mercredi 26 novembre 2008

16 mars 1933 : Cafard et incertitudes

"Merci, chère maman, pour votre longue lettre et tous les détails que vous me donnez sur les petits. Je vous remercie toutes trois de tout mon coeur pour tous les soins dont vous les entourez sans cesse.
J'espère que le rhume de Jean est fini, et qu'ils ont bonne mine tous les deux. Si le petit mange aussi bien, et de la farine jaune, il va devenir superbe. Suzie aime-t-elle aussi la farine jaune ? Si elle pouvait en prendre le matin, j'en serais contente.
Avez-vous beau temps toujours ? Ici, depuis presque deux semaines, c'est le printemps. Il a seulement plu un peu hier tantôt, et ma promenade n'a pu avoir lieu. Heureusement que Mme Toledano, la maîtresse de maison, est bien gentille et très gaie. Aussi, nous passons de bons moments ensemble à faire du tricot, avec une jeune fille pensionnaire.
Je viens de terminer mon pull-over, et je vais en refaire un qui est trop large. Ensuite j'en commencerai un pour Odette qui est vraiment aux petits soins pour mon homme. C'en est touchant. Elle va même jusqu'à lui repriser ses chaussettes, malgré nos objections...
Les Gab sont venus nous voir dimanche. On a fait un tour ensemble jusqu'à Tourettes, village situé entre Vence et Grasse. Mais le vent était frais, aussi le pauvre Gab a ramené un torticolis à Nice.
Quant à moi, ça va toujours. Je reste davantage dehors, je peux même tricoter sur un pliant à l'ombre. Les journées sont un peu moins mornes comme cela, mais le cafard voyage quand même, et il y a des moments bien pénibles. Mes petits me manquent bien, et je me demande quand je pourrai les revoir. J'espère au mois d'août, si je continue à aller bien. Et je voudrais bien pouvoir reprendre Suzie à l'automne, parce que c'est elle qui me donnera le moins de peine, et c'est peut-être elle la plus délicate des deux. Que pensez-vous de lui faire enlever ces végétations avant les vacances ? Ce sera dans doute une grosse dépense, mais c'est nécessaire, et puis j'ai reçu hier un billet de 500 F, remis à Maman par Mme Petit, une amie de Grand-mère, des gens riches et très bons. J'ai pensé que je pourrais le destiner à ces soins, pour la santé de ma petite.
Henri m'a téléphoné hier à 2 heures ; il viendra ce soir, entre 7 et 8 h, après être allé à Sclos de Contes, un pays à 20 km de Nice, à 450 m d'altitude. Il paraît que l'air y est très bon. Mais ce n'est pas sur la ligne du chemin de fer, et je ne vois pas ça très bien, car ces voyages en car sont bien fatigants. Henri est allé à Sospel lundi après-midi. Il n'a pas vu grand'chose comme appartements. Il n'y en a qu'un qui pourrait convenir, près de la gare, dans un quartier très sain, au dire du docteur de Sospel, qu'Henri a eu le temps de voir. Il paraît qu'il y a en ce moment de 4 à 5 000 ouvriers logées à Sospel, et occupés aux travaux de fortifications. Cet appartement en question est meublé, 3 pièces et cuisine, 200 F par mois. La personne qui l'occupe nous le sous-louerait si elle se décide à partir, dans quelques semaines.
Que c'est donc difficile d'arranger tout cela. Et pourtant, il faut trouver une autre solution avant le 1er mai. Car Henri ne voudrait pas abuser trop longtemps de la bonne hospitalité des Dumas, et nous préférons aussi nous retrouver tous les jours, et être chez nous. On prendrait une femme de ménage 2 heures par jour, et j'aurais bien peu de choses à faire. Mais ces trajets pour Henri seraient bien fatigants aussi. Seulement, ce serait en attendant d'avoir trouvé un emploi dans un pays convenable.
Ma tante Henriette m'écrit pour m'offrir de faire une démarche à Villard-de-Lans, où elle vient de faire un séjour. Il paraît qu'il y a pas mal de garages là-bas, et des usines dans la région. C'est à 2 h 1/2 de Grenoble, par train électrique, et à 1 000 m au moins, l'air y est excellent.
Tante Henriette me donne des conseils pour les enfants. Je vous enverrai sa lettre, quand Henri me l'aura rapportée. Je fais suivre vos lettres à Henri, quand elles arrivent avant le vendredi.
Vous allez être bien contentes d'avoir les François pendant quelques jours. Et si vous faites des photos, je serai heureuse d'en avoir. Merci d'avance. Vous aller trouver Micky bien changée et bien intéressante. Et je voudrais tant la voir aussi ! Hélas, j'ai de mauvais boulets aux pieds...
Maman m'écrit que Papa est toujours bien enrhumé, et qu'il n'ose pas se reposer, car le travail ne va pas à la banque, et on est inquiet, se demandant si ça va continuer à fermer. Espérons que la mère Hanau saura encore s'en tirer habilement.
Au revoir, chères marraines. Je vais faire mon tour. Je réclame encore des histoires amusantes concernant mes gosses. Embrassez-les tendrement pour moi.
Bons baisers pour vous trois, et aux François, de nous deux.
Jane, Henri
PS : Les enfants ne doivent pas être riches en chaussures, pantoufles, et chaussettes. Dites-nous bien ce que vous achetez, marquez-le.

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