dimanche 15 juin 2008

2 août 1928 : Encore des "balivernes"

"Mon chien que j'aime bien :
A propos de cette appellation aimée, hier soir, comme nous faisions une promenade au clair de lune, François, M-L and me, nous vînmes à parler de toi ainsi, et le pauvre Kozak, choqué, s'est écrié : "Et vous voulez que je marie ?".
Mon pauvre petit loup, cette histoire de coup de marteau m'a fort attristée. Mais, au fait, je ne suis pas tout à fait sûre que tu n'aies pas exagéré la chose dans le but, fort compréhensible d'ailleurs, de te faire plaindre et de m'émouvoir. N'importe, j'en suis peinée et je t'embrasse bien fort pour te consoler. Cela te gêne-t-il pour travailler ?
Tu vois, André m'a donné une belle plume J toute neuve, alors ça va mieux.
Rien de nouveau dans cette campagne monotone. Mais on y est en famille et ça fait du bien. François paraît s'y déplaire fort. Il est dévoré par les puces et leur injecte toutes les drogues qu'il peut se procurer. Et puis, outre que la beauté du pays ne lui offre pas assez de distractions, les hôtes d'André l'irritent fort.
A midi nous avons transporté notre table dans l'autre maison et déjeuné à côté de ton bel établi. C'était amusant, et on avait moins chaud.
On a eu encore de l'orage hier soir, des nuages et du tonnerre surtout, peu de pluie. La veille nous avons eu une soirée tout illuminée par des éclairs continus. Maman, surprise même par un coup de tonnerre strident, s'est précipitée instinctivement de la terrasse à la cuisine, dans mes bras protecteurs. Si bien, que étourdie moi-même par le bruit, je ne savais plus ce qui m'arrivait. On a bien ri encore.
Tu vois que je trouve toujours des balivernes à te raconter. Ce matin, je n'avais pas envie de t'écrire aujourd'hui. Et puis, ça m'est venu tout d'un coup.
André est gentil. François te réclame et dit qu'il ne te voit jamais... que tu pourrais bien lui accorder quelques jours de plus. Et puis, comme il en a assez de passer ses villégiatures ici avec les puces, (il n'y en a pas dans notre chambre, rassure-toi) il parle d'aller tous dans un endroit plus plaisant l'été prochain, et que tu y viennes au mois 3 semaines. C'est une heureuse idée.
On parlait, à déjeuner, du malheureux Malgren de l'Italia (1). Aurait-il vraiment été dévoré par ses compagnons ? François nous a dit, avec beaucoup de calme que, ma foi, dans pareil cas, il ne peut pas dire ce qu'il aurait fait, et que, tiraillé par une faim horrible, il eut peut-être bien été capable de te dévorer, toi, son frère. Qu'en dis-tu ? Je lui ai promis de te l'écrire sur le champ.
Tu ne me parles pas de ton restaurant. En es-tu toujours satisfait ? Et manges-tu beaucoup ? Ne bois pas trop. Pense que je te veux en forme et bourre-toi.
Couche-toi tôt, pas passé 10 heures. Tu veux ? Et je t'aimerai bien. Et puis, je veux bien que tu ne m'écrives que tous les deux jours. Repose-toi le plus que tu peux.
J'attends le 12 avec impatience et je compte les jours : 1 ici, 3 à Grenot et 5 autres ici.
Tu sais, on a déjà installé ta planche à côté de mon lit. Pauvre homme ! une planche. Mais je te donnerai mon matelas qui est très épais, et puis on dormira mieux, moins serrés. Et on pourra s'accorder des petites récréations le matin pour ne pas avoir l'air "trop vieux mariés". (...)
Ce matin, j'ai fait une taie d'oreiller pour le petit Jean, une mayonnaise, et découvert un hérisson. Figure-toi qu'André n'en avait jamais vu un dans sa vie.
Je voudrais bien que tu ailles chez les Granjon dimanche et prennes, avant, un bon bain. Mange bien tout la confiture, si tu l'aimes.
Plus de papier, pas d'autres nouvelles non plus. Alors, au revoir, mon petit loup chéri. Je t'aime beaucoup. Embrasse ton brin."

(1) En fait, Malmgren. Voir l'histoire : http://transpolair.free.fr/explorateurs/nobile/lundborg.htm.

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