dimanche 25 octobre 2009

31 octobre 1936 : Suzie de retour à Lyon

"Ma chère Jane,
Quelques mots pour vous dire que le voyage de Suzie a été très bon, qu'elle a bien déjeuné avec ses bons sandwichs et autres provisions, que la rencontre à Valence s'est opérée bien facilement, de même que l'arrivée à Montchat et que ce matin après une nuit d'un seul sommeil, elle est en train de ranger ses affaires avec Marraine. Tout à l'heure, elle ira au marché et reprendra la classe mardi matin. Nous avons eu très beau temps pendant tout le séjour des Meudoniens et j'espère que cela continuera encore.
Germaine est repartie hier avec ses petites en même temps que Marthe prenait son train pour Valence. Marthe a trouvé plaisante la petite ville.
Vous nous donnerez bientôt de vos nouvelles, ma chère Jane, ainsi que nous des nôtres, et j'espère que vous allez bien vous reposer et vous sentir plus forte avant que vienne l'hier.
Suzie a bien bonne mine et paraît encore grandie. On veillera à ce qu'elle se fortifie encore et devienne bien raisonnable.
Mille tendresses de nous quatre à vous trois, et qu'Henri chasse vite ses migraines.
Maman"

23 octobre 1936 : Catastrophe

"Ma chère petite Jane,
Tu dois penser si nous avons été attristés au reçu de ta lettre, et désolés de ce malencontreux coup de froid qui t'a fatiguée de nouveau et vous occasionne bien des complications ! Je te dirai que nous n'étions qu'à moitié tranquilles de te savoir revenue à Nice, et pas suffisamment loin de la mer ! Mais si le Dr dit que vous êtes bien à St Roch, il n'y a qu'à s'en rapporter à lui, descendre à Nice le plus rarement possible et continuer surtout à te reposer et à éviter toute fatigue.
C'était bien à prévoir que tu ne pourrais t'occuper des deux enfants sans danger ; aussi votre décision de la renvoyer à Lyon est excellente et ses tantes en seront heureuses. Puisque elles ne demandent qu'à s'en occuper, et que la petite travaille bien à l'école, on ne peut demander mieux pour l'instant. L'essentiel c'est ta santé et celle d'Henri ; sans cette chose précieuse, tout va mal. Dans un sens, il est préférable que tu aies revu le Dr afin de savoir où en sont tes poumons ; du moment qu'il y en a un de complètement calcifié, c'est le principal, et en ne faisant aucune imprudence, l'autre finira par guérir à la longue, c'est inévitable. En voyant le Dr tous les mois, tu sauras exactement où tu en es, et ce que tu dois faire. C'est uniquement une question de temps.
Si Henri a l'occasion de confier Suzie à un contrôleur du PLM, il est préférable qu'il s'évite la fatigue et la dépense du voyage.
Heureusement que vous avez trouvé une jeune fille qui te rendra bien des services tous les matins jusqu'au départ de Suzie. Enfin, mes chers enfants, nous pensons à vous sans cesse, prenant une part immense à tous vos tourments qui sont les nôtres, et nous font oublier tous nos soucis personnels qui ne sont rien à côté ! Mais nous déplorons surtout cette triste situation qui nous empêche de faire pour vous tout ce que nous désirons tant ! Papa continue ses démarches, tj. sans résultat. Il va tous les jeudis chez Renée passer la journée et faire travailler Jacques (allemand et géométrie), cela le distrait, et moi je vais chez Gd'Mère. Jean doit partir demain pour Bruxelles où il a qq. affaires en train. Je ne les reverrai que le dimanche après la Toussaint à St Mandé.
A part cela, rien de nouveau, les santés sont bonnes ; je souffre seulement depuis 3 semaines d'une forte douleur dans le dos (rhumatisme sans doute) occasionnée au moment des 1ers froids. (...) Ci-joint ce petit billet pour tes fortifiants. Soigne-toi bien, mon Janot, et prends patience. Il y a déjà une grande amélioration ; la guérison du poumon gauche viendra comme celle de l'autre.
Renée est bien peinée de te savoir souffrante ! Elle se joint à nous deux pour t'embrasser bien affectueusement, ainsi qu'Henri et les petits.
A toi encore, ma chérie, mille baisers avec notre meilleure tendresse.
Tes parents tout dévoués.
A. Beauser"

dimanche 11 octobre 2009

29 septembre 1936 : Le temps change

"Ma chère Jane,
Nous recevons ce matin votre lettre de samedi, et nous partageons bien vivement votre déception pour l'examen. Nous n'aurions jamais cru que c'était si difficile, car Henri a beaucoup travaillé et savait beaucoup auparavant ; il n'y a pas à dire non.
Nous espérons qu'il ne se tracassera pas trop quand même et prendra un peu de répit en attendant nouvelle détermination.
Nous commençons à préparer notre départ et nous attendrons Henri samedi dès le matin s'il peut être libre et nous aurions ainsi le plaisir de le voir un peu plus longtemps et lui le temps de se mieux reprendre du voyage. Nos enfants vont bien et profitent de la campagne malgré le temps changeant : hier pluie, et froid vif ! aujourd'hui beau temps et vent du nord. On a trouvé des promenades nouvelles et elles sont vraiment variées par ici.
Nous avons eu samedi Jacky, Ginette et Robert pendant que les parents assistaient à la fête des 25 ans de mariage de Joseph et Suzanne à Jonzy. Il y avait 60 personnes ! Les parents Dumas y étaient aussi avec les Biass, mais ils n'ont pas passé vers nous ayant laissé les autres enfants à Lyon.
Merci pour les nouvelles d'André. On en sais toujours un peu plus sur ce cher excité, bien qu'il ait profité d'une pluie diluvienne pour nous écrire un peu.
Oui, nos petits nous manqueront ! Nous tâchons de ne penser qu'à leur revoir pas trop lointain, mais cela changera notre existence malgré toutes les occupations que l'on cherchera à avoir mais qui ne seront pas toujours faciles à trouver.
Vous nous écrirez souvent avec beaucoup de détails, ma chère Jane, et cela nous aidera à patienter.
Nous vous embrassons tous bien tendrement."

2 septembre 1936 : Jane va bientôt retrouver son homme

"Mon cher vieux marron,
Merci de ta dernière lettre, reçue ce matin. Je suis bien contente de te savoir allant bien, et ne suis pas fâchée de voir se tirer mon temps de retraite au couvent. Je verrai aussi, de mes yeux, si tu es vraiment en bonne forme, et je te ferai de la marmelade de fruits tapés, façon Marie-Louise. Il faudra que je me débrouille pour remplir nos pots de figues et autres fruits.
As-tu reçu mes fromages ? Comme tu ne m'en parles pas, je commence à concevoir quelques craintes à leur endroit. En tout cas, j'en ai commandé 2 autres pour emporter. La charcutière me met de côté 3 saucissons. Je te remercie de m'avoir envoyé ces 400 F. Je pensais d'abord que tu avais fait un héritage, avant de réfléchir que tu avais été payé plus tôt, vu le départ de ces messieurs. Comme tu me le dis, je donnerai ce qu'il convient à ta mère, et me garderai quelque chose.
J'espère que tu n'as pas trop à faire à l'usine, que ton chameau de singe ne te gène pas trop, et que ces travaux d'assainissement du sol ne te font pas respirer trop de microbes. Ce sera sans doute une bonne amélioration.
Oui, moi aussi, je suis contente de passer environ 3 semaines de calme avec toi, avant de reprendre nos terribles. On tâchera de retourner une fois au cinéma, et de bien prendre l'air le dimanche. Je veux bien qu'on aille voir André. (...)
Oui, mon homme, je prendrai mon billet pour Riquier. Puisque tu peux amener la bagnole, ce sera bien plus simple en effet. Et je t'en remercie et je te dis à bientôt.
Les marraines ne vont pas mal. Marie-Louise a été fatiguée pendant 2 jours, je ne sais pas au juste si cela venait du physique, du moral ou des deux. C'est toujours un peu mystérieux.
Au revoir, mon cher époux, reçois les baisers nombreux de toute la maisonnée, et les plus tendres de ta vieille femme."

25 août 1936 : Après le passage d'Henri, les vacances continuent

"Mon cher vieil homme,
J'ai reçu hier ta 1ère lettre, ce matin la seconde. Je suis donc vernie. Je te remercie d'abord pour tes déclarations d'amour et de fidélité, ensuite pour les détails que tu me donnes sur ta vie quotidienne. Je suis contente d'apprendre que ton mal de gorge s'est vite passé, et j'espère et souhaite que tu n'en aies pas trop marre de faire ta "bectance". Sinon télégraphie-moi. Tu sais que le but de ma vie est de travailler à l'arrondissement de tes formes esthétiques.
Donc, j'ai écrit hier à mon cher père dont j'ai presque failli oublier la fête. Pauvre de moi !
Aussi, j'ai reçu ce matin une lettre délicieuse de cette chère tante Angèle (1), m'invitant à Villefranche pour le 3, ou le 4, ou le 5. (...) Je vais lui écrire que j'irai le 3 avec les gosses. (...)
Dimanche nous avons eu Thérèse (2) et son mari, aux deux repas. Journée animée, Herbert était charmant et un peu excité. Il n'a pas arrêté de chahuter avec les gosses. Leurs enfants sont en Haute-Loire, à 800 m, avec les grands-parents et Hélène, dans une maison de 8 pièces, bien située. Il ont cueilli beaucoup d'airelles, de quoi faire 15 pots de confiture. Odette est à 10 km, avec Alberte. Elle y passe un mois. Pendant ce temps, Gab a une f. de ménage qui lui prépare ses repas et il a aussi une bonne crèmerie.
Nous allons bien. Ta mère était un peu fatiguée ces derniers jours ; aujourd'hui elle va bien. Quant à Marthe, elle a eu encore la migraine pendant 1 jour 1/2 ; assurément elle n'a pas bonne mine, mais elle dit qu'à part quelques migraines de temps à autre, et un peu de palpitations, elle ne va pas mal. Je ne sais pas trop qu'en penser. Il est certain que leur existence sans but est peu gaie, et qu'elles sont trop restées des petites filles soumises, alors qu'elles auraient besoin de tout autre chose... Il me semble que j'en serais morte ou que j'aurais pris mon vol.
Pour parler d'autre chose, n'aurais-tu pas emporté par mégarde, avec du linge sale, une paire de chaussettes beiges à Jean, toutes neuves ? Leur disparition me déconcerte.
Les travaux du puits sont toujours en cours. Les maçons l'ont vidé à la pompe, pendant des heures, et ils vident le fond au seau, un homme puisant au fond du trou. Hier, ils étaient furieux contre le propriétaire qui n'a pas voulu mettre la pompe des pompiers, parce qu'il fallait six hommes. Chaque fois qu'il vient, il trouve toujours qu'on en fait trop. Encore un à pendre la prochaine fois.
Il fait très beau, plutôt chaud dans le milieu du jour. Au revoir, mon homme, dis-moi bien si tu es fatigué, si tu as beaucoup de travail à l'usine. Je peux très bien rentrer plus tôt. Je t'embrasse plusieurs fois bien fort. Bons baisers de tous."

(1) Rosenthal, amie très chère d'Anna
(2) Dumas, épouse Biass