jeudi 3 avril 2008

20 octobre 1927 : Jane parle de son coeur

"Bonjour, mon petit ami
Comment vous portez-vous aujourd'hui ?
Moi, tout à fait bien, merci. Il fait bon, temps gris, qui nous réserve peut-être quelques prochaines averses sympathiques ; les radiateurs chauffent depuis ce matin au 22 de la rue Henri Poincaré : le prénom de cet homme me plaît, décidément. A vous aussi ? Dites non, par modestie.
Ma... notre tante Angèle a un petit faible aussi pour ce prénom-là, et je crois bien que j'en sais la cause, mais je ne vous le dirai pas, du moins pas encore. Je tiens à ce que vous respectiez au plus haut point cette chère vieille amie, et s'il y a dans sa vie un secret (que je suis tenue d'ignorer), eh bien moi, petite chose, je l'en aime davantage encore. C'est intrigant (guant ?), n'est-ce pas, cette histoire-là ? C'était en passant, sans le vouloir. Et puis, que vous importe ?
Continuez à manger, à respirer votre chère poussière et... à rêver aussi, je veux bien, tout comme avant.
N'est-ce pas que je suis gentille de vous écrire tous les jours ? Oh ! mais, cela ne durera pas. Hier, monsieur s'est contenté de m'envoyer quelques lignes (sur une carte très jolie, il est vrai) me parlant du temps, me reprochant presque de ne pas écrire lorsque je passe ma vie à ça. C'est décourageant. Et voilà la récompense d'un tel mérite et de si grands efforts. (...)
Avez-vous donc oublié que, dans une huitaine, je prends le train pour Lyon et vous y trouverai 2 jours après ? On n'oublie pas ces choses-là, n'est-ce pas ? Que de points d'interrogation dans les lettres de vieille chose ! Appelez-vous cela une manie ? Oh ! non, je vous en prie. Gardez ce mot affreux pour qualifier vos habitudes défectueuses.
J'irai aussi, tout à l'heure, rue St Lazare, afin de me renseigner sur l'heure de mon train et écrire bientôt (avec votre permission) à votre soeur. Maman a répondu ce matin à votre mère. Et dans cette lettre, maman regrette de ne pouvoir envoyer sa Benjamine à Montchat et s'en excuse, je crois...
Non, ce n'est pas vrai. Souriez à votre affreuse vieille chose contente, émue, heureuse, désireuse de ce prochain recontact avec l'Homme. (...)
Je veux bien aller à Villefranche sur Mer en premier, avec vous, mon petit Henri. Je pense souvent à ces balades sous votre beau soleil, je m'imagine allant avec vous longtemps, sans fatigue, la main dans la main ; je serai si heureuse ! Et vous m'aimerez bien. Et lorsque nous serons fatigués, nous nous assoirons au bord des chemins, sur les dures pierres, sans souci, et nous contemplerons la mer, les cieux, les oiseaux et les fleurs, et les rochers aussi. Car il y a de beaux rochers rouges dans votre pays, n'est-ce pas ?
Dieu garde ! Dieu vengeur ! (dirait mon oncle Jean). Il est 2 h moins le 1/4. Comme le temps passe ! Vite, mon chapeau, mes gants, ma poudre, mon rouge, un bel oeillet de Nice. Je vais être en retard. Ce sera votre faute. A tout à l'heure. Embrassez-moi, si vous voulez, mais très vite.
5 h 1/2. (...) Je viens de rentrer, et c'est bien fatigant ce Paris. D'abord, ces instruments dentaires qui vous abrutissent, et puis ces rues à traverser, ces carrefours terribles où il faut s'armer de patience lorsqu'on voudrait courir, voler, ne frôler personne et n'obéir à rien.
Et il y a ces magasins étouffants et encombrés où j'ai dû aller ; on a toujours une bricole à se procurer, vous savez bien : laine à tricoter pour maman, étoffe pour terminer le trousseau de l'enfant, un peigne à cheveux pour allez à Lyon (le mien étant trop lamentable). (...)
Mon ami, si j'étais près de vous en ce moment, ce serait un grand bonheur. Je vous dirais toute la tendresse dont mon coeur est rempli pour vous. Je vous dirais que vous avez tout mon coeur, qu'il est avide d'affection parce qu'il en a été longtemps... toujours privé, qu'il a souffert beaucoup de sa solitude et de la rigueur de l'existence. Je ne l'ai jamais donné tout-à-fait, non ; je n'ai jamais vraiment aimé. Une fois pourtant, il y a presque 2 ans déjà, je l'avais bien un peu donné, mais aussitôt repris, et non sans souffrir. J'ai vite oublié cette sotte histoire, je suis partie loin, mais là-bas, loin des miens, seule chez des étrangers plus ou moins sympathiques, petite chose, malgré tout son grand courage, a pleuré bien des fois en cachette. Et quelle joie ça a été, ce retour ! Et après, un mois après, cet évènement inespéré, et maintenant, ce grand bonheur, mon amis, c'est une récompense peut-être, j'en avais tant besoin !
Et votre petite chose sera près de vous bientôt, dans dix jours, elle vous dira tout cela encore si vous voulez ; elle vous dira qu'elle vous aime avec toute son âme, et que bientôt elle sera à vous, à vous seul.
Vous l'aimerez bien, n'est-ce pas, afin qu'elle soit sûre, enfin, que le bonheur n'est pas un mirage et qu'il peut en exister de vrais en ce monde. (...)
Je m'arrête tout à fait cette fois. Je ne sais plus du tout ce que je gribouille. Maman est rentrée, et j'ai le souper à surveiller, et j'irai à la poste aussi. Au revoir, mon cher Henri, je pense à vous sans cesse et je veux que vous m'aimiez comme je vous aime, avec confiance et de toute mon âme.
Jane"


Je saute les jours, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j'ai envie d'y être, à Lyon ce 1er novembre, et qu'on sache comment ça s'est passé avec les autres femmes de la vie d'Henri. (Bon, moi je le sais, mais je fais comme si).

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Alors comme ça Jane a eu une histoire de coeur malheureuse avant Henri et s'est retrouvée parmi des étrangers ??!!

Clo