mercredi 19 novembre 2008

7 février 1933 : Jane prend son mal en patience

Pension "La joie de vivre"
Avenue des Poilus
Vence
"Chères marraines,
Me voilà logée comme une princesse, n'ayant plus qu'à me laisser vivre... Henri a bien fait les choses, trop bien ; et je vais faire tout ce que je pourrai afin de me remplumer le plus vite possible, tout en espérant que nous partions bientôt dans la montagne, tous les deux, faire une bonne cure. Souhaitons qu'Henri trouve un emploi pas trop fatigant, et que peu à peu ça s'arrangera.
Comme vous devez le penser, chères marraines, nous venons de vivre des jours bien douloureux, je vous demande pardon d'être la cause involontaire de cet accident. Évidemment, j'aurais dû me faire aider, et je m'en repends maintenant. Je croyais pouvoir résister, et d'ailleurs, depuis les vacances j'avais bien repris et me sentais moins lasse. Et puis, il y a eu ce déménagement, l'installation, les nettoyages, et ça a craqué. Ça aurait craqué peut-être un peu plus tard, et le mal eut été plus étendu. C'est sans doute ce bain qui a donné l'éveil, et le docteur dit que c'est une bonne chose, car le mal étant pris à temps, il prétend (est-ce un encouragement ?) que dans quelques mois, passés à la campagne ou à la montagne, je serai guérie. Je le crois aussi. Cette grippe a été malencontreuse et m'a un peu aplatie. Depuis, j'ai un peu mal au dos. Mais déjà, depuis ce matin, je ne le sens presque plus. J'espère que ça va disparaître. Je ne tousse pas, mais j'ai toujours une gêne dans le nez et la gorge. Le docteur m'a dit que c'était un peu de laryngite. J'ai négligé de lui en reparler, samedi, quand il m'a fait ma piqûre. Et cela m'ennuie d'aller voir un docteur au hasard ici, pour cela. J'ai entendu dire que dans ce cas, il est bon de se badigeonner le fond de la gorge avec de la teinture d'iode.... ?
Je me demande si je continuerai les sels d'or. J'ai eu un peu mal à l'estomac hier soir, et ce matin un petit dérangement. Le docteur m'avait prévenue qu'il pourrait très bien se faire que j'aie des malaises à la suite de la 1ère piqûre, et que dans ce cas il faudrait cesser le traitement. Et puis, il m'a dit, en me quittant : "Si vous mangez bien et que vous grossissez, il ne sera peut-être pas nécessaire de faire les piqûres". Je prends de l'hémostil, et après la 3ème boîte, j'en prendrai une autre d'ampoules d'hépatrol (chaque ampoule contient 125 g de foie de veau).
Ici, la nourriture est bonne et copieuse. Je n'ai pas encore beaucoup d'appétit, étant à peine remise de ma grippe.
J'espère que les promenades que je fais matin et soir vont me faire grand bien. Le reste du temps, je lis un peu et surtout je travaille pour mes petits. J'ai commencé une culotte en laine pour Jean. Ensuite, je lui ferai des chemises, puis des chemises de nuit pour Suzie ; et j'ai un pull-over à terminer pour Henri, puis du linge à me faire.
Henri m'a téléphoné hier soir à 6 heures, d'un café de St Roch, et je n'ai eu qu'à ouvrir la porte de ma chambre pour lui répondre. Ça m'a fait un grand plaisir. Il m'a dit que les enfants vont mieux, toussent moins, que Jean a bien voulu manger la soupe avec sa marraine et qu'il ne m'a pas trop réclamée. Le pauvre petit m'était si attaché, et j'ai eu bien mal en le quittant.
Il est si mignon avec son joli gazouillis. Quel dommage que j'en sois privée maintenant ! Bientôt vous les verrez. Et je vous suis très reconnaissante pour les soins que vous leur donnerez. Vous êtes notre providence, une fois de plus. J'espère qu'ils ne se taquineront pas trop et et ne vous tourmenteront pas trop. Jean est à un âge qui demande une telle surveillance !
Leur grippe les a un peu maigris, mais j'espère qu'avec les promenades ils reprendront vite leurs belles couleurs. Ils étaient beaux tous les deux, avant. Le docteur m'a même dit : "Vous les soignez trop bien, ces enfants"...
J'espère que Marthe ne s'en verra pas trop pour le voyage. Henri m'a dit qu'il les installerait en 2ème classe. Marthe a hâte de partir, car elle est un peu en souci avec eux. Naturellement il faut les surveiller, les séparer, faire le ménage. Et elle ne veut pas se faire aider. Nous voulions faire venir une femme pour le ménage, elle en était contrariée...
Et maintenant, chères marraines, avant de terminer, je veux vous dire une chose. Il ne faut pas que nos enfants soient un empêchement aux projets que vous pouvez former pour l'avenir de Marie-Louise ou de Marthe. J'ai un bon fonds de santé. Dans quelques mois, je serai en état de reprendre mes enfants, avec une femme de ménage pour ne rien faire de pénible, et en vivant au bon air.
Une autre chose : Sur ma demande, le docteur m'a dit : "Votre mari ne craint absolument rien, il n'est pas besoin de faire deux lits. Naturellement, sagesse dans les rapports, jamais d'autre enfant"... recommandation d'ailleurs inutile.
Ci-joint une vue de la pension. Ma chambre est au midi, elle contient 2 lits, un beau tapis, un bon radiateur, un fauteuil confortable ; à côté est un petit cabinet de toilette avec eau courante chaude et froide, une fenêtre au levant que j'ouvre le matin. Hier il a fait beau. Ce matin, le temps est couvert. S'il ne pleut pas, je ferai ma promenade, voulant surtout être à l'air.
De ma fenêtre de chambre, je vois l'hôtel de la Conque, où il y a 20 ans environ, Papa terminait sa cure.
Il y a ici seulement 4 pensionnaires, je sais que deux sont un peu malades. La maison a été toute réparée au mois d'octobre. On dirait même que personne n'a encore occupé ma chambre ; tout est propre et presque neuf.
Au revoir, chères marraines. Merci pour tout ce que vous ferez pour les enfants. Je sais qu'ils seront choyés, j'espère que vous aurez le courage d'être sévères, et je vous demande de les habituer, petit à petit, à être beaucoup à l'air. Je serai heureuse si vous m'écrivez souvent.
PS : Je serai bien aise de voir la lettre du docteur Laroyenne.
Baisers bien affectueux.
Jane"

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