samedi 14 juin 2008

29 juillet 1928 : Les joies de la campagne

"Dimanche soir - 7 heures
Mon vieux petit loup que j'aime bien,
Il fait bon. Le temps s'est sensiblement rafraîchi, et je suis installée sous le hangar, au bord du chemin. Maman écrit aussi. (1)
Nous revenons, les 3 jeunesses, d'une promenade au bois d'Alix. Connais-tu ? C'est, je crois, ce qu'il y a de mieux par ici. On y a goûté avec du miel, des petits-beurre et une pêche. Marie-Louise a plutôt grignoté. Quant à Marthe, elle dévore, c'est un vrai plaisir. Je lui ai rapporté ce matin, ce matin, de superbes fromages à la crème de chez Duchesne, parce que c'était sa fête, et elle a tout liquidé. C'est une charmante enfant.
Maman est en train d'écrire un grand bazar pour commander un sommier-divan pour François, lequel sommier servira ensuite de lit à Marthe à Montchat.
Mais comment vas-tu ? Auras-tu passé un dimanche agréable en compagnie des Villiet ? Et n'as-tu pas trop travaillé ce matin ? J'aime bien recevoir de tes nouvelles tous les jours. Je suis contente que tu dormes bien, mais il faut tout me dire, comment va ton travail, si tu n'es pas trop fatigué, et ne pas cuisiner en rentrant le soir.
Je suis bien, très bien ici, avec les Marraines, mais je m'ennuie de toi. Je voudrais être plus vieille de 2 semaines.
Je vais écrire à ma marraine et lui demander si elle veut de moi samedi et dimanche prochains. Que dirai-je de ta part à ton cousin Hippolyte ? Quelle joie de le revoir !
Hier, malgré ta défense, j'ai accompagné Marthe à Anse. On y a fait beaucoup de courses tout le matin. L'après-midi on a cousu, fini les robes en question.
Ce matin, messe à Lachassagne à 9 heures (1 heure 1/4 de messe...) Je te parlerai du sermon que nous a fait le curé sur la luxure.
Ensuite on a acheté du chocolat et de la farine à St Cyprien pour faire une "roullade" (gâteau de biscuit et chocolat roulé, délicieux). Figure-toi, à propos de la barbaque à Pommiers, qu'il nous a apporté hier soir (le boucher) un gigot avancé singulièrement auquel personne n'a voulu toucher à midi. C'est révoltant.
Je viens de lever les yeux à l'instant, André rentrait avec ses boeufs, souriant, rasé de frais, bien reposé et l'air heureux. Il m'a dit : "Jeune fille écrivant à son amoureux". Et, presque en même temps, comme il suivait de très près la face postérieure de l'un de ses animaux (peu propre), la bête s'arrêta brusquement et mon André, continuant sa marche... tu te représentes le tableau. J'ai bien ri. Il est parti tout confus.
Je ne trouve plus rien à te griffonner. Peut-être ne t'en plaindras-tu pas... ce crayon, trop tendre, cet inconfort...
Maman est rentrée, elle avait froid. Si tu savais comme je suis bien, le ciel s'étend à perte de vue, très clair, et en face, dans un grand champ doré par les derniers rayons du soleil broutent quelques chèvres gardées par deux enfants. Est-ce là que tu viendras un jour cacher ta douleur de veuf ? Ces bords de Saône sont très jolis. Nous nous proposons d'y aller faire un pic-nic avec François, et avec toi aussi, si ça te dit. Dis-moi que tu ne retarderas pas ton voyage et que tu seras là pas plus tard que le dimanche matin 12, sans quoi je serai très fâchée et déçue.
Tu comprends, il faut aller à Paris pas plus tard que le 16, mes parents nous attendent, et je ne veux pas rester auprès d'eux moins de 10 ou 12 jours. Penses-y bien et sois gentil.
Et puis, promets-moi de t'acheter un beau feutre, et aussi des espadrilles. J'ai dû remplacer, les miennes, tu sais, ça se décollait. On a trouvé quelque chose de pas mal à Anse avec Marthe.
Marthe a ébauché mon portrait. Gare ! J'ai bien du mal à tenir mon sérieux, et c'est une rude épreuve, je t'assure. Il paraît que nous devons nous faire photographier, Marthe a l'intention de t'en parler sérieusement.
As-tu toujours des moustiques ? Moi quelques-uns aussi, et puis 1 ou 2 puces.
Cette fois, ma verve est épuisée. Et il faut rentrer. A cause de toi, je n'aurai pas seulement mis le couvert ce soir. Mais je tâcherai bien d'aller au puits, chercher un seau d'eau, malgré que les Marraines me le défendent. C'est amusant au possible, et le petit Jean (2) dit que ça lui est égal. Il est sensible à tes baisers, moi aussi, les marraines et parrain de même.
Bonsoir, mon petit loup, je t'embrasse beaucoup de fois. Pense bien à ton petit brin.
P. S. La Parisienne est-elle rentrée ?
N'oublie pas qu'il y a du chocolat dans la grande boîte. Et dis-moi comment tu auras trouvé la tarte.
Je t'aime bien. Soigne-toi"


(1) Belle-maman
(2) En fait, la petite Suzy...
Quant à la Parisienne, je ne sais pas du tout qui c'est.

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