dimanche 23 août 2009

24 juin 1936 : Grèves et préparatifs de vacances

"Ma chère Jane,
Bien merci de nous avoir vite écrit : On est tellement désireux d'avoir des nouvelles. Mais pour le pauvre Henri ce n'est pas drôle de n'avoir pas réussi dans cet examen qui est vraiment bien difficile. Par bonheur, il est tenace et courageux et son tour viendra d'être admis. Il n'a plus beaucoup à attendre la nouvelle épreuve et voici que la grève s'est chargée de lui donner un peu de temps pour l'étude. Où en est-on à ce jour des pourparlers ? La bonne cause sera-t-elle victorieuse et rapidement ?
Vous voyez sans doute par les journaux que pour Lyon les conflits traînent en longueur et que le calme commence à devenir difficile. Il y a beaucoup de mécontents, et la grève des trains jointe à celle des restaurants gêne terriblement tous ceux de la banlieue qui vont travailler loin. Nous entendons quelques éclats de voix de notre voisin à ce sujet. Enfin il y a un peu d'orage dans l'air malgré la froideur apparente des Lyonnais.
La chaleur de la température se relève aussi et vous devez commencer à la sentir. Henri et Suzie doivent savoir ce qu'il en est pour leurs courses au soleil. Avec cette crise de vers, vous gardez peut-être un peu la petite avec vous ? C'est dommage qu'il faille la purger avec le temps chaud ! Mais quand il y a urgence... J'espère qu'elle n'en sera pas trop éprouvée et que la campagne bientôt lui fera du bien. A moins d'imprévu, nous comptons toujours partir le 6 ou le 7. Nous serons bien contentes de voir arriver nos petits avec leur père, mais combien c'eût été mieux de vous voir aussi, si les circonstances ne vous tenaient inquiète en ce moment. Souhaitons que cela s'améliore vite et vous donne à l'un et à l'autre la possibilité de prendre un peu de repos bien utile.
Nous formons ces voeux et d'autres encore avec une tendresse plus pénétrante si possible au jour de votre fête, ma chère Jane, et de celle de Jean Jean. Nous confions nos désirs et nos prières à votre Saint Patron.
Je pense que vous serez un peu en correspondance avec André si vous n'arrivez pas à vous rejoindre. De mon côté j'attends des nouvelles de lui.
Le ruisseau dont parle M. Louise à Suzie est l'Azergues et passe en bas du village, mais nous ne pouvons évaluer la distance. Nous achèterons une carte comme celle que nous avions pour Montrottier.
Oui, nous garderons ces chers petits avec bonheur tant que vous voudrez. Vous connaissez notre immense tendresse qui sait être ferme aussi quand il le faut. Soyez sans soucis en attendant votre venue.
La chaleur me fatigue aujourd'hui, et je termine en vous embrassant bien fort tous les quatre pour nous trois.
Maman"

10 mai 1936 : Emotions contrastées

"C'est avec anxiété que nous attendions ta bonne lettre, mon Janot, pensant apprendre le résultat de l'examen d'Henri. Nous avons été bien déçus ! Mais nous osons malgré tout espérer, vu la modestie d'Henri, que ses épreuves de math n'auront pas été aussi mauvaises qu'il le croit, et que le croquis, la levée de plan et surtout son dessin, compenseront peut-être le reste. En tout cas, il fait bien de ne pas se décourager puisqu'il pourra se représenter en juillet ; d'ici là il aura le temps de bûcher un peu ses math, mais sans se surmener ni exagérer le travail, car sa santé est plus précieuse que tout le reste !
Vous avez eu une excellent idée de faire ces deux belles promenades samedi et dimanche, cela vous a distrait et fait du bien à tous les trois. Ce petit jardin dont vous avez la jouissance est vraiment précieux pour Jean surtout, et tu peux sans doute t'y reposer un moment après le déjeuner, lorsque le temps le permet.
La petite photo prise chez André nous a fait bien plaisir, on devine Jean, et cette maison d'André a très bon aspect.
Henri est peut-être à Montchat aujourd'hui ; ce sera une grande joie pour vous de revoir votre Suzie, mais certainement un gros chagrin pour les marraines que cette séparation. Aussi se décideront-elles à partir pour Meudon si Mme Reignier peut entreprendre le voyage sans qu'il y ait danger.
Ici, tj rien de nouveau pour papa, hélas ! et cela devient inquiétant. Il ira une dernière fois relancer ces messieurs, mais je ne me fais guère d'illusion. (Inutile de compter sur l'oncle Jean!)
Nous avons déjeuné avec les 5 samedi dernier, et Jean devait partir pour la Hollande le lendemain ; il a dû revenir hier, et il viendront à St Mandé dimanche prochain. Nany fait sa Première Communion le 28 mai et ce n'est pas la besogne qui manque à Renée ce mois-ci. (...)
Tu me diras si tu veux que je te fasse l'envoi des cache-nez que j'ai faits aux enfants, à moins d'attendre le mois de juillet, si Henri vient à Paris pour son examen ?
Je termine, ma chérie, en vous envoyant à tous les 3, nos baisers bien tendres, et en vous assurant encore de notre profonde affection.
A bientôt des nouvelles, ma petite Jane, et de tout coeur à toi.
A. Beauser"

jeudi 6 août 2009

28 mars 1936 : André travaille et espère

"Ma chère Jâne,
Depuis que je veux t'écrire ! Ta lettre m'a encore retardé dans cette louable intention de vous écrire pour avoir de vos nouvelles car vous en donner des miennes est accessoire... rien à signaler, toujours pareil, la rotation des saisons seule modifie le programme plus particulièrement chargé en ce brusque printemps après l'hiver que tu sais, hiver au cours duquel on a eu beaucoup à faire pour s'empêcher de pourrir, sans rien entreprendre, etc.
J'espère bien que la presque promesse contenue dans ta lettre se réalisera et qu'Henri n'aura pas à travailler pour sa boîte ou pour son examen à l'occasion de Pâques ni que Jean-Jean ne sera enrhumé, etc.
J'espère aussi qu'on sera au beau fixe, ce qui ne serait vraiment pas dommage. Si les primeurs se vendent cette année en rapport avec la peine qu'on a à les préserver de l'humidité, ça fera de l'or en barre.
Je continue à travailler avec acharnement et sans avoir le temps de penser beaucoup à tout ce qui se passe au-dehors de mes quatre grillages. Famille et Politique m'intéressent toujours au premier chef, mais je n'ai pas le temps d'approfondir, et il y en a des choses qui m'intéressent et que je n'ai pas le temps d'effleurer. Depuis 18 mois vraiment, j'ai oublié bien des habitudes du temps précédent.
J'ai fort envie d'aller au ciné cette semaine voir l'adorable Shirley en souvenir de Zizie mais ce serait un extra incommensurable.
Bon, alors j'espère vous voir le 12 ou 13 avril, à la veille de l'examen d'Henri et de lui exprimer alors mes voeux de succès ; en attendant je me borne à lui recommander d'éviter le bourrage de crâne préalable qui le servirait bien moins que la sérénité.
Je le complimente pour son adhésion au végétarisme, qu'il soit végétarien salubre mais ne se prenne pas pour un ruminant du jour au lendemain.
Je vous embrasse bien en vous attendant, ce qui j'espère se réalisera à point nommé - on fera une photo comme celle que j'ai par hasard sous les yeux, mais avec mon torticolis et mes embarras financiers en moins. Nous enverrons nos voeux de fête collectifs à Odette, ainsi Henri viendra sûrement.
A BIENTÔT, et merci de m'avoir écrit la première."

Mars 1936 : Pot-pourri

La fin de l'année s'est déroulée calmement, l'oeil de Jean a guéri, Suzie n'a presque pas été malade, grâce à l'huile de foie de morue, les marraines font de petits travaux de couture et de décoration. Henri travaille d'arrache-pied pour son examen qui sera le grand évènement du printemps, et la conjoncture n'est pas très gaie. Voilà quelques extraits de la correspondance familiale qui plantent le décor de ce début 1936 :

5 mars :
"Herbert est à la foire de Leipzig avec François Collet content d'avoir un interprète. Voyage de 10 ou 15 jours, souhaitons-lui bonne chance, et juste appréciation de l'état mental du pays. Etes-vous comme nous à l'affût des nouvelles par TSF tous les soirs vers 6 h 1/2 ?"(Marie à Jane)
7 mars :
"Nous voudrions bien aussi que ce pauvre Henri soit débarrassé de cet examen qui lui occasionne surmenage et maux de tête ! Espérons qu'il sera récompensé de sa peine par une réussite complète. Quant à Suzie, nous comprenons parfaitement que vous désiriez la reprendre, et c'est votre droit ; mais ne vaudrait-il pas mieux lui laisser finir l'année scolaire à Montchat, plutôt que de la changer 2 mois avant les vacances ?" (Anna à Jane)
24 mars :
"Dans tous les cas, j'ai bien confiance qu'Henri se recommandera de son côté par ses connaissances et ses aptitudes. En attendant, souhaitons d'avoir un peu de calme, politiquement. Nous venons d'avoir la visite d'Odette et d'échanger nos vues et sentiments sur ce sujet brûlant." (Marie à Jane)
Non datée :
"Cher Henrable, aussitôt ta lettre reçue nous avons couru au "plaisir" (1) à toute vitesse. Et mon flair radiesthésique m'a dit : Le papelard n'est pas dans la caisse aux clous, il est dans la caisse aux charnières. Ayant donc soulevé très discrètement 3 ou 4 de tes vieilles lettres d'antan nous avons mis la main sur le vénérable document, l'avons salué au passage et sans plus attendre, te l'envoyons sous pli recommandé. Puisse-t-il contribuer à ton proche succès si mérité et si méritoire. En tout cas nous avons été heureuse de cette occasion qui nous a permis de revoir, avant de mourir, ta belle écriture. (...) Enfin à part ça tout le monde ici a été bien content de cette avalanche d'écrits. Suzy sautait de joie d'avoir "sa lettre". Elle l'attendait avec impatience tous les jours. Notre Dame de Sévigné vous écrira d'ici peu et vous donnera tous les détails que je ne peux faire entrer sur ce maigre carton. Et je serre dans ce petit coin toute mon affection qui se dilatera sur vous à l'arrivée, cher trio." (Marie-Louise à Henri)

(1) Quelqu'un sait-il au juste ce que désignait ce terme ?