dimanche 7 décembre 2008

30 avril 1933 : Jane s'interroge

"Merci, chère maman, de votre longue lettre reçue ce matin. Nous avons été contents de recevoir des nouvelles deux jours de suite, c'était inespéré. Nous espérons que les enfants vont toujours bien, malgré le temps un peu maussade.
Peut-être êtes-vous fixées maintenant quant à la date de l'opération (1) Je serai contente d'apprendre que tout va bien, et que la pauvre gosse n'a pas été trop malheureuse, avant et après. Et j'espère que les bonnes tantes ne s'en verront pas trop pour la raisonner et la consoler. Le docteur Durand a-t-il fait la cuti-réaction ? J'aurais aimé que vous la fassiez faire à tous les deux, et le vaccin aussi, le plus tôt possible, comme me l'a conseillé le docteur Mazet en qui j'ai bien confiance. Cela nous permettrait de reprendre Suzie après la Pentecôte, puisqu'il faut attendre un mois après le vaccin et cette "reprise". Ce vaccin est sûrement inoffensif, sans quoi le docteur ne m'aurait pas dit : "faites-les vacciner". Mais il se peut que le docteur Durand soit un peu méfiant, comme étant d'idées moins avancées...
Je sais bien que tout ce que vous faites est très bien, mais il ne faut pas avoir trop de craintes.
Me voici donc bien habituée ici. Le pays est très joli, c'est tout-à-fait campagne, très verdoyant en ce moment, avec des pins et des oliviers en masse. Je suis bien à l'hôtel, en attendant que notre maison soit libre. Peut-être demain... Les locataires ont bien promis de s'en aller demain au plus tard, mais ce sont des gens en qui on n'a pas bien confiance. La propriétaire les chasse parce qu'ils ne paient pas leur loyer depuis plusieurs mois. Ils doivent aussi une grosse somme à l'épicier, et on ne peut pas grand'chose contre eux, parce qu'ils assurent qu'ils n'ont pas d'argent. Et ce sont des gens distingués (avocats belges), sans travail et mal portants, avec deux enfants.
Il me tarde d'être à demain pour aller voir la propriétaire et savoir si on peut entrer et désinfecter. Henri sera encore là demain, le 1er mai, jusqu'à mardi matin. Il est arrivé hier soir à 6 heures. Ce matin il a fait très beau, on s'est bien promené. Cet après-midi, il est tombé pas mal d'eau, ce soir il refait beau.
André nous est arrivé par surprise à midi 1/2, et on a déjeuné et passé un bon moment ensemble. Il a mis 1 h 1/2 en marchant bien (je veux dire dans sa bagnole...). On a fait une promenade entre deux averses, et il est reparti à 6 heures. Le pauvre travaille beaucoup. Il n'a pas arrêté pour les fêtes de Pâques. Mais il a bonne mine. Il pense bien aller aussi à Lyon pour Pentecôte.
Avez-vous de bonnes nouvelles des François ? Je crois qu'ils doivent déjeuner à St Mandé avec les Grethen, un de ces dimanches.
J'attends une lettre de mes parents. Papa doit être en congé à partir d'aujourd'hui, en attendant de prendre son nouveau poste. (2)
Maman pense bien aller en vacances avec vous et nous. Vous ai-je dit que papa avait consulté un docteur de St Mandé, et qu'il l'a rassuré quant à sa toux persistante. Il a dit que c'était maintenant du catarrhe bronchiteux qui serait toujours plus ou moins chronique.
Et avez-vous une location en vue pour les vacances, chère maman ? J'y pense, parce que c'est pour moi l'espoir de retrouver mon petit Jean, et combien changé en 5 ou 6 mois ! J'espère que Suzie pourra venir ici avant. Ce serait bon pour elle, et pour nous deux aussi, d'autant plus que cette campagne est peu distrayante, et que c'est la grande solitude.
En ce moment, je ne m'ennuie pas, parce que la patronne, Madame Bailet, est une très gentille jeune femme, très bonne. Et il y a aussi une dame hongroise, venue de Paris pour se reposer. Nous nous promenons ensemble. Je tricote une veste en laine pour Suzie. Je vais vous envoyer celle pour Jean, avec deux chemises pour Suzie. Je lui en ferai d'autres un peu plus tard.
Au revoir, chères marraines, je vous embrasse bien tendrement, pour mon homme aussi qui est là, à côté de moi, en train de regarder une fois de plus, avec amour, la photo de ses bambins tirée pas Marthe. Les deux minois éveillés sont bien attendrissants et intéressants pour les parents en pénitences que nous sommes.
A bientôt des nouvelles toujours les bienvenues. Gros baisers aux deux têtes bouclées.
Jane
Qui est-ce qui a la corvée de démêler la perruque blonde ? Ne pensez-vous pas qu'il serait bon de la raccourcir un peu avant les chaleurs, pour elle et pour vous ?

Mais laquelle des Marraines porterait les ciseaux sacrilèges dans la forêt magnifique de ses cheveux ? Je vous embrasse, me joignant à Jane, pour vous remercier encore de ce que vous faites pour nos petits, qui ont si bel aspect.
Henri"


(1) Il est prévu de faire opérer Suzie des végétations. L'autre grande question concerne la cuti-réaction et le BCG, que le docteur Mazet (pneumologue à Nice) a préconisé.
(2) "Papa quitte la banque à la fin de ce mois, mais Mme Hanau lui fait une situation dans une nouvelle affaire qu'elle va monter dans le courant de mai." (lettre du 23 avril 1933 de Jane aux Marraines)

Aucun commentaire: