lundi 5 mai 2008

18 novembre 1927 : Jane est toute gaie

"Mon petit Henri,
Je n'ai pas compris et ne cherche pas à comprendre pourquoi ta lettre ne m'est arrivée qu'à 3 heures aujourd'hui. Résultat : petite chose a été triste, triste presque à mourir de 11 heures du matin à 3 heures moins 5 minutes de l'après-midi le 18 novembre 1927, et 12 jours avant son mariage. Évènement à considérer.
Je suis contente maintenant. En l'espace de 2 minutes (le temps de descendre l'escalier, de le remonter, enfiler la clef dans la serrure et m'installer dans les profondeurs moelleuses de mon divan), ma physionomie altérée est devenue des plus souriantes.
Cher facteur, merci ! (...)
J'ai vu Violette hier, on a parlé de Lyon d'où elle revenait. Notre mariage est toujours considéré, dans ta ville natale, comme un évènement sensationnel. Alors, on a coupé cette fameuse robe et j'ai commencé ce matin à la coudre. C'est émotionnant. S
uppose que je fasse une bêtise irréparable ou que je donne un coup de ciseau au beau milieu de mon tissu... ce serait atroce. N'y pense pas. Je vais coudre encore un peu ce soir, puis demain. Lundi je déjeune chez notre tante Henriette. Mardi, il y a le dentiste, grand'mère et sa réception habituelle, et peut-être un dîner chez des amis. Et mercredi j'irai chez Violette essayer ma robe.
En plus de cela, nous allons dimanche chez Marthe Fromentin, belle fille de 30 ans. Tout un programme. Après mercredi je ne sais plus. Tout ce que je sais c'est qu'il restera une semaine à peine avant l'arrivée de mon ami, et que je serai, je crois, heureuse de l'accueillir, avec mon meilleur sourire. Voulez-vous ? En voulez-vous, du sourire de votre petite chose ? Pourquoi pas ? (...)
J'ai... nous avons reçu un autre cadeau, ensuite, chez Tante Angèle : 300 F. Je suis toute heureuse. On mettra ça aussi dans le grand p
ortefeuille et on pourrait acheter, par exemple, un bon fauteuil pour le dos de monsieur, et sur le dossier on pourrait poser la têtière brodée et héréditaire. Ou bien on pourrait acheter encore un tapis pour ma chambre ou un en paille de couleurs pour ta salle à manger. On en reparlera plus tard. L'essentiel c'est que nous soyons riches. Ce sera bien vite confortable chez nous. Et vieille chose sera comme une reine dans le petit logis de l'Homme. (...)
Je suis allée chercher les faire-part ce matin. Moi je les trouve sympathiques. Te plairont-ils ? Et comment ta mère et tes soeurs les trouveront-elles, voilà la question angoissante.
Je t'envoie l'échantillon. Ne pensé-je p
as à faire plaisir à mon ami ? Tu en recevras bientôt d'autres.
Tu as raison de faire un bon feu le soir. Bientôt c'est vieille chose qui l'allumera et tu n'auras plus cette peine. Tu auras chaud tout de suite en rentrant. Ton lit (le tien) sera fait aussi, et tu auras le droit de te mettre tout de suite dans tes pantoufles : un vrai confort. J'espère bien qu'après cela tu ne regretteras plus jamais ton existence de garçon et tes rideaux à punaises (excuse-moi, je veux dire fixés par des punaises). (...)
Oui, ma blouse de ménagère est bien jolie pour une chose d'un usage aussi vulgaire. Elle est bleue (avec des poches, pense donc !) et un petit col à carreaux blancs et bleus. A Paris on ne vend que de jolies choses, tout le monde sait cela.
Oui, achète ton chapeau à Paris. On ira tous ensemble, avec Herbert, avec François, et Marie-Louise et Marthe et tout le monde. Ce sera très drôle. Tu nous feras bien rire et vieille chose s'amusera. Tu peux bien, au besoin, te rendre ridicule à demi pour la rendre heureuse.
Violette m'a dit hier qu'elle nous jouerait des tours au moment du départ, le 1er décembre. Méfie-toi.
As-tu réfléchi à ton témoin ? Je devrai , en même temps que je porterai à la mairie et à l'église les avis de publication, leur dire les nom, prénoms et adresse de notre témoin à chacun. Je gribouille, excuse-moi. Je ne m'applique plus jamais maintenant, quand je t'écris. Tu me connais trop bien et sais depuis longtemps que je ne suis point un as. Alors pourquoi perdre mon temps et chercher à t'illusionner ?
Songe donc ! Je suis rentrée toute seule à 11 heures hier soir. Personne ne m'a enlevée, c'est dommage. J'aime tant les aventures !
Et je t'embrasse. Fini mon bavardage pour aujourd'hui. Je vais à la poste et geler mon nez, mais en y mettant beaucoup de poudre dessus personne n'y verra rien. Tu permets ? Et ça sent si bon !
Je t'aime bien toujours. Et toi ?
"Janot Lapin"

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