dimanche 21 décembre 2008

3 juillet 1933 : Beaucoup de points d'interrogation

"Chères marraines,
Merci à maman pour sa longue lettre. J'attends toujours avidement des nouvelles, surtout en ce moment où la pensée des vacances nous intéresse tant.
Vous avez bien fait de vous adresser au docteur Laroyenne ; son avis ne peut qu'être très sérieux, et nous sommes tranquilles en pensant que les petits sont entre les mains de ce spécialiste. Combien impatiemment nous allons attendre, maintenant, le résultat de cette visite. Je vous demande, chère maman, de nous envoyer un petit mot le plus tôt que vous pourrez. Espérons que le docteur ne verra pas d'inconvénient à pratiquer ce vaccin.
Marie-Louise et Marthe, en les y conduisant, voudraient-elles bien lui dire que je tiens beaucoup à reprendre un des enfants au mois de septembre ; il faudrait qu'il sache aussi que je ne tousse pas depuis 4 mois, ne crache jamais non plus ; mais que mon docteur dit que le vaccin serait une sécurité pour les enfants lorsque je serai enrhumée. (Je n'ai jamais plus de 37,4 de température, et, le plus souvent, j'ai 37 m et 37,2 s.)
Pourvu que la chaleur ne vienne pas trop vite ! Ici on est bien, mais il fait plus chaud depuis 3 jours. Je sors le matin vers 9 heures et un moment l'après-midi vers 4 ou 5h.
Quel souci que cette location si difficile à trouver ! Craponne, bien sûr, ce n'est pas le rêve, et s'il faut emporter les lits et la vaisselle, c'est ennuyeux et coûteux ! Pourquoi ne chercheriez-vous pas plus loin de Lyon, afin d'augmenter les chances ? Henri me disait hier : "J'ai envie d'écrire aux marraines que, plutôt que de louer cette maison à Craponne, elles pourraient envisager de venir à Sclos, chez nous, où on a tout ce qu'il faut pour se loger tous. N'ayant pas de location à payer, elles pourraient s'offrir un voyage des plus confortables. Et ici, la chaleur est supportable. Il y a des bois de pins tout près et beaucoup d'ombre, et il pleut rarement l'été !".
Je lui ai répondu que son idée était excellente, et que bien souvent j'enrage de penser que vous êtes à Montchat pendant qu'il fait si bon ici, et que c'est trop grand pour nous. Seulement il y a la question du vaccin, ou plutôt la séparation qui devra avoir lieu entre les enfants et moi après le vaccin... Pensez-y.
Avez-vous vu François ? Il a envoyé une carte à Henri avant de quitter Madrid, disant qu'il pensait être à Lyon le 2, après avoir vu femme et fille.
Avez-vous reçu les petites robes ? Vont-elles ? Et les costumes pour Jean ? Peut-être les mettent-ils déjà, s'il fait assez chaud. J'ai de la laine bleu pâle pour tricoter un costume pour Jean bientôt. Après cela, j'espère qu'ils seront montés pour un moment. Mais s'il leur manque quelque chose, il faut me le dire. Je pense leur refaire bientôt des chemises. Que met Jean la nuit ? Le pyjama n'est-il pas devenu trop juste ? Et qu'a donné la dernière pesée?
Comment va l'appétit ? Suzie a-t-elle encore des vers ? J'ai entendu parler d'un remède de "bonne femme" qui a guéri un enfant de convulsions occasionnées par les vers : une cuillérée à bouche de pétrole raffiné. A l'occasion, voudriez-vous essayer de demander au docteur ce qu'il en pense, si ça ne peut pas faire de mal ? Comme ce doit être très mauvais à prendre, il y a un moyen, c'est d'attendre que l'enfant soit sur le point de s'endormir, et de lui dire : "Tiens, bois ce bon sirop..."
Je vais vous faire frémir, mais si je savais que ce soit inoffensif, j'essaierais.
Mangent-ils bien le légume ? Jean s'y habitue-t-il ? Je vous recommande toujours les carottes et les bouillons avec beaucoup de légumes dedans.
Je voudrais tant admirer les progrès du petit. C'est bien dur pour moi d'être ainsi séparée d'eux, et sans pouvoir fixer encore une date de revoir. Et je trouve les journées longues, n'ayant personne à voir. Mme Varadis est partie. Mme Bailet est occupée avec son hôtel, et il y a beaucoup de commères que j'évite.
André nous a écrit. Il ne sait pas encore quand il pourra venir, mais cette fois il téléphonera. Il ne parle plus d'aller à Lyon. Il paraît qu'Hélène [Dumas, épouse Lavaux] aurait l'intention de venir passer le mois de septembre chez lui. Elle lui ferait la cuisine, ce qui paraît être agréable à André. Elle demande si nous lui prêterions 2 lits et des chaises. J'ai répondu que oui.
Odette, qu'Henri a vue samedi, trouve qu'Hélène serait mieux à Nice, en prenant une chambre dehors, et ses repas chez elle avec Thérèse. Parce qu'elle dit qu'Hélène s'imagine peut-être pouvoir passer une partie de ses journées sur la plage de Juan-les-Pins. Mais c'est à 4 km environ, et André n'aurait pas toujours le temps de voiturer la famille.
Henri n'a pas vu Gabriel. Il était allé à Juan-les-Pins, et pensait trouver André pour déjeuner avec lui. Le patron de la maison "Lutrana" est venu de Paris pour voir Gabriel et l'engager à rester dans la maison. Il lui a fait des concessions, et lui fera vendre d'autre machines en plus des balances. Ils patientent donc, en attendant mieux.
Je n'ai pas de nouvelles récentes de mes parents. Et Germaine, a-t-elle bientôt fini sa cure ? Le temps doit lui sembler long. (Je suis étonnée qu'elle ne m'ait jamais envoyé un mot depuis que je suis fatiguée. Peut-être trouve-t-elle, de sont côté, que je suis bien silencieuse... ? Henri me dit que ce n'est pas à moi à lui écrire. Les rapports entre belles-soeurs sont peu chauds...)
Et voilà, chères marraines, un long bavardage terminé. J'espère que ma lettre, mise demain matin par Henri, vous arrivera jeudi matin, pas plus tard. Ici, les lettres arrivent moins vite qu'à Vence, et nous n'avons qu'une distribution.
J'ai fait une provision de tilleul dans notre jardin. Si ça pouvait empêcher les rhumes de venir !
Au revoir, à bientôt des nouvelles, nous vous envoyons de bons baisers, et vous chargeons d'embrasser les petits bien tendrement.
Jane"

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