mardi 4 novembre 2008

18 décembre 1932 : Encore des projets

Hôtel Olivage
La Redoute
Alger
"Mon cher Henri,
Votre lettre m'est enfin arrivée avant-hier et m'a causé le plaisir que vous pensez. Vous pouvez compter sur nous pour que lorsque Marthe sera prévenue, nous fassions tout notre possible pour réduire à néant ses objections plus ou moins saugrenues. Une seule est vraiment sérieuse, c'est le chagrin de Marie-Louise, mais on pourrait démontrer à Marthe qu'une fois mariée, le champ des relations s'augmenterait encore, qu'elle peut avoir de temps en temps Marie-Louise chez elle, lui faire voir des gens et que dans l'entourage de son mari il y aurait peut-être quelqu'un de susceptible de faire le bonheur de Marie-Louise. Ce monsieur, d'après ce que dit Margot, a l'air bien. Maintenant comptez aussi sur nous pour que le moment arrivé, nous pressions un peu nos marraines afin qu'elles ne fassent pas trop attendre le monsieur, et passent rapidement à l'action. Il me semble que dès maintenant Mère peut prendre les ultimes renseignements, sans attendre pour cela que les 2 parties soient tout à fait décidées.
Le projet dont je vous avais parlé à l'automne pour Marie-Louise prend un peu plus corps. Maman a vu une intermédiaire qui lui a dit que ce monsieur avait 54 ans. François avait trouvé cela très vieux évidemment et nous avions arrêté. Mais depuis peu Mère nous a écrit que Marie-Louise avait été tentée d'accepter un veuf chargé de 7 enfants (ce qui n'implique pas un âge très tendre) habitant un sale petit trou du Jura (je le connais, ce trou !).
Nous avons donc été d'avis avec Çois de remettre les choses en train et avons de nouveau dit à Maman de pousser plus loin son enquête. Il y a de ça huit jours seulement et nous n'avons bien entendu aucune réponse encore. Je n'ai rien dit de tout ça à Montchat, trouvant inutile de donner à M. Louise un espoir qui sera peut-être déçu.
Je trouve que le cousin de Constance dont parle Margot n'est pas indiqué. Car souvent les aveugles (ou presque) sont extrêmement jaloux et votre soeur en souffrirait indépendemment de la situation qui ne doit pas être grosse (organiste !) à moins qu'il ait de la fortune permettant de faire vivre femme et enfant.
Vous serez gentil de nous prévenir dès que Marthe sera au courant afin que nous puissions lui écrire bien vite et faire ainsi bloc pour l'offensive.
Question pension de famille que nous ignorions aussi : C'est ma foi une très bonne idée. On pourrait commencer par un ou 2 pensionnaires comme vous le dites, quitte à augmenter petit à petit si ça marche. En allant doucement, je ne crois pas qu'on risque de s'enfoncer. Et puis, cela les sortirait de Lyon et de leur inaction, cette dernière chose surtout qui est si importante pour M. Louise.
Mais comment Margot n'avait-elle pas pensé plus tôt à nos soeurs ? Les Mouterde ont je crois beaucoup de relations.
Je suis contente pour vous de ce changement de domicile (1) car vous en avez l'air heureux. Vous étiez bien petitement là-haut, surtout depuis la naissance du petit Jean, et aussi bien loin pour vous de l'usine. Vous êtes tout à fait gentil de me proposer l'hospitalité et je ne dis pas non, car c'est un projet depuis longtemps caressé que d'aller à Nice.
François est dans le sud du côté de Bou Saâda. Je pense un peu l'avoir ici le 24, mais c'est fonction du temps, alors... Pour le moment ça va et le soleil alterne avec la pluie.
Nous sommes à Alger jusqu'à notre retour (les femmes) aux environs du 10 février, date à laquelle François ira dans la province d'Oran faire un stage de topographie d'un mois. Il sera alors très pris et ne pourra jamais me voir. Il est donc inutile de faire faire à Monique un voyage de plus et nous rentrerons. Vous avez peut-être appris que votre pauvre filleule a été très brûlée voilà un mois en se renversant sur elle du lait bouillant. La figure, la poitrine, une main et un bras ont été touchés. C'est fini maintenant, et il ne reste que les marques qui passeront à la longue, a dit le médecin. Mais la pauvre a beaucoup souffert. Elle a bien repris maintenant et a bonne mine, le climat lui allant tout à fait. Nous sommes du reste en pleine campagne. Pour ma part, je traîne encore la patte d'une entorse attrapée il y a 15 jours bêtement en courant après Monique. J'espère que notre guigne va s'arrêter là.
François va très bien et est très content de sa brigade. Monique est hélas de plus en plus diable, faisant bêtises sur bêtises et ayant un fort esprit d'entreprise doublé de la peur de rien. C'est quelquefois assez lassant.
François, je pense, vous écrira pendant une accalmie, mais vous savez qu'il est surchargé de travail et fait une moyenne de 1 000 additions ou multiplications par jour ce qui lui laisse après l'esprit un peu liquide.
Merci encore mon cher Henri de nous avoir mis au courant de tout cela. Nous vous embrassons tous très tendrement.
G.
PS : Quid de André ?"

G, c'est Germaine.
Pour mémoire, Marthe avait alors 32 ans et Marie-Louise 37. Mais tout de même, un veuf avec 7 enfants, ou un organiste aveugle... et jaloux !
(1) Le déménagement est prévu fin décembre, pour un appartement de 5 pièces dans le quartier Saint-Roch avec jouissance d'un petit jardin.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Merci pour cette lettre de tante Germaine, je viens de l'envoyer à mon parrain (sans la lire j'avoue).

Et puis une lettre d'Alger, ça me fait penser qu'on interdit aux étrangers de venir en France, mais nos ancêtres, dans leur jeunesse, ne se sont pas privés d'aller voir à l'étranger : Algérie, Maroc, Indochine... les exemples sont nombreux. Les voyages forment la jeunesse, ce devrait être un droit de profiter de cet échange enrichissant, et pas sectairement (c'est du ségrégationnisme quelque part) dans un seul sens !

La preuve, si Barack Obama père n'avait pas été autorisé à venir étudier à Hawai, son fils n'existerait pas, et les Etats Unis seraient encore à chercher une solution improbable pour sortir du désastre laissé par Bush.

Gros bisous

Hélène