mercredi 1 octobre 2008

30 mai 1932 : Des bricolles, des bagnolles, et des vers...

"Chère marraines,
Merci à Marthe et à maman pour les deux gentilles lettres. On est heureux d'avoir souvent des nouvelles de vous toutes, et de connaître les faits et gestes de Suzie. Nous espérons qu'elle continue à être à peu près sage. André nous a parlé hier de ses progrès en couture.
Nous voyons qu'elle est à bonne école, mais peut-être usera-t-elle souvent la patience de ses tantes, si dévouées qu'elles soient.
Nous allons bien, André aussi. Nous avons passé un bon moment chez lui hier de 11 h 1/2 à 7 heures. Le temps était superbe, mais c'est dommage que la voiture ne soit pas "véhiculable", parce qu'il y a une bonne trotte de la gare à St Jean, e
t pour le retour, surtout, avec notre chargement de petits pois, de fleurs et autres bricolles (sic), la voiture, mes souliers étroits, c'était presque douloureux. André viendra nous voir dans une dizaine de jours, un soir, et il couchera à la maison. La bagnolle (sic) est loin d'être terminée. André prétend qu'elle le sera avant le poste d'Henri, moi j'ai parié le contraire (ça n'engage à rien, d'ailleurs...).
Aujourd'hui, je suis en lessive. C'est à dire que je surveille ma main d'oeuvre, c'est moins fatigant. Et quel plaisir que de voir ses draps,
ses chemises (pardon !), chaussettes et tout le reste, étendu sous notre bon soleil !
Cependant, il faut avouer que samedi dernier il a plu abondamment. Encore ne doit-on pas se plaindre, car ici on est bien privilégié quant au temps.
J'ai reçu de meilleures nouvelles de Paris. Maman attendait, pour nous écrire, de connaître le résultat de la radio et des analyses. Il y a de longues traînées au poumon, mais absence totale de bacilles, ce qui est rassurant pour toutes sortes de raisons. Le docteur a permis à papa de reprendre son travail, avec des précautions, naturellement, mais lui conseille de changer d'air de suite. Il ne tousse plus et reprend des joues, mais pas de poids. (Il a maigri de 10 kg, pèse seulement 45 kg 500). Maman me dit qu'ils pensaient partir à Gazeran vendredi dernier, ayant bien besoin de se remplumer tous les deux avant de déménager, ce qu'il espèrent faire autour du 16 ou 18 juillet. Ils renoncent donc à nous rejoindre au mois d'août, et maman insiste pour que j'aille à Paris avec Suzie, passer la dernière semaine de juillet, si vous voulez bien me garder Jean pendant ce temps. C'est là le point ennuyeux, car ce personnage est un sauvageon. Mais j'espère qu'il s'habituera. Je resterais, par exemple, 3 ou 4 jours à Lamastre avant de partir à Paris. Il a surtout peur des messieurs. Mais avec les dames, il s'apprivoise vite. Si sa marraine voulait bien s'en occuper, elle l'accaparerait dès le premier jour, déployant tout son savoir, et aidée par son amour, elle arriverait à le faire manger à peu près et à le faire rire. Et puis il y aura Monique ; Jean s'intéresse bien aux tout petits. Ils seront drôles ensemble. J'emporterai le parc et Germaine pourra en profiter, puisque sa fille a l'air d'être précoce. Tandis que le mien ne s'en fait pas. Cependant, il fait le tour du parc en se tenant aux barreaux. Hier il a mis ses premiers souliers en toile blanche, et il a étrenné le joli burnous d'Alberte. A propos, cette chère cousine (1) viendra-t-elle en France cet été ?
Et les cerises de Montchat, sont-elles mûres ? Suzie va en faire une cure salutaire, je suppose qu'elle les aimera. Nous avons goûté les premières, c'était fameux. Et hier, Henri a cueilli des fraises dans son jardin, pour le dessert.
Le traitement à l'ail donne-t-il des résultats ? En tous cas, ça ne coûte rien d'essayer : tous ces vermifuges ne font pas grand chose et coûtent cher. Il y a aussi les lavements à l'eau savonneuse ou bien salée, conseillés par un docteur que j'avais consulté l'année dernière pour moi. Mais la gosse fait une vie si terrible quand on veut lui donner un lavement, que c'est décourageant. Ma "laveuse", qui a eu plusieurs enfants, avait essayé avec succès, sur le conseil d'un docteur, d'asseoir ses enfants sur un pot contenant de l'eau chaude, pas trop, de façon à ce que le "postérieur" ne change pas l'eau. Peut-être ce remède aurait-il plus de succès auprès de Suzie que les lavements ?...
En tous cas, je vous donne bien des corvées, mes pauvres tantes. Excusez-moi. Henri a dit que Marthe est bien bonne de nous remercier pour vous avoir envoyé la petite, parce qu'elle nous débarrasse plutôt.
S'il est vrai que vous avez promis à André de vous charger de l'achat et de l'envoi des espadrilles, voici nos pointures : Henri 42, André 40, moi 38. A l'occasion, si vous faites cet envoi, voudriez -vous m'envoyer les capsules de Géramine ? Je les prendrai peut-être, ayant eu à nouveau des vers la semaine dernière. Excusez ce manque de poésie. Et je termine, chères toutes, en vous embrassant bien tendrement toutes les 4 pour nous 3. Jean tend sa main très bien. Il dit "coco" pour cocotte, et bo pour beau. C'est un progrès."

(1) Alberte Dumas, épouse Giroud. Elle vit en Tunisie.

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