé des promenades nouvelles et elles sont vraiment variées par ici.
Nous avons eu samedi Jacky, Ginette et Robert pendant que les parents assistaient à la fête des 25 ans de mariage de Joseph et Suzanne à Jonzy. Il y avait 60 personnes ! Les parents Dumas y étaient aussi avec les Biass, mais ils n'ont pas passé vers nous ayant laissé les autres enfants à Lyon.
Merci pour les nouvelles d'André. On en sais toujours un peu plus sur ce cher excité, bien qu'il ait profité d'une pluie diluvienne pour nous écrire un peu.
Oui, nos petits nous manqueront ! Nous tâchons de ne penser qu'à leur revoir pas trop lointain, mais cela changera notre existence malgré toutes les occupations que l'on cherchera à avoir mais qui ne seront pas toujours faciles à trouver.
Vous nous écrirez souvent avec beaucoup de détails, ma chère Jane, et cela nous aidera à patienter.
Nous vous embrassons tous bien tendrement."

2 septembre 1936 : Jane va bientôt retrouver son homme

"Mon cher vieux marron,
Merci de ta dernière lettre, reçue ce matin. Je suis bien contente de te savoir allant bien, et ne suis pas fâchée de voir se tirer mon temps de retraite au couvent. Je verrai aussi, de mes yeux, si tu es vraiment en bonne forme, et je te ferai de la marmelade de fruits tapés, façon Marie-Louise. Il faudra que je me débrouille pour remplir nos pots de figues et autres fruits.
As-tu reçu mes fromages ? Comme tu ne m'en parles pas, je commence à concevoir quelques craintes à leur endroit. En tout cas, j'en ai commandé 2 autres pour emporter. La charcutière me met de côté 3 saucissons. Je te remercie de m'avoir envoyé ces 400 F. Je pensais d'abord que tu avais fait un héritage, avant de réfléchir que tu avais été payé plus tôt, vu le départ de ces messieurs. Comme tu me le dis, je donnerai ce qu'il convient à ta mère, et me garderai quelque chose.
J'espère que tu n'as pas trop à faire à l'usine, que ton chameau de singe ne te gène pas trop, et que ces travaux d'assainissement du sol ne te font pas respirer trop de microbes. Ce sera sans doute une bonne amélioration.
Oui, moi aussi, je suis contente de passer environ 3 semaines de calme avec toi, avant de reprendre nos terribles. On tâchera de retourner une fois au cinéma, et de bien prendre l'air le dimanche. Je veux bien qu'on aille voir André. (...)
Oui, mon homme, je prendrai mon billet pour Riquier. Puisque tu peux amener la bagnole, ce sera bien plus simple en effet. Et je t'en remercie et je te dis à bientôt.
Les marraines ne vont pas mal. Marie-Louise a été fatiguée pendant 2 jours, je ne sais pas au juste si cela venait du physique, du moral ou des deux. C'est toujours un peu mystérieux.
Au revoir, mon cher époux, reçois les baisers nombreux de toute la maisonnée, et les plus tendres de ta vieille femme."

25 août 1936 : Après le passage d'Henri, les vacances continuent

"Mon cher vieil homme,
J'ai reçu hier ta 1ère lettre, ce matin la seconde. Je suis donc vernie. Je te remercie d'abord pour tes déclarations d'amour et de fidélité, ensuite pour les détails que tu me donnes sur ta vie quotidienne. Je suis contente d'apprendre que ton mal de gorge s'est vite passé, et j'espère et souhaite que tu n'en aies pas trop marre de faire ta "bectance". Sinon télégraphie-moi. Tu sais que le but de ma vie est de travailler à l'arrondissement de tes formes esthétiques.
Donc, j'ai écrit hier à mon cher père dont j'ai presque failli oublier la fête. Pauvre de moi !
Aussi, j'ai reçu ce matin une lettre délicieuse de cette chère tante Angèle (1), m'invitant à Villefranche pour le 3, ou le 4, ou le 5. (...) Je vais lui écrire que j'irai le 3 avec les gosses. (...)
Dimanche nous avons eu Thérèse (2) et son mari, aux deux repas. Journée animée, Herbert était charmant et un peu excité. Il n'a pas arrêté de chahuter avec les gosses. Leurs enfants sont en Haute-Loire, à 800 m, avec les grands-parents et Hélène, dans une maison de 8 pièces, bien située. Il ont cueilli beaucoup d'airelles, de quoi faire 15 pots de confiture. Odette est à 10 km, avec Alberte. Elle y passe un mois. Pendant ce temps, Gab a une f. de ménage qui lui prépare ses repas et il a aussi une bonne crèmerie.
Nous allons bien. Ta mère était un peu fatiguée ces derniers jours ; aujourd'hui elle va bien. Quant à Marthe, elle a eu encore la migraine pendant 1 jour 1/2 ; assurément elle n'a pas bonne mine, mais elle dit qu'à part quelques migraines de temps à autre, et un peu de palpitations, elle ne va pas mal. Je ne sais pas trop qu'en penser. Il est certain que leur existence sans but est peu gaie, et qu'elles sont trop restées des petites filles soumises, alors qu'elles auraient besoin de tout autre chose... Il me semble que j'en serais morte ou que j'aurais pris mon vol.
Pour parler d'autre chose, n'aurais-tu pas emporté par mégarde, avec du linge sale, une paire de chaussettes beiges à Jean, toutes neuves ? Leur disparition me déconcerte.
Les travaux du puits sont toujours en cours. Les maçons l'ont vidé à la pompe, pendant des heures, et ils vident le fond au seau, un homme puisant au fond du trou. Hier, ils étaient furieux contre le propriétaire qui n'a pas voulu mettre la pompe des pompiers, parce qu'il fallait six hommes. Chaque fois qu'il vient, il trouve toujours qu'on en fait trop. Encore un à pendre la prochaine fois.
Il fait très beau, plutôt chaud dans le milieu du jour. Au revoir, mon homme, dis-moi bien si tu es fatigué, si tu as beaucoup de travail à l'usine. Je peux très bien rentrer plus tôt. Je t'embrasse plusieurs fois bien fort. Bons baisers de tous."

(1) Rosenthal, amie très chère d'Anna
(2) Dumas, épouse Biass

dimanche 13 septembre 2009

8 août 1936 : Jane est bien arrivée

"Mon cher homme,
J'espère que tu vas bien et n'es pas trop éprouvé par ta solitude. J'ai fait un bon voyage, bien tranquille jusqu'à Avignon, où il est monté, naturellement, le beau jeune homme attendu ; puis à Valence, 3 autres personnes. Je n'ai pas dormi, mais je me suis bien reposée. Le reste du voyage s'est bien effectué, et j'ai trouvé M. Louise, Marthe et les enfants à la gare de Grandris, qui m'attendaient avec une auto, l'autobus partant 30 ou 40 minutes plus tard, mais j'aurais bien attendu.
Mon impression sur le pays et la maison est très bonne. C'est plus accidenté que Bessenay et Montrottier. Nous avons fait une promenade agréable, hier tantôt, dans un bois. Les enfants ont cueilli des noisettes et joué près d'un ruisseau. Ils vont bien, ont assez bon appétit. Hier il faisait froid, nuageux. Aujourd'hui, beau et plus chaud. Ta mère est un peu enrhumée, une fin de rhume. Je vais bien, le voyage ne m'a pas trop fatiguée, malgré l'arrivée de l'effervescence.
J'espère que tu nous diras bientôt le jour de ton arrivée, pour qu'on aille t'attendre, et si tu penses voyager avec André.
Henriette viendra mercredi pour quelques jours. Elle couchera au village, parce qu'ici c'est trop juste, mais si André peut coucher, il y aura moyen de le mettre à la cuisine. Nous irons à Allières jeudi.
Voudrais-tu m'apporter : 1ent mon enveloppe de serviette, qui se trouve dans la petite table de la cuisine, 2ent deux ou trois cintres, 3ent un morceau de tissu beige des culottes de Jean (pour lui mettre des fonds) qui se trouve dans le meuble où je mets mes étoffes et ma couture. Tu apporteras bien une flanelle et ton pull-over gris.
Et voilà, sur ce je te quitte pour baigner le gamin. Ce matin, nous sommes allés chercher des légumes dans une ferme, promenade agréable, l'air est très bon, et fera grand bien aux enfants, les marraines ne demandant pas mieux que de les garder tout septembre.
Au revoir mon homme, donne-moi bien de tes nouvelles, et parle-moi de ton week-end. (...)
Je t'embrasse bien tendrement, 2 ou 3 fois. Bons baisers de toute la smala.
Ta femme"

Je n'ai pas trouvé de photos de Grandris, est-ce que Marraine en aurait dans ses albums ?

18 juillet 1936 : Les marraines sont à Grandris avec les enfants

"Ma chère Jane,
Je reviens vous donner quelques nouvelles de nos chers enfants, pensant que ces premiers jours de leur absence doivent vous paraître longs et un peu trop silencieux. Pour eux, ils sont pleins d'entrain et d'activité. Par bonheur, ils ont amené le beau temps que nous n'avions pas les premiers jours de notre arrivée et ils sont dehors toute la journée. Notre cour n'est pas très grande mais il y a de l'ombre tout le temps avec son tilleul et sa petite cahute ouverte, et l'air y circule bien.
Puis il y a les promenades qui font changer de place et de distractions. Jean était fou de joie l'autre jour au ruisseau et n'arrêtait pas de le traverser. Il y a aussi une petite chapelle sur la hauteur voisine. Il y a un calvaire et des bancs sous les arbres. Il y a de là une vue très étendue et un air délicieux. Enfin on n'a pas trop mal réussi comme situation.
Les taches de Jean sur les membres n'ont pas augmenté, elles sembleraient plutôt rosir un peu, mais Marthe l'a conduit au Dr quand même et celui-ci n'a pas su dire grand'chose sinon que ce n'était pas grave et aurait pu être produit par des sels d'argent...
Marthe a montré alors le tube et la pommade, il n'a pas dit grand'chose et croit qu'on peut la continuer. Si vous avez pu demander à votre oculiste ou lui écrire, vous saurez mieux sans doute ce qu'il convient de faire et nous surveillerons les taches.
D'ailleurs ce cher petit va bien. Il ne mange pas mal, dort bien, s'amuse bien, ne manque pas de malice avec sa soeur qui lui rend sa part, mais cela n'est pas constant et d'autre fois ce sont les meilleurs amis : A présent ils jouent au coiffeur et s'entendent gentiment. Comme vous le disiez la tache de l'oeil est difficile à voir et nous pouvons être heureux après tant d'angoisses d'avoir été bien protégés dans le fond des choses.
J'ai reçu une longue lettre d'André, enfin ! Le pauvre ne s'est même pas rendu compte du temps qui passait sans écrire. Il a une vie incroyable de successions de travaux, donnant foule de détails à l'appui. Enfin il dit qu'il viendra nous voir pendant ce mois d'août entre telles et telles occupations un petit peu moins urgentes. Vous le verrez je crois vers le 26 après les épreuves d'Henri ? Les Quinat ont été furieux du manque de soutien, peut-être était-il prématuré et oublié ? Espérons que tout ira mieux cette fois par la seule valeur du candidat, si le reste fait défaut. (1)
Voici que Suzie plante les 7 arceaux qui restaient de notre vieux jeu de croquet, pour faire une partie avec Jean et peut-être Marraine. Il restait 5 ou 6 boules plus ou moins rondes, mais le tout fait encore merveille.
Je pense que cette lettre pourra partir à 5 heures, et je la remplis de toutes nos tendresses. Nous parlons bien ensemble de Papa et Maman.
Maman"

(1) Apparemment, Henri a échoué à l'écrit pour 1 point, en dépit du piston demandé à M. Quinat qui avait eu un poste élevé dans l'administration. Il va passer un oral en août.

dimanche 23 août 2009

24 juin 1936 : Grèves et préparatifs de vacances

"Ma chère Jane,
Bien merci de nous avoir vite écrit : On est tellement désireux d'avoir des nouvelles. Mais pour le pauvre Henri ce n'est pas drôle de n'avoir pas réussi dans cet examen qui est vraiment bien difficile. Par bonheur, il est tenace et courageux et son tour viendra d'être admis. Il n'a plus beaucoup à attendre la nouvelle épreuve et voici que la grève s'est chargée de lui donner un peu de temps pour l'étude. Où en est-on à ce jour des pourparlers ? La bonne cause sera-t-elle victorieuse et rapidement ?
Vous voyez sans doute par les journaux que pour Lyon les conflits traînent en longueur et que le calme commence à devenir difficile. Il y a beaucoup de mécontents, et la grève des trains jointe à celle des restaurants gêne terriblement tous ceux de la banlieue qui vont travailler loin. Nous entendons quelques éclats de voix de notre voisin à ce sujet. Enfin il y a un peu d'orage dans l'air malgré la froideur apparente des Lyonnais.
La chaleur de la température se relève aussi et vous devez commencer à la sentir. Henri et Suzie doivent savoir ce qu'il en est pour leurs courses au soleil. Avec cette crise de vers, vous gardez peut-être un peu la petite avec vous ? C'est dommage qu'il faille la purger avec le temps chaud ! Mais quand il y a urgence... J'espère qu'elle n'en sera pas trop éprouvée et que la campagne bientôt lui fera du bien. A moins d'imprévu, nous comptons toujours partir le 6 ou le 7. Nous serons bien contentes de voir arriver nos petits avec leur père, mais combien c'eût été mieux de vous voir aussi, si les circonstances ne vous tenaient inquiète en ce moment. Souhaitons que cela s'améliore vite et vous donne à l'un et à l'autre la possibilité de prendre un peu de repos bien utile.
Nous formons ces voeux et d'autres encore avec une tendresse plus pénétrante si possible au jour de votre fête, ma chère Jane, et de celle de Jean Jean. Nous confions nos désirs et nos prières à votre Saint Patron.
Je pense que vous serez un peu en correspondance avec André si vous n'arrivez pas à vous rejoindre. De mon côté j'attends des nouvelles de lui.
Le ruisseau dont parle M. Louise à Suzie est l'Azergues et passe en bas du village, mais nous ne pouvons évaluer la distance. Nous achèterons une carte comme celle que nous avions pour Montrottier.
Oui, nous garderons ces chers petits avec bonheur tant que vous voudrez. Vous connaissez notre immense tendresse qui sait être ferme aussi quand il le faut. Soyez sans soucis en attendant votre venue.
La chaleur me fatigue aujourd'hui, et je termine en vous embrassant bien fort tous les quatre pour nous trois.
Maman"

10 mai 1936 : Emotions contrastées

"C'est avec anxiété que nous attendions ta bonne lettre, mon Janot, pensant apprendre le résultat de l'examen d'Henri. Nous avons été bien déçus ! Mais nous osons malgré tout espérer, vu la modestie d'Henri, que ses épreuves de math n'auront pas été aussi mauvaises qu'il le croit, et que le croquis, la levée de plan et surtout son dessin, compenseront peut-être le reste. En tout cas, il fait bien de ne pas se décourager puisqu'il pourra se représenter en juillet ; d'ici là il aura le temps de bûcher un peu ses math, mais sans se surmener ni exagérer le travail, car sa santé est plus précieuse que tout le reste !
Vous avez eu une excellent idée de faire ces deux belles promenades samedi et dimanche, cela vous a distrait et fait du bien à tous les trois. Ce petit jardin dont vous avez la jouissance est vraiment précieux pour Jean surtout, et tu peux sans doute t'y reposer un moment après le déjeuner, lorsque le temps le permet.
La petite photo prise chez André nous a fait bien plaisir, on devine Jean, et cette maison d'André a très bon aspect.
Henri est peut-être à Montchat aujourd'hui ; ce sera une grande joie pour vous de revoir votre Suzie, mais certainement un gros chagrin pour les marraines que cette séparation. Aussi se décideront-elles à partir pour Meudon si Mme Reignier peut entreprendre le voyage sans qu'il y ait danger.
Ici, tj rien de nouveau pour papa, hélas ! et cela devient inquiétant. Il ira une dernière fois relancer ces messieurs, mais je ne me fais guère d'illusion. (Inutile de compter sur l'oncle Jean!)
Nous avons déjeuné avec les 5 samedi dernier, et Jean devait partir pour la Hollande le lendemain ; il a dû revenir hier, et il viendront à St Mandé dimanche prochain. Nany fait sa Première Communion le 28 mai et ce n'est pas la besogne qui manque à Renée ce mois-ci. (...)
Tu me diras si tu veux que je te fasse l'envoi des cache-nez que j'ai faits aux enfants, à moins d'attendre le mois de juillet, si Henri vient à Paris pour son examen ?
Je termine, ma chérie, en vous envoyant à tous les 3, nos baisers bien tendres, et en vous assurant encore de notre profonde affection.
A bientôt des nouvelles, ma petite Jane, et de tout coeur à toi.
A. Beauser"

jeudi 6 août 2009

28 mars 1936 : André travaille et espère

"Ma chère Jâne,
Depuis que je veux t'écrire ! Ta lettre m'a encore retardé dans cette louable intention de vous écrire pour avoir de vos nouvelles car vous en donner des miennes est accessoire... rien à signaler, toujours pareil, la rotation des saisons seule modifie le programme plus particulièrement chargé en ce brusque printemps après l'hiver que tu sais, hiver au cours duquel on a eu beaucoup à faire pour s'empêcher de pourrir, sans rien entreprendre, etc.
J'espère bien que la presque promesse contenue dans ta lettre se réalisera et qu'Henri n'aura pas à travailler pour sa boîte ou pour son examen à l'occasion de Pâques ni que Jean-Jean ne sera enrhumé, etc.
J'espère aussi qu'on sera au beau fixe, ce qui ne serait vraiment pas dommage. Si les primeurs se vendent cette année en rapport avec la peine qu'on a à les préserver de l'humidité, ça fera de l'or en barre.
Je continue à travailler avec acharnement et sans avoir le temps de penser beaucoup à tout ce qui se passe au-dehors de mes quatre grillages. Famille et Politique m'intéressent toujours au premier chef, mais je n'ai pas le temps d'approfondir, et il y en a des choses qui m'intéressent et que je n'ai pas le temps d'effleurer. Depuis 18 mois vraiment, j'ai oublié bien des habitudes du temps précédent.
J'ai fort envie d'aller au ciné cette semaine voir l'adorable Shirley en souvenir de Zizie mais ce serait un extra incommensurable.
Bon, alors j'espère vous voir le 12 ou 13 avril, à la veille de l'examen d'Henri et de lui exprimer alors mes voeux de succès ; en attendant je me borne à lui recommander d'éviter le bourrage de crâne préalable qui le servirait bien moins que la sérénité.
Je le complimente pour son adhésion au végétarisme, qu'il soit végétarien salubre mais ne se prenne pas pour un ruminant du jour au lendemain.
Je vous embrasse bien en vous attendant, ce qui j'espère se réalisera à point nommé - on fera une photo comme celle que j'ai par hasard sous les yeux, mais avec mon torticolis et mes embarras financiers en moins. Nous enverrons nos voeux de fête collectifs à Odette, ainsi Henri viendra sûrement.
A BIENTÔT, et merci de m'avoir écrit la première."

Mars 1936 : Pot-pourri

La fin de l'année s'est déroulée calmement, l'oeil de Jean a guéri, Suzie n'a presque pas été malade, grâce à l'huile de foie de morue, les marraines font de petits travaux de couture et de décoration. Henri travaille d'arrache-pied pour son examen qui sera le grand évènement du printemps, et la conjoncture n'est pas très gaie. Voilà quelques extraits de la correspondance familiale qui plantent le décor de ce début 1936 :

5 mars :
"Herbert est à la foire de Leipzig avec François Collet content d'avoir un interprète. Voyage de 10 ou 15 jours, souhaitons-lui bonne chance, et juste appréciation de l'état mental du pays. Etes-vous comme nous à l'affût des nouvelles par TSF tous les soirs vers 6 h 1/2 ?"(Marie à Jane)
7 mars :
"Nous voudrions bien aussi que ce pauvre Henri soit débarrassé de cet examen qui lui occasionne surmenage et maux de tête ! Espérons qu'il sera récompensé de sa peine par une réussite complète. Quant à Suzie, nous comprenons parfaitement que vous désiriez la reprendre, et c'est votre droit ; mais ne vaudrait-il pas mieux lui laisser finir l'année scolaire à Montchat, plutôt que de la changer 2 mois avant les vacances ?" (Anna à Jane)
24 mars :
"Dans tous les cas, j'ai bien confiance qu'Henri se recommandera de son côté par ses connaissances et ses aptitudes. En attendant, souhaitons d'avoir un peu de calme, politiquement. Nous venons d'avoir la visite d'Odette et d'échanger nos vues et sentiments sur ce sujet brûlant." (Marie à Jane)
Non datée :
"Cher Henrable, aussitôt ta lettre reçue nous avons couru au "plaisir" (1) à toute vitesse. Et mon flair radiesthésique m'a dit : Le papelard n'est pas dans la caisse aux clous, il est dans la caisse aux charnières. Ayant donc soulevé très discrètement 3 ou 4 de tes vieilles lettres d'antan nous avons mis la main sur le vénérable document, l'avons salué au passage et sans plus attendre, te l'envoyons sous pli recommandé. Puisse-t-il contribuer à ton proche succès si mérité et si méritoire. En tout cas nous avons été heureuse de cette occasion qui nous a permis de revoir, avant de mourir, ta belle écriture. (...) Enfin à part ça tout le monde ici a été bien content de cette avalanche d'écrits. Suzy sautait de joie d'avoir "sa lettre". Elle l'attendait avec impatience tous les jours. Notre Dame de Sévigné vous écrira d'ici peu et vous donnera tous les détails que je ne peux faire entrer sur ce maigre carton. Et je serre dans ce petit coin toute mon affection qui se dilatera sur vous à l'arrivée, cher trio." (Marie-Louise à Henri)

(1) Quelqu'un sait-il au juste ce que désignait ce terme ?

dimanche 26 juillet 2009

De retour

Bonjour,
Attaque de flemme, petite fatigue, doutes et interrogations sur le comment et le pourquoi... Et beaucoup de rangement et de classement trop longtemps retardés.
Jane va revenir, très bientôt. J'espère que vous ne vous êtes pas découragés devant toujours la même page. Encore un tout petit peu de patience !

vendredi 1 mai 2009

Octobre 1935 : Des nouvelles de Jules

Le 21 septembre, Jane a donc quitté Lyon pour retrouver son homme et sa maison, et plonger dans les caisses pour déménager, une fois de plus, vers le quartier St Roch à Nice. Quant à Suzy, elle est restée à Lyon où elle a été inscrite à l'école.

"Ma chère petite Jane,
Nous te remercions beaucoup de ta bonne lettre qui nous a tranquillisés un peu d'après tout ce que tu nous dis, et malgré les inconvénients de la proximité de la mer, nous espérons que ta santé se maintiendra avec des précautions et pas de fatigue.
Cet appartement nous semble tout-à-fait bien comme air, vue et exposition, sans parler du bout de jardin qui sera précieux pour Jean et même pour toi.
Vous voilà en pleine installation et nous pensons que tu as déjà trouvé une femme de ménage, ce qui est essentiel pour toi. Comme tu dois apprécier l'eau et le gaz !!
Nous sommes heureux que vos santés soient bonnes, que l'oeil de Jean ne vous donne plus aucune inquiétude, et qu'Henri n'ait plus ses trajets à faire chaque jour, et pouvant déjeuner confortablement en famille. Nous avons bien pensé à vous et à tout votre remue-ménage, mes chers enfants, car c'est un si mauvais moment à passer.
Je t'enverrai demain le pull-over de Jean et n'ai pu m'en occuper plus tôt, ayant eu une semaine mouvementée ! Dimanche dernier, au moment de déjeuner, Jules nous est arrivé en sanglotant, n'ayant plus un centime en poche. Il était à Paris avec Juliette depuis 1 mois en chambre garnie, et cherchant du travail tous les deux, sans avoir rien trouvé naturellement. Il ont donc mangé en 1 mois ce que Jules a pu gagner cet été, et ont attendu de n'avoir plus rien pour venir nous surprendre. Juliette est repartie chez sa mère il y a 15 jours, et maintenant, Jules ne trouvant aucun travail, nous serons forcés de le réexpédier à Bruxelles avec toutes ses malles, vaisselle, etc. afin de ne plus l'avoir sur le dos, et de lui payer une chambre garnie en attendant qu'il retrouve un logement puisqu'ils avaient quitté l'ancien et envoyé leur lit et leur fourneau à Anvers ! Jules a une chambre aux Batignolles et prend ses repas avec nous ; mais tu dois penser que cette réunion manque de charme et que nous sommes plus... qu'exaspérés contre ces deux imbéciles et entêtés ; ils s'étaient bien gardés de nous écrire pour nous demander conseil et maintenant, il nous faut réparer cette bêtise et payer les pots cassés !...
Nous sommes d'autant plus attristés que ce billet qui vous était destiné va être bien écorné, puisqu'il nous faut parer au plus pressé !! Il est dit que nous n'aurons pas un instant de tranquillité avec eux, car ils sont aussi instables l'un que l'autre.
Ils étaient allés voir Renée, lui demandant de ne rien nous dire. Heureusement que papa travaille encore ce mois-ci, mais il croit bien que ce sera le dernier.
Nous avons sur par les journaux les terribles orages dans la région lyonnaise et tous les dégâts et éboulements.
Tu nous avais parlé de la mort de M. Mouterde. Quant à Hélène D., elle est bien privilégiée de pouvoir continuer sa vie et supporter des grossesses sans accrocs, mais elle peut payer cela dans quelques années, car il ne faut rien exagérer (1).
Nous sommes bien contents que vous ayez de bonnes nouvelles de Suzie et des marraines. N'oublie pas de demander pour le pull-over. Ce sera bien commode d'avoir le car à votre porte et un boucher si près. Espérons que vous n'aurez pas de moustiques à St Roch. Nous n'avons pas de punaises pour le moment.
André vous aura peut-être aidés pour votre emménagement ?
Papa se joint à moi pour vous embrasser tous les 3 bien affectueusement. A toi, ma chérie, nos meilleures tendresses.
A. Beauser"


(1) Hélène Dumas, épouse Lavaux, née en 1902, vient de donner naissance à son troisième enfant.

samedi 25 avril 2009

13 septembre 1935 : Jane se languit

"Mon cher homme,
Excuse mon crayon. Je t'écris au jardin et sur les genoux, en surveillant les gosses. Aujourd'hui il a fait chaud. Le beau temps continue, bonne affaire !
J'espère que tu vas bien et que tu ne te fatigues pas pour chercher un appartement.
Les enfants vont bien. Jean a repris bonne mine et mange assez bien. Le docteur l'a trouvé un peu mieux, ce matin. Il dit que la pupille se dilate un peu, mais que ce sera long. J'y retourne seulement lundi. J'espère qu'on va pouvoir se contenter de 2 visites par semaine, lundi, jeudi, et que je pourrai partir vendredi ou samedi. Je lui demanderai lundi ce qu'il en pense, et je te l'écrirai de suite.
J'aime encore mieux aller à Nice 2 fois par semaine pendant quelque temps, que de rester ici à perpétuité. Car bien que sois bien à Montchat, je préfère être avec toi et chez nous.
Et il y a aussi la question des frais occasionnés par ton restaurant, et les trous aux chaussettes, et les boutons qui manquent, et le reste... qui manque bien aussi un peu ? J'espère avoir de tes nouvelles demain.
André a écrit aux marraines. Il se plaint seulement que le monde est méchant, sans parler de ses affaires. Ça n'est pas pour satisfaire ta pauvre mère, qui aime bien savoir tout en détail.
Hier, nous sommes allés au parc. Les enfants étaient ravis, mais Jean a eu peur de l'éléphant et des loups.
Nous venons d'avoir la visite de Jean Lavaux, qui voulait avoir des nouvelles du petit. Tout le monde va bien à Chausaye. Ils y resteront jusqu'à la fin du mois, si le temps se maintient beau.
Réponds-moi au sujet de notre arrivée. Je te disais que c'était peut-être préférable de remonter à l'Abadie tout de suite à 8 h du soir.
Et voilà, mon petit homme, je te quitte pour aller à la boîte, et acheter du lait. Je te souhaite de passer un bon dimanche ; iras-tu chez André ? Ou bien faut-il que tu bûches ?
Je suis en pensée avec toi et tu me manques bien. Mais c'est la vie.
Je t'embrasse bien fort beaucoup de fois.
Fenon
Bons baisers des mômes et des marraines"

jeudi 23 avril 2009

3 septembre 1935 : Un peu d'eau dans le gaz

"Mon cher vieux marron,
Je trouve ta carte (adressée à Monsieur et Madame H. Reignier) en rentrant du pansement, sous une averse battante. Je suis rassurée sur ton voyage (1), et j'espère que tu as maintenant rattrapé tes mauvaises nuits.
Je suis contente de te dire que le docteur a trouvé Jean mieux qu'hier. La plaie est fermée et la pupille commence à se dilater. Je dois continuer à lui mettre les gouttes d'argyrol et d'atropine 2 fois demain, et nous retournerons voir le docteur jeudi à 11 heures. Il pense que nous pourrons partir au début de la semaine prochaine, et il m'indiquera un bon oculiste à Nice, pour terminer.
Le petit a mieux dormi, je lui avais fait prendre 1/2 comprimé d'aspirine, sur le dire du docteur. Aujourd'hui, il a un peu d'entrain, à part quelques petits moments de fatigue et de souffrance.
Ne t'en fais pas pour mes rapports avec les marraines. Ils sont amicaux. Je comprends qu'elles sont bonnes et nous veulent du bien, seulement, que veux-tu, les caractères ne s'accordent pas toujours parfaitement entre femmes. Et puis, malgré tout ce que tu peux dire pour les excuser, tu sais bien que Marie-Louise n'est pas toujours commode.
Quant à cette petite chose oubliée au pied du lit, elle a eu vite disparu et je ne t'en ai pas gardé rancune une seconde. Il vaut mieux ça qu'un 3ème loupiot.
J'ai reçu une lettre de maman ce matin, que je t'envoie.
Il est bientôt 6 heures. Je vais aller jusqu'à la poste pour que cette lettre parte ce soir.
Au revoir, mon petit homme, soigne-toi bien et ne t'en fais pas. Ménage tes doigts.
Les marraines t'embrassent, les gosses de même, et moi je me serre sur ton vieux coeur.
Ton fenon"

(1) Henri a fait un aller et retour à Lyon pour voir sa femme et ses enfants.

dimanche 19 avril 2009

28 août 1935 : Des nouvelles de l'oeil

"Mon cher homme,
Je t'écris de Montchat où nous sommes installés depuis lundi soir. Henriette m'a bien rendu service, elle a passé la 1ère nuit ici, et les marraines sont arrivées hier après-midi, en auto depuis Montrottier.
Ta mère semble plus vaillante, Marthe a encore bien mal aux jambes. Il lui faudrait du repos, et malheureusement, avec ce déménagement et notre petit blessé, on a pas mal à faire.
Le petit va un peu mieux, mais ses nuits sont toujours un peu agitées. Hier, à l'arrivée des marraines, il a été tellement heureux de retrouver Suzie, qu'il s'est levé de son fauteuil et au ouvert son oeil droit, chose qui ne lui était pas arrivée depuis l'accident. Ce matin, il le tient fermé à nouveau. Je pense qu'il a fait un effort trop grand hier, et qu'il a besoin de le laisser au repos. Il n'a plus du tout de température. La visite au docteur a été satisfaisante, mais c'est bien une corvée. Ces pansements sont un peu douloureux, et le petit a peur. J'y retourne aujourd'hui à 3 heures, et les jours suivants, peut-être jusqu'au milieu de la semaine prochaine, et on partirait après, dans 8 ou 10 jours, si tout va bien. On lui mettra des lunettes pendant quelque temps, pour l'habituer à la lumière.
Je pense que tu m'as écrit à la clinique, j'irai aujourd'hui ou demain pour prendre le mandat que les marraines y ont envoyé. J'ai dû donner 430 F à la clinique, pour 3 jours : 75 F par jour + 157 F pour la salle d'opération et les infirmières (opération non comprise) et 50 F pour les pansements. Ces braves soeurs n'y perdent pas. Heureusement qu'Henriette m'avait apporté de l'argent pour m'aider à régler avant le départ.
Je te remercie pour les photos envoyées à Paris avec souhaits de fête. Et tous nos compliments, elles sont très bien réussies.
C'est regrettable, en effet, que tu ne sois pas allé à St-Cyr avant de quitter Lyon, mais tu sais bien que tout le monde te l'a déconseillé, puisque François ne recevait plus de visites (1). Mais pourquoi n'as-tu pas envoyé de condoléances ? Je t'assure que tu as eu tort. Quant à nous, vu les circonstances, nous sommes tout excusées, et nos cousins le comprendront certainement.
Il pleut depuis plusieurs jours, c'est lamentable, on aurait pourtant bien besoin de beau temps pour retaper Jean qui a déjà perdu sa bonne mine.
Le docteur Rosnoblet m'a dit hier que je n'aurais qu'à lui donner les feuilles d'assurances, il marquera ce qu'il faut, ainsi que la clinique. Je n'aurai qu'à lui donner mon reçu.
Au revoir, mon cher homme. Nous regrettons bien de te sentir si loin de nous en ce moment. J'espère que tu ne te tourmentes pas plus qu'il ne faut. Les marraines t'embrassent, et moi je me serre sur ton vieux coeur.
Fenon"


(1) François Mouterde (cousin germain de Marie), décédé fin juillet.

23 août 1935 : Petit accident, grandes conséquences

Lettre à l'en-tête de la : "Clinique Jeanne d'Arc - Chirurgicale, Médicale, Physiothérapique - 38, cours Albert Thomas" (Lyon)

"Mon cher homme,
Ne te tourmente pas à cause de cette en-tête. Il est arrivé un petit accident à l'oeil gauche de Jean, hier soir. Il était 8 heures, Suzie et lui attendaient Marraine, sur le trottoir, pour partir au lait. Suzie était à cheval sur une branche d'arbre qu'ils avaient rapportée de promenade, et Jean derrière elle. La fatalité a voulu que la branche se relevât à l'arrière et vint se planter dans ce pauvre oeil. Jean a bien pleuré, nous sommes allés chercher le docteur, pensant qu'il avait reçu simplement un coup avec le bâton. Le docteur n'a pas pu faire ouvrir l'oeil. La nuit a été agitée avec beaucoup de pleurs. A 10 heures du matin, nous sommes retournées chercher le Dr qui a pu ouvrir l'oeil après y avoir mis des gouttes de cocaïne. Et nous avons pu voir, hélas ! que l'oeil était blessé.
Je me suis fait descendre jusqu'à Lyon en auto, pour gagner du temps, et accompagnée par Mme Pesson, bien obligeante, nous avons pu voir tout de suite un bon oculiste, rue du Plat, qui nous a envoyés, après examen de l'oeil, dans une clinique, et là, l'oculiste Coleret vient de l'opérer, à 5 heures. Il ne m'a pas caché que c'est sérieux. Il a retiré une grosse épine. Heureusement, elle était plantée obliquement, ç'aurait pu être plus grave. Mais l'oeil a bien souffert, et le docteur ne peut pas me dire encore si la vision (à gauche) sera peu ou bien atteinte. En tout cas, il m'a dit qu'il resterait une tache.
En ce moment, il est 6 heures du soir environ, vendredi. Jean est bien couché dans un petit lit tout blanc, et il repose. Il n'a pas l'air de souffrir. On lui a fait une piqûre antitétanique. Le docteur le reverra demain matin.
Je vais coucher à côté de lui, pendant quelques jours.
Tout cela est fort onéreux, comme tu dois le penser. Je ne peux pas te dire encore combien il nous faudra mais ta mère nous avancera. Veux-tu faire le nécessaire pour les Assurances Sociales ? J'en parlerai au docteur aussi.
Je termine vite pour que ma lettre parte. Je te récrirai bientôt.
Au revoir, mon petit homme, ne t'inquiète pas trop, j'espère que dans quelques jours tout cela ne sera plus qu'un mauvais souvenir.
Je t'embrasse de tout mon coeur.
Ton fenon"

samedi 18 avril 2009

Montrottier 1935 : Photos





















Odette et Gabriel Dumas, Henri, Jane
Jean, Jacky Dumas, Suzie

mardi 14 avril 2009

26 juillet 1935 : Les vacances ne sont pas qu'une partie de plaisir...

"Mon cher brave homme,
Comment vas-tu ? J'espère bien. Ce serait trop dommage qu'un aussi bel homme se fît écraser ou prît froid. Il est vrai qu'avec ces temps si chauds... Ne grilles-tu point ? Nous venons d'avoir 2 jours très lourds, et pourtant, il me semble, à 700 m on devrait avoir un peu plus d'air. Les paysans se plaignent de la sécheresse. Moi j'aime mieux ça que la pluie.
Que te dirai-je de notre nouvelle existence ? Peu de chose. Tu sais qu'on se lève chaque matin pour manger, ménager, coudre, etc., se promener un peu. Jusqu'à présent, nous n'avons fait que deux courtes promenades, le soleil étant chaud, et l'ombre rare, comme tu t'en doutais. Pour trouver un bouquet de sapins, il faut marcher pendant au moins 20 minutes au soleil.
Ta mère va mieux, mais toujours un peu branlante. elle prend ses repas dans sa chambre et se lève tard. Il y a deux jours, M. L. et Marthe se demandaient si elles ne feraient pas bien de la redescendre à Lyon, si les malaises proviennent de l'altitude... Mais ça va un peu mieux. Marthe n'est pas bien brillante non plus.
Suzie est toujours en épanchements tendres avec sa marraine, et elle recommence à me maltraiter, comme l'été dernier.
Nous avons eu une grande conservation (sic) sur la guerre, à en pleurer. Si bien que je me suis sauvée. Figure-toi que les marraines, à Lyon, étaient parties certain jour avec l'intention de s'acheter des masques contre les gaz ; mais n'en ayant pas trouvé à leur mesure, elles n'ont pas fait d'emplette. Elles parlent aussi d'acheter une propriété de 3 ou 4 000 F ! en commun avec nous, dans une campagne privilégiée où on pourrait se réfugier. Tout cela est très bien, qu'en penses-tu ? Il vaut mieux prendre ses précautions...
André a écrit, mais il parle seulement de nous, et pas un mot de lui. Nous saurons sans doute par toi ce qu'il devient. J'espère que tu prendras quelques bains, et que tu passeras un bon moment en famille, à Juan.
Comment te trouves-tu dans ta chambre, pour dormir et travailler ? As-tu des moustiques, du bruit, de la chaleur qui te rendent malheureux pour ne pas changer ? Pauvre homme !
J'espère avoir bientôt une lettre de toi. Jean t'a réclamé, aujourd'hui, tout à coup. Il a demandé quand tu viendrais.
Au revoir, mon cher marron, je commence à avoir envie de t'embrasser. Et toi ? J'espère que tu ne regardes pas trop les beaux pyjamas.
Bons baisers de tout le monde et de ta Femme."


Je pense que Jane et Henri avaient mis en location la maison de l'Abadie pour les vacances, et qu'Henri s'était donc exilé dans une chambre en ville.

samedi 4 avril 2009

23 juillet 1935 : Jane vient d'arriver à Montrottier

"Mon cher homme,
Nous avons fait très bon voyage, seuls jusqu'à Marseille, et j'ai pu rester étendue jusqu'à Avignon. Jean a dormi pas mal, Suzie un peu. Nous venons de faire une bonne sieste réparatrice.
Notre train est arrivé à Perrache à 6 h moins 5 et j'étais à St Paul à 6 h 1/4. Je te souhaite d'avoir cette même chance, mais le trajet en car est fatigant. Nous étions à Montrottier à 9 h.
Ta mère est un peu fatiguée. Elle a eu, hier, beaucoup de palpitations, et le médecin est venu. Aujourd'hui, ça va mieux.
La maison est bien, la campagne est plaisante, le jardin agréable.
Et toi, mon homme, comment vas-tu ? Dors-tu bien, dans ton nouveau gîte ? N'as-tu pas trop chaud ? Je ne t'en écris pas plus long aujourd'hui, parce qu'il se fait tard et que nous allons faire un tour. Il fait très bon et beau.
Au revoir, les marraines t'embrassent bien, les gosses aussi, et moi bien tendrement, vieux marron.
Fenon
J'ai emporté ton peigne, par mégarde, excuse-moi."

31 mai 1935: L'escapade de Grand-mère Jobert, le rippolin, et l'Exposition

"Ma chère petite Jane,
Ta bonne lettre a été la bienvenue comme toujours, et nous sommes heureux de vous savoir tous les 4 bien portants, espérant que la présence de Suzie n'est pas un trop grand surcroît de fatigue pour toi. Du reste, nous pensons bien que tu n'insisteras pas si tu sens que ça ne va pas, car il ne s'agit plus de rechuter maintenant, mais de te fortifier de plus en plus en évitant à tout prix le moindre surmenage !
Tu sais que les marraines ne demandent qu'à te soulager. Je pense qu'elles sont de retour à Montchat ; lorsque je les ai vues à Meudon il y a plus de 15 jours, leur départ n'était pas encore fixé. Il faut espérer qu'elles trouveront une location à leur gré et qui conviendra à tous comme air.
Nous comprenons très bien que tu ne puisses venir à Paris encore cet été, mon Janot, malgré notre grand désir de te revoir ; ce ne serait pas raisonnable à tous les points de vue : fatigue et dépenses. Il faut avant tout songer à ta santé et à celle d'Henri ; et le pauvre a bien besoin de tes soins avec tout son surmenage physique et intellectuel !
Nous sommes bien navrés aussi de ne pouvoir nous offrir un petit voyage auprès de vous, mais plus que jamais il faut se restreindre, et les évènement du jour sont bien angoissants !
La pauvre Gd'Mère a encore fait des siennes en s'échappant de la Providence ! Elle est tombée au square d'Anvers où un agent l'a trouvée et emmenée à Lariboisière avec une épaule démise. On l'a radiographiée, soignée pendant 2 jours, et ramenée dans sa chambre. Elle a le bras immobilisé ; on ne peut la laisser seule un instant, et les nuits surtout sont terribles malgré les calmants ; la garde est bien fatiguée ; pourvu qu'elle tienne le coup. Elle passe maintenant les matinées en plus, et naturellement, les frais augmentent. Tante Henriette est très dévouée, et c'est elle qui a bandé le bras et l'épaule de Gd'Mère, de main de maître ...! Mais la pauvre vient d'être encore arrêtée par un rhume avec fièvre, et Denise également. Elle sort beaucoup trop le soir, et cela ne lui vaut rien. Je l'ai vue hier à la Providence et elle m'a bien demandé de tes nouvelles.
Renée, venue nous voir lundi, nous a invités pour la Pentecôte ; ce sera la dernière fois que nous allons à Boulogne, et le 22, ils déménagent. Ma femme de ménage ira leur aider le dimanche et le lundi. Jean va bien maintenant et nettoie le nouvel appartement à moments perdus : plafonds, peintures, cuisine au rippolin (sic) etc... il y a de quoi faire. (...)
Nous sommes bien contents de la réussite d'André ; et ses excellents légumes ont dû vous faire bien plaisir. Vous devez être en pleine période de beau temps, et nous espérons que tu eux faire ta chaise-longue dehors tous les jours, et continuer à te promener régulièrement avec les enfants.
Heureusement que Suzie est devenue raisonnable, et ne te fait pas trop fâcher. Embrasse-les bien pour nous, ces chers petits.
Je voudrais faire un pull-over à Jean, n'ayant guère travaillé pour lui, et tu serais gentille de m'envoyer un patron en papier avec encolure arrondie. Tu me diras si tu le veux très chaud ou plus léger, et quelle teinte de laine ? Le patron de la manche également.
Si tu veux que j'en fasse un autre pour Suzie, dis-le moi franchement. J'aurai bien le temps de travailler tout l'été.
Papa fait de grandes randonnées au Bois, et des croquis les jours de beau temps.
Reçu hier une lettre de Jules. Depuis le 22 avril, il travaille à l'Exposition, au restaurant du pavillon Danois, et paraît content. Nous voudrions bien que l'Exposition durât 6 ans au lieu de 6 mois !
Je termine, mon Janot, en t'embrassant bien tendrement ainsi que ton cher Henri. Bonnes caresses encore à nos deux "diables" avec tout l'affection de vos parents qui pensent beaucoup à vous.
A. Beauser
Mille baisers de Renée"

mardi 31 mars 2009

11 mai 1935 : Anna donne des nouvelles des Marraines

"Ma chère petite Jane,
Tu dois penser avec quelle impatience nous attendions des nouvelles de votre voyage et si ta bonne lettre a été bien accueillie! Nous craignions tellement pour toi un accès de fatigue avec un rhume par dessus le marché, étant donné ce changement de température !
Heureusement que tout s'est bien passé, et que la séparation n'a pas été trop dure pour M. Louise avec ce voyage à Meudon avant le départ de Suzie.
J'attendais pour t'écrire d'avoir vu ces dames puisque tu nous faisais espérer leur visite. J'ai donc écrit à Mme Reignier qui n'est arrivée à Meudon que lundi soir, ayant eu une grande faiblesse nerveuse les jours précédents. Elle m'a répondu qu'elle ne pourrait circuler pendant son séjour mais que ses filles et sa belle-fille viendraient nous voir vendredi.
Je les avais retenues pour dimanche afin qu'elle se trouvent avec Renée et Jean ; mais les François avaient déjà invité les Dumas ; la réunion n'aurait donc pu avoir lieu, d'autant moins que nous venons de recevoir une lettre de Renée nous demandant d'y aller demain, Jean ayant une crise d'emphysème, et le Dr ne lui permettant pas de sortir avant mardi. Espérons que ce ne sera rien de grave.
Nous avons donc eu la visite de ces dames hier et avons passé ensemble un moment très agréable. La femme de François a été très aimable, et m'a invitée (toute seule) à aller goûter à Meudon mercredi afin de voir Mme Reignier !
Ils déménagent en juillet, leur maison devant se vendre, et n'ont encore rien trouvé.
Mme Reignier a reçu une offre de location pour un joli coin du côté de Bessenay, mais à 675 m d'altitude ; elle doit écrire à son Dr pour lui demander si elle peut se risquer. Ce serait dommage de laisser échapper cela, car cette cure d'air serait très bonne pour les petits et pour toi, et vous ferait grand bien à tous.
Tes belles-soeurs nous ont fait espérer votre visite pour cet été, avec le petit Jean sans doute ; tu penses si ce serait une joie pour nous et si Renée sera heureuse aussi de vous revoir.
Espérons que vous trouverez facilement une location à Cimiez en octobre et que la famille se décidera à vous rejoindre. Nous sommes bien contents de cette perspective d'avenir pour Henri, et souhaitons ardemment qu'il obtienne cette situation dans les Ponts et Chaussées.
Ici, rien de nouveau ; nous ne bougeons guère, et papa fait de grandes randonnées au Bois les jours de beau temps. (...)
Tous les détails sur votre séjour à Lyon nous ont fait plaisir, et en attendant d'autres bonnes nouvelles de tous les 4, nous vous embrassons bien tendrement, mes chers enfants, et vous envoyons toute notre affection.
A toi de tout coeur, mon Janot.
A. Beauser
Les petits doivent être heureux de s'être retrouvés et de jouer ensemble !"

dimanche 29 mars 2009

10 avril 1935 : Marie est émue et inquiête

"Ma chère Jane,
Je suis bien en retard pour vous écrire, mais cependant je ne vais pas mal maintenant, la fièvre n'est pas revenue et les palpitations se calment, mais pour la surdité c'est à peu près de même et toujours assez gênant. Je sais que cela ne peut passer en un jour et ne m'inquiète pas encore trop. Beaucoup de personnes ont eu comme cela des refroidissements qui se sont portés à la tête.
Nous sommes maintenant tout à la pensée de vous revoir bientôt et d'un jour à l'autre nous attendrons l'annonce de votre arrivée.
Jean doit commencer à en parler et à faire ses projets. Se rappelle-t-il un peu Montchat ? Je ne sais encore quel jour viendra François et si ce sera avant ou après Nîmes ? Henri pourrait lui envoyer un mot pour lui dire quels jours il sera ici, ce qui pourra le faciliter.
J'espère qu'Henri ne sera pas aussi pressé qu'à l'ordinaire et aura le temps de revoir son pays et son monde, y compris Paul Dumas qui doit venir aussi avec sa famille pour ces fêtes.
Comme vous le supposez sans peine, nous sommes tout émues à la pensée de nous séparer de notre chère petite, et cependant votre désir est bien naturel. J'espère que M. L. ne se fera pas trop de mauvais sang, avec l'espoir de retrouver souvent sa bien-aimée filleule, mais vous vous comprendrez bien toutes deux, j'espère, dans votre amour partagé, et vous vous ferez mutuellement des concessions sans nuire bien entendu à l'intérêt de la petite chérie.
Dans l'époque angoissante où nous sommes, on ne peut faire de grands projets, à peine pour les vacances, dont nous reparlerons ensemble, mais nous espérons que les circonstances nous permettront de nous rapprocher.
Suzie se réjouit de vous revoir tous et fait de petits projets, mais nous ne lui parlons pas encore de votre intention afin qu'elle n'en parle pas trop elle-même, je crois que cela est préférable.
En ce moment, je suis seule avec elle, qui finit son petit déjeuner toujours laborieux à prendre, bien qu'il passe fort bien. Mes filles sont à un sermon de retraite et ne vont pas tarder à rentrer. Je termine ma lettre et la porterai sans doute avec Suzie à la poste.
Dans ce moment, le jardin est bon et l'on y passe de longues heures.
Toutes nos tendresses, chers Enfants, et restez-nous le plus que vous le pourrez.
Suzie vous embrasse tous bien fort.
Maman"

Début avril 1935 : Anna donne son avis

"Nous avons été bien heureux de vos bonnes nouvelles, ma petite Jane, à part ton rhume de cerveau qui n'a pas été grand'chose, et cette vague de froid accompagnée de neige, et dont il n'est plus question maintenant, espérons-le.
Qu'Henri soigne bien sa constipation, c'est une question importante et qui est la cause de bien des maux. A-t-il essayé la tisane du pays ? Pour ma part, j'y fais grande attention maintenant, et mon hémorroïde a beaucoup diminué. Il ne faut pas s'habituer à prendre le même laxatif qui finit par ne plus agir. Je n'en prends que 2 fois par semaine : cachets de rhubarbe, et comprimés de mucinum en alternant, et m'en trouve très bien ; cela régularise la fonction peu à peu sans fatiguer l'intestin. Les maux de tête d'Henri diminueront certainement.
Nous sommes contents aussi que vous ayez de bonnes nouvelles de Montchat. Formez-vous toujours le projet d'aller à Lyon pour Pâques ? Nous comprenons votre désir de ramener votre fille, mais redoutons pour toi cette grande fatigue, mon Janot ; ce sera sûrement un surcroît de travail dont tu te ressentiras, et qui risquera de tout compromettre ! Tu es en bonne voie de complet rétablissement, mais tu n'es pas suffisamment forte pour pouvoir encore t'occuper des deux enfants ; pour bien faire, il te faudrait encore une année de consolidation pour qu'il n'y ait plus aucune crainte à avoir. Tu as toutes les facilités pour cela, et ce serait dommage de n'en pas profiter ; les marraines ne s'en plaindront pas, et Suzie n'aura ni plus ni moins d'affection pour vous l'année prochaine que cette année ! Les enfant s'habituent si vite aux changements. Nous nous permettons de vous donner notre avis, mes chers enfants, car cette question nous préoccupe beaucoup, et c'est un gros souci ajouté aux autres qu'on ne peut éviter, hélas ! Mais la santé avant tout !
Ici, nous allons bien pour l'instant, et avons déjeuné chez les Jobert mardi dernier. T. Henriette tout-à-fait rétablie, quoique toussant encore beaucoup (tj sa vieille bronchite, dit-elle) mais elle devait faire sa 1ère sortie le lendemain. L'oncle Jean n'a plus reparlé de rien à Papa, et nous ne comptons plus sur lui pour une recommandation. Papa retournera voir les syndics après Pâques.
Hier, Renée et les enfants sont venus déjeuner, et les nouvelles de Jean étaient bonnes. Nous irons à Boulogne dans 15 jours.
Tant mieux si ta belle-soeur a 3 portraits d'enfants en perspective, nous en sommes bien contents pour elle, et c'est un encouragement.
Bons baisers de Renée pour vous trois. Papa se joint à moi, ma chérie, pour t'embrasser mille fois bien tendrement, ainsi que ton cher Henri et ton petit Jean.
Vos parents qui vous aiment beaucoup,
A. Beauser"

mardi 24 mars 2009

Début avril 1935 : Une petite carte de Marthe qui en dit long

"Ma chère Jane,
C'est moi qui ai reçu la lettre avant-hier en revenant de Lyon. Je l'ai lue en-bas au jardin, ayant un peu l'intuition de ce qu'elle pouvait contenir.
Quand je suis montée, elles étaient si gaies que je n'ai pas eu le courage.
Je ferai voir la lettre à Maman bientôt mais pour M. L. je crois qu'il faut lui donner au moins 15 jours de grâce. Est-ce que je pourrais te demander le grand service de récrire (parce qu'elles commencent à être un peu inquiètes) et de parler simplement de votre voyage avec quelques très vagues allusions à Suzy si tu veux, à moins que ce soit pour une prochaine lettre.
Là-dessus je t'embrasse et pardonne-moi.
Marthe"

11 mars 1935 : Renée est débordée

"Ma chère Jane,
Cette fois-ci, tu me forces la main puisque je dois te renvoyer ces jolies photos ; depuis lundi dernier, j'ai l'intention de vraiment t'écrire puisque nous avons vu Germaine (1) le samedi précédent (pour dîner, quel évènement). Elle nous a raconté leur ascension jusqu'à vous et nous avons bien ri ! Ils ne sont guère débrouillards, et au lieu de te donner le mal de les recevoir, et eux d'aller chez vous, ils auraient mieux fait de vous inviter à déjeuner à Nice... bref, nous avons été contents d'avoir de vos nouvelles, et d'entendre dire que votre petit Jean est si intelligent et si sage.
Papa et Maman qui étaient à la maison le lendemain de ce samedi se sont bien intéressés à ces détails. Tu me demandes, ma chère Jane, quelle est leur situation ; je sais que si cela continue, ils seront juste avec leurs petites rentes, mais ils ont un peu d'économies du temps où papa travaillait, et il n'y a pas péril en la demeure, et bien que maman se plaigne à Henriette "on ne pourra bientôt plus manger que des pommes de terre", papa ne se prive pas de fumer, et d'appeler le médecin 4 fois pour une simple grippe de maman, alors qu'il lui aurait fallu un peu plus d'énergie et moins penser à ses petits maux (nez bouché, douleurs un peu de partout provoquées par les efforts pour tousser, etc. etc.)... Tu vois d'ici le tableau, et le pauvre papa, patient, dévoué, calme et souriant. Naturellement, tu as dû en avoir des échos, mais d'une autre cloche. Tout cela pour te dire que vous faites déjà suffisamment en abandonnant votre modeste rente, et si c'est nécessaire, Jean y ajoutera q.q. billets, car nous avons confiance en l'avenir et sa situation se trouve bien améliorée depuis le 1er janvier : il n'y a plus qu'à souhaiter la reprise des affaires qui intéresse tout le monde plus ou moins directement. J'espère surtout que les parents ne vont pas continuer à payer le pain de leur fils pendant trop longtemps (je ne sais si tu es au courant par maman) : ils vivent chez la mère en attendant l'exposition de Bruxelles qui doit leur donner une situation à tous les deux - alors Jules fait la vaisselle et le ménage de sa belle-mère, et reçoit le reste de St Mandé.
Mon cher grand homme est parti samedi pour le Nord ; j'espère qu'il n'aura pas trop froid et que les affaires vont se réveiller un peu. Me voilà seule pour 4 semaines, mais pas inoccupée, car si je fais toute la besogne prévue, je n'aurai pas perdu mon temps : robes à Nany et pour moi, tricots... et aussi quelques nettoyages en vue du déménagement, car nous partons le 1er juillet pour la porte St Cloud. Je t'en reparlerai, mais ce sera plus près pour Jean et Jacques, donc moins fatigant et moins coûteux, et nous prendrons 4 pièces avec confort.
Les études des enfants sont le plus important sujet pour nous maintenant. Jacques marche bien ; Nany est intelligente mais très dissipée, quant à Pierrot, c'est le modèle : toujours 1er avec la croix et le tableau d'honneur. C'est un bon gros qui ne nous donne que des joies.
On s'occupe aussi un peu de piano. Jacques travaille (très en amateur) mais cela n'a pas d'importance ; et Nany prend une leçon tous les 15 jours chez ma marraine ; avec cela 2 cours p. semaine de gymnastique et appareils, et le catéchisme ; il n'y aura bientôt plus de temps pour jouer... mais il y en a tout de même pour se disputer, crier, et faire crier maman ! Au moins tu ne connais pas ces concerts avec un seul ; aussi, si tu veux bien croire ta vieille soeur, laisse donc Suzy avec ses tantes le plus longtemps que tu pourras ; c'est une aide pour toi, d'un prix inestimable, et que je j'ai jamais connue, car avec maman il ne faut compter sur rien, même pas sur un pull-over pour les enfants (je suis obligée de défaire pour recommencer !). Si elle m'entendait, elle s'arracherait les cheveux !
As-tu été au courant de la grippe d'Henriette avec point de congestion pulmonaire ? C'est Denis qui lui a fait piqûres et ventouses, car Jean (2) feint d'ignorer qu'elle est malade. Sais-tu qu'il règne entre eux la plus complète indifférence (physique et morale), que va-t-il en advenir plus tard...
Ce sont des questions qui ne touchent guère la pauvre Gd-Mère, heureusement, car elle en aurait beaucoup de peine. Les vieilles amies Fournier et Bristar (la mère de Mme Legonidec) sont mortes. Je ne sais si elle en est affectée...
Voilà, chers amis, la fin d'un journal qui vaut 3 lettres : on pense souvent à vous, avec le désir de vous voir. Il paraît que la vie et les maisons sont pour rien là-bas. Ce sera peut-être là que nous finirons nos jours, près de vous (ou même avant, espérons).
Beaucoup de bons baisers de tous les petits pour vous 3, et les miens avec, bien affectueux.
Ta vieille soeur,
Renée"


(1) Germaine Herrembrod, soeur de Jean Grethen, et amie de Jane
(2) Jean Jobert, frère d'Anna

mercredi 18 mars 2009

17 février 1935 : Vivement le printemps et la fin des maladies !

"Ma chère Jane,
Bien contentes d'avoir de vos bonnes nouvelles et de constater que Jean-Jean paraît rebelle à la contagion. Il y échappera peut-être. En attendant il se fortifie et la saison devient meilleure. Nous venons d'avoir par ici deux belles journées chaudes qui faisaient penser aux orages, mais qui ne sont sans doute qu'une apparition brusque du printemps. On ne peut cependant espérer que tous les mauvais jours soient passés, c'est trop tôt.
Vos chers parents s'en voient bien cet hiver. Il faut espérer que votre mère sera vite remise à présent et que votre père pourra se reprendre un peu du souci et du travail qu'il a eus ces temps-ci. Il est regrettable que les Grethen se trouvent un peu éloignés d'eux, mais peut-être de leur côté ont-ils eu aussi la grippe ? (...)
Suzie va bien et en ces deux jours elle est sortie cinq fois. Le jardin est encore humide après toutes les dernières neiges mais bientôt il sera plus accueillant et l'on y pourra prolonger les bons effets de la promenade. On tâchera de s'y faire un petit abri, en attendant que les arbres donnent leur ombrage. Pour vous, sans doute ce sera nécessaire aussi de vous garantir du soleil devant la maison, si la tonnelle reste toujours aussi éventée et fraîche. Mais il y aurait bien moyen tout de même de s'y garantir du courant d'air et Henri trouvera bien quelque bonne idée à exécuter. (...)
Suzie passe près de moi : "Tu diras que j'embrasse bien papa et maman" et elle continue à jouer. Elle ne vous oublie pas et rappelle souvent une chose ou l'autre, même très anciennes sur vous ou Henri. Elle est très caressante. Elle a parfois ses moments de révolte mais c'est vite passé, et dans le calme elle écoute bien les raisonnements.
Vous me demandez si elle est travailleuse ? Ce n'est peut-être pas l'adjectif qui lui convient très bien, mais tout de même elle peut s'appliquer un peu plus longuement, et la lecture l'intéresse davantage avec les histoires qu'elle commence à suivre. Le travail manuel n'est pas très en faveur dans ce moment, mais cela reviendra.
Elle a toujours tant à faire avec ses jouets, que souvent elle dit qu'elle n'a pas le temps de jouer, lorsque je l'appelle pour écrire ou autre chose.
Je vous enverrai le 1er livre de lecture de Suzie, dont elle ne se sert plus, et je pense que cela fera votre affaire pour commencer Jean. Aux vacances, le jeu de lettres pourra l'amuser. En attendant, quelques grosses lettres sur petits cartons carrés l'intéresseraient.
C'est lundi quand je termine ma lettre et je viens de recevoir votre mandat, dont remerciements.
Nos filles sont en promenade et lorsqu'elles vont rentrer j'irai porter cette lettre à la boîte en emmenant encore Suzie comme je le fais souvent quand je peux faire un petit tour ; et cela augmente toujours le temps de la promenade. Le beau temps continue et sans cesser le feu, on ouvre souvent la fenêtre. Les violettes reparaissent comme il y a 5 ou 6 semaines, au moment précis où vous nous en aviez envoyé deux ou trois dans une lettre. C'était très drôle.
Mille et mille tendresses de nous 4 pour vous 3.
Maman"