samedi 25 avril 2009

13 septembre 1935 : Jane se languit

"Mon cher homme,
Excuse mon crayon. Je t'écris au jardin et sur les genoux, en surveillant les gosses. Aujourd'hui il a fait chaud. Le beau temps continue, bonne affaire !
J'espère que tu vas bien et que tu ne te fatigues pas pour chercher un appartement.
Les enfants vont bien. Jean a repris bonne mine et mange assez bien. Le docteur l'a trouvé un peu mieux, ce matin. Il dit que la pupille se dilate un peu, mais que ce sera long. J'y retourne seulement lundi. J'espère qu'on va pouvoir se contenter de 2 visites par semaine, lundi, jeudi, et que je pourrai partir vendredi ou samedi. Je lui demanderai lundi ce qu'il en pense, et je te l'écrirai de suite.
J'aime encore mieux aller à Nice 2 fois par semaine pendant quelque temps, que de rester ici à perpétuité. Car bien que sois bien à Montchat, je préfère être avec toi et chez nous.
Et il y a aussi la question des frais occasionnés par ton restaurant, et les trous aux chaussettes, et les boutons qui manquent, et le reste... qui manque bien aussi un peu ? J'espère avoir de tes nouvelles demain.
André a écrit aux marraines. Il se plaint seulement que le monde est méchant, sans parler de ses affaires. Ça n'est pas pour satisfaire ta pauvre mère, qui aime bien savoir tout en détail.
Hier, nous sommes allés au parc. Les enfants étaient ravis, mais Jean a eu peur de l'éléphant et des loups.
Nous venons d'avoir la visite de Jean Lavaux, qui voulait avoir des nouvelles du petit. Tout le monde va bien à Chausaye. Ils y resteront jusqu'à la fin du mois, si le temps se maintient beau.
Réponds-moi au sujet de notre arrivée. Je te disais que c'était peut-être préférable de remonter à l'Abadie tout de suite à 8 h du soir.
Et voilà, mon petit homme, je te quitte pour aller à la boîte, et acheter du lait. Je te souhaite de passer un bon dimanche ; iras-tu chez André ? Ou bien faut-il que tu bûches ?
Je suis en pensée avec toi et tu me manques bien. Mais c'est la vie.
Je t'embrasse bien fort beaucoup de fois.
Fenon
Bons baisers des mômes et des marraines"

jeudi 23 avril 2009

3 septembre 1935 : Un peu d'eau dans le gaz

"Mon cher vieux marron,
Je trouve ta carte (adressée à Monsieur et Madame H. Reignier) en rentrant du pansement, sous une averse battante. Je suis rassurée sur ton voyage (1), et j'espère que tu as maintenant rattrapé tes mauvaises nuits.
Je suis contente de te dire que le docteur a trouvé Jean mieux qu'hier. La plaie est fermée et la pupille commence à se dilater. Je dois continuer à lui mettre les gouttes d'argyrol et d'atropine 2 fois demain, et nous retournerons voir le docteur jeudi à 11 heures. Il pense que nous pourrons partir au début de la semaine prochaine, et il m'indiquera un bon oculiste à Nice, pour terminer.
Le petit a mieux dormi, je lui avais fait prendre 1/2 comprimé d'aspirine, sur le dire du docteur. Aujourd'hui, il a un peu d'entrain, à part quelques petits moments de fatigue et de souffrance.
Ne t'en fais pas pour mes rapports avec les marraines. Ils sont amicaux. Je comprends qu'elles sont bonnes et nous veulent du bien, seulement, que veux-tu, les caractères ne s'accordent pas toujours parfaitement entre femmes. Et puis, malgré tout ce que tu peux dire pour les excuser, tu sais bien que Marie-Louise n'est pas toujours commode.
Quant à cette petite chose oubliée au pied du lit, elle a eu vite disparu et je ne t'en ai pas gardé rancune une seconde. Il vaut mieux ça qu'un 3ème loupiot.
J'ai reçu une lettre de maman ce matin, que je t'envoie.
Il est bientôt 6 heures. Je vais aller jusqu'à la poste pour que cette lettre parte ce soir.
Au revoir, mon petit homme, soigne-toi bien et ne t'en fais pas. Ménage tes doigts.
Les marraines t'embrassent, les gosses de même, et moi je me serre sur ton vieux coeur.
Ton fenon"

(1) Henri a fait un aller et retour à Lyon pour voir sa femme et ses enfants.

dimanche 19 avril 2009

28 août 1935 : Des nouvelles de l'oeil

"Mon cher homme,
Je t'écris de Montchat où nous sommes installés depuis lundi soir. Henriette m'a bien rendu service, elle a passé la 1ère nuit ici, et les marraines sont arrivées hier après-midi, en auto depuis Montrottier.
Ta mère semble plus vaillante, Marthe a encore bien mal aux jambes. Il lui faudrait du repos, et malheureusement, avec ce déménagement et notre petit blessé, on a pas mal à faire.
Le petit va un peu mieux, mais ses nuits sont toujours un peu agitées. Hier, à l'arrivée des marraines, il a été tellement heureux de retrouver Suzie, qu'il s'est levé de son fauteuil et au ouvert son oeil droit, chose qui ne lui était pas arrivée depuis l'accident. Ce matin, il le tient fermé à nouveau. Je pense qu'il a fait un effort trop grand hier, et qu'il a besoin de le laisser au repos. Il n'a plus du tout de température. La visite au docteur a été satisfaisante, mais c'est bien une corvée. Ces pansements sont un peu douloureux, et le petit a peur. J'y retourne aujourd'hui à 3 heures, et les jours suivants, peut-être jusqu'au milieu de la semaine prochaine, et on partirait après, dans 8 ou 10 jours, si tout va bien. On lui mettra des lunettes pendant quelque temps, pour l'habituer à la lumière.
Je pense que tu m'as écrit à la clinique, j'irai aujourd'hui ou demain pour prendre le mandat que les marraines y ont envoyé. J'ai dû donner 430 F à la clinique, pour 3 jours : 75 F par jour + 157 F pour la salle d'opération et les infirmières (opération non comprise) et 50 F pour les pansements. Ces braves soeurs n'y perdent pas. Heureusement qu'Henriette m'avait apporté de l'argent pour m'aider à régler avant le départ.
Je te remercie pour les photos envoyées à Paris avec souhaits de fête. Et tous nos compliments, elles sont très bien réussies.
C'est regrettable, en effet, que tu ne sois pas allé à St-Cyr avant de quitter Lyon, mais tu sais bien que tout le monde te l'a déconseillé, puisque François ne recevait plus de visites (1). Mais pourquoi n'as-tu pas envoyé de condoléances ? Je t'assure que tu as eu tort. Quant à nous, vu les circonstances, nous sommes tout excusées, et nos cousins le comprendront certainement.
Il pleut depuis plusieurs jours, c'est lamentable, on aurait pourtant bien besoin de beau temps pour retaper Jean qui a déjà perdu sa bonne mine.
Le docteur Rosnoblet m'a dit hier que je n'aurais qu'à lui donner les feuilles d'assurances, il marquera ce qu'il faut, ainsi que la clinique. Je n'aurai qu'à lui donner mon reçu.
Au revoir, mon cher homme. Nous regrettons bien de te sentir si loin de nous en ce moment. J'espère que tu ne te tourmentes pas plus qu'il ne faut. Les marraines t'embrassent, et moi je me serre sur ton vieux coeur.
Fenon"


(1) François Mouterde (cousin germain de Marie), décédé fin juillet.

23 août 1935 : Petit accident, grandes conséquences

Lettre à l'en-tête de la : "Clinique Jeanne d'Arc - Chirurgicale, Médicale, Physiothérapique - 38, cours Albert Thomas" (Lyon)

"Mon cher homme,
Ne te tourmente pas à cause de cette en-tête. Il est arrivé un petit accident à l'oeil gauche de Jean, hier soir. Il était 8 heures, Suzie et lui attendaient Marraine, sur le trottoir, pour partir au lait. Suzie était à cheval sur une branche d'arbre qu'ils avaient rapportée de promenade, et Jean derrière elle. La fatalité a voulu que la branche se relevât à l'arrière et vint se planter dans ce pauvre oeil. Jean a bien pleuré, nous sommes allés chercher le docteur, pensant qu'il avait reçu simplement un coup avec le bâton. Le docteur n'a pas pu faire ouvrir l'oeil. La nuit a été agitée avec beaucoup de pleurs. A 10 heures du matin, nous sommes retournées chercher le Dr qui a pu ouvrir l'oeil après y avoir mis des gouttes de cocaïne. Et nous avons pu voir, hélas ! que l'oeil était blessé.
Je me suis fait descendre jusqu'à Lyon en auto, pour gagner du temps, et accompagnée par Mme Pesson, bien obligeante, nous avons pu voir tout de suite un bon oculiste, rue du Plat, qui nous a envoyés, après examen de l'oeil, dans une clinique, et là, l'oculiste Coleret vient de l'opérer, à 5 heures. Il ne m'a pas caché que c'est sérieux. Il a retiré une grosse épine. Heureusement, elle était plantée obliquement, ç'aurait pu être plus grave. Mais l'oeil a bien souffert, et le docteur ne peut pas me dire encore si la vision (à gauche) sera peu ou bien atteinte. En tout cas, il m'a dit qu'il resterait une tache.
En ce moment, il est 6 heures du soir environ, vendredi. Jean est bien couché dans un petit lit tout blanc, et il repose. Il n'a pas l'air de souffrir. On lui a fait une piqûre antitétanique. Le docteur le reverra demain matin.
Je vais coucher à côté de lui, pendant quelques jours.
Tout cela est fort onéreux, comme tu dois le penser. Je ne peux pas te dire encore combien il nous faudra mais ta mère nous avancera. Veux-tu faire le nécessaire pour les Assurances Sociales ? J'en parlerai au docteur aussi.
Je termine vite pour que ma lettre parte. Je te récrirai bientôt.
Au revoir, mon petit homme, ne t'inquiète pas trop, j'espère que dans quelques jours tout cela ne sera plus qu'un mauvais souvenir.
Je t'embrasse de tout mon coeur.
Ton fenon"

samedi 18 avril 2009

Montrottier 1935 : Photos





















Odette et Gabriel Dumas, Henri, Jane
Jean, Jacky Dumas, Suzie

mardi 14 avril 2009

26 juillet 1935 : Les vacances ne sont pas qu'une partie de plaisir...

"Mon cher brave homme,
Comment vas-tu ? J'espère bien. Ce serait trop dommage qu'un aussi bel homme se fît écraser ou prît froid. Il est vrai qu'avec ces temps si chauds... Ne grilles-tu point ? Nous venons d'avoir 2 jours très lourds, et pourtant, il me semble, à 700 m on devrait avoir un peu plus d'air. Les paysans se plaignent de la sécheresse. Moi j'aime mieux ça que la pluie.
Que te dirai-je de notre nouvelle existence ? Peu de chose. Tu sais qu'on se lève chaque matin pour manger, ménager, coudre, etc., se promener un peu. Jusqu'à présent, nous n'avons fait que deux courtes promenades, le soleil étant chaud, et l'ombre rare, comme tu t'en doutais. Pour trouver un bouquet de sapins, il faut marcher pendant au moins 20 minutes au soleil.
Ta mère va mieux, mais toujours un peu branlante. elle prend ses repas dans sa chambre et se lève tard. Il y a deux jours, M. L. et Marthe se demandaient si elles ne feraient pas bien de la redescendre à Lyon, si les malaises proviennent de l'altitude... Mais ça va un peu mieux. Marthe n'est pas bien brillante non plus.
Suzie est toujours en épanchements tendres avec sa marraine, et elle recommence à me maltraiter, comme l'été dernier.
Nous avons eu une grande conservation (sic) sur la guerre, à en pleurer. Si bien que je me suis sauvée. Figure-toi que les marraines, à Lyon, étaient parties certain jour avec l'intention de s'acheter des masques contre les gaz ; mais n'en ayant pas trouvé à leur mesure, elles n'ont pas fait d'emplette. Elles parlent aussi d'acheter une propriété de 3 ou 4 000 F ! en commun avec nous, dans une campagne privilégiée où on pourrait se réfugier. Tout cela est très bien, qu'en penses-tu ? Il vaut mieux prendre ses précautions...
André a écrit, mais il parle seulement de nous, et pas un mot de lui. Nous saurons sans doute par toi ce qu'il devient. J'espère que tu prendras quelques bains, et que tu passeras un bon moment en famille, à Juan.
Comment te trouves-tu dans ta chambre, pour dormir et travailler ? As-tu des moustiques, du bruit, de la chaleur qui te rendent malheureux pour ne pas changer ? Pauvre homme !
J'espère avoir bientôt une lettre de toi. Jean t'a réclamé, aujourd'hui, tout à coup. Il a demandé quand tu viendrais.
Au revoir, mon cher marron, je commence à avoir envie de t'embrasser. Et toi ? J'espère que tu ne regardes pas trop les beaux pyjamas.
Bons baisers de tout le monde et de ta Femme."


Je pense que Jane et Henri avaient mis en location la maison de l'Abadie pour les vacances, et qu'Henri s'était donc exilé dans une chambre en ville.

samedi 4 avril 2009

23 juillet 1935 : Jane vient d'arriver à Montrottier

"Mon cher homme,
Nous avons fait très bon voyage, seuls jusqu'à Marseille, et j'ai pu rester étendue jusqu'à Avignon. Jean a dormi pas mal, Suzie un peu. Nous venons de faire une bonne sieste réparatrice.
Notre train est arrivé à Perrache à 6 h moins 5 et j'étais à St Paul à 6 h 1/4. Je te souhaite d'avoir cette même chance, mais le trajet en car est fatigant. Nous étions à Montrottier à 9 h.
Ta mère est un peu fatiguée. Elle a eu, hier, beaucoup de palpitations, et le médecin est venu. Aujourd'hui, ça va mieux.
La maison est bien, la campagne est plaisante, le jardin agréable.
Et toi, mon homme, comment vas-tu ? Dors-tu bien, dans ton nouveau gîte ? N'as-tu pas trop chaud ? Je ne t'en écris pas plus long aujourd'hui, parce qu'il se fait tard et que nous allons faire un tour. Il fait très bon et beau.
Au revoir, les marraines t'embrassent bien, les gosses aussi, et moi bien tendrement, vieux marron.
Fenon
J'ai emporté ton peigne, par mégarde, excuse-moi."

31 mai 1935: L'escapade de Grand-mère Jobert, le rippolin, et l'Exposition

"Ma chère petite Jane,
Ta bonne lettre a été la bienvenue comme toujours, et nous sommes heureux de vous savoir tous les 4 bien portants, espérant que la présence de Suzie n'est pas un trop grand surcroît de fatigue pour toi. Du reste, nous pensons bien que tu n'insisteras pas si tu sens que ça ne va pas, car il ne s'agit plus de rechuter maintenant, mais de te fortifier de plus en plus en évitant à tout prix le moindre surmenage !
Tu sais que les marraines ne demandent qu'à te soulager. Je pense qu'elles sont de retour à Montchat ; lorsque je les ai vues à Meudon il y a plus de 15 jours, leur départ n'était pas encore fixé. Il faut espérer qu'elles trouveront une location à leur gré et qui conviendra à tous comme air.
Nous comprenons très bien que tu ne puisses venir à Paris encore cet été, mon Janot, malgré notre grand désir de te revoir ; ce ne serait pas raisonnable à tous les points de vue : fatigue et dépenses. Il faut avant tout songer à ta santé et à celle d'Henri ; et le pauvre a bien besoin de tes soins avec tout son surmenage physique et intellectuel !
Nous sommes bien navrés aussi de ne pouvoir nous offrir un petit voyage auprès de vous, mais plus que jamais il faut se restreindre, et les évènement du jour sont bien angoissants !
La pauvre Gd'Mère a encore fait des siennes en s'échappant de la Providence ! Elle est tombée au square d'Anvers où un agent l'a trouvée et emmenée à Lariboisière avec une épaule démise. On l'a radiographiée, soignée pendant 2 jours, et ramenée dans sa chambre. Elle a le bras immobilisé ; on ne peut la laisser seule un instant, et les nuits surtout sont terribles malgré les calmants ; la garde est bien fatiguée ; pourvu qu'elle tienne le coup. Elle passe maintenant les matinées en plus, et naturellement, les frais augmentent. Tante Henriette est très dévouée, et c'est elle qui a bandé le bras et l'épaule de Gd'Mère, de main de maître ...! Mais la pauvre vient d'être encore arrêtée par un rhume avec fièvre, et Denise également. Elle sort beaucoup trop le soir, et cela ne lui vaut rien. Je l'ai vue hier à la Providence et elle m'a bien demandé de tes nouvelles.
Renée, venue nous voir lundi, nous a invités pour la Pentecôte ; ce sera la dernière fois que nous allons à Boulogne, et le 22, ils déménagent. Ma femme de ménage ira leur aider le dimanche et le lundi. Jean va bien maintenant et nettoie le nouvel appartement à moments perdus : plafonds, peintures, cuisine au rippolin (sic) etc... il y a de quoi faire. (...)
Nous sommes bien contents de la réussite d'André ; et ses excellents légumes ont dû vous faire bien plaisir. Vous devez être en pleine période de beau temps, et nous espérons que tu eux faire ta chaise-longue dehors tous les jours, et continuer à te promener régulièrement avec les enfants.
Heureusement que Suzie est devenue raisonnable, et ne te fait pas trop fâcher. Embrasse-les bien pour nous, ces chers petits.
Je voudrais faire un pull-over à Jean, n'ayant guère travaillé pour lui, et tu serais gentille de m'envoyer un patron en papier avec encolure arrondie. Tu me diras si tu le veux très chaud ou plus léger, et quelle teinte de laine ? Le patron de la manche également.
Si tu veux que j'en fasse un autre pour Suzie, dis-le moi franchement. J'aurai bien le temps de travailler tout l'été.
Papa fait de grandes randonnées au Bois, et des croquis les jours de beau temps.
Reçu hier une lettre de Jules. Depuis le 22 avril, il travaille à l'Exposition, au restaurant du pavillon Danois, et paraît content. Nous voudrions bien que l'Exposition durât 6 ans au lieu de 6 mois !
Je termine, mon Janot, en t'embrassant bien tendrement ainsi que ton cher Henri. Bonnes caresses encore à nos deux "diables" avec tout l'affection de vos parents qui pensent beaucoup à vous.
A. Beauser
Mille baisers de Renée"