lundi 29 septembre 2008

29 mars 1932 : Toute une histoire

"Chère Maman,
Je voulais vous répondre plus tôt, et le temps m'a manqué pour cela, à cause de ces trois jours de fête surtout. Drôles de fêtes, ma foi... Samedi, comme nous revenions de Monte-Carlo, avec les Joseph (1), et qu'ils nous raccompagnaient chez nous, le pauvre Joseph a heurté un cycliste qui débouchait de l'esplanade du Paillon alors que nous longions le quai. Le malheureux ne nous vit pas, ou trop tard, l'endroit étant mal éclairé, et il roula à terre, se faisant une fracture au crâne. Nous descendîmes immédiatement de voiture, et Joseph et Henri transportèrent le blessé à l'hôpital où son état fut jugé très grave. Vous devez comprendre notre affolement.
Je rentrai avec Suzanne et tous les enfants Bd Tzarewitch où les hommes virent nous rejoindre une heure plus tard, ayant dû se rendre au commissariat de police. Marcel Mouterde était absent pour deux jours, mais son ancien patron, Me Pascallis, se rendit chez le commissaire pour répondre de l'honorabilité de Joseph. A cause de cela, à cause aussi de la fonction qu'il occupe à Paray, on le laissa rentrer chez lui.
Dimanche, comme ils insistaient pour que nous déjeunions avec eux avec André, nous avons passé la journée ensemble. Joseph est rudement ennuyé de cet accident. Les pauvres n'avaient pas besoin de cela encore (2).
Enfin, heureusement, depuis hier, le cycliste (Minelli, un Italien) va mieux. Il parle un peu, mais ne se souvient pas du tout de ce qui lui est arrivé. Figurez vous que, lorsque l'accident lui est arrivé, il se rendait à l'hôpital pour donner un peu de son sang à sa petite fille, âgée de 6 mois, qui était malade. (L'enfant est morte aujourd'hui).
Henri et Joseph se sont rendus hier soir au domicile de ces pauvres gens qui est tout près de l'usine Michel. Là, ils ne trouvèrent pas la jeune femme, mais des voisins leur dirent qu'elle venait d'être opérée de l'appendicite depuis peu de temps, et que l'enfant était malade pour avoir avalé quelque chose... je ne sais pas quoi, placé à sa portée. Minelli, absorbé par ses tristes pensées, distrait sans doute, se serait peut-être jeté sur la voiture sans regarder ailleurs que devant lui.
Tout cela n'est pas gai. Ce qu'on demande surtout, c'est la vie de cet homme, afin que la conscience de Joseph soit déchargée et qu'il ne fasse pas de prison (8 jours seulement, pense-t-il). Ils restent donc encore au moins une semaine, si tout va bien, car ce n'est que vendredi ou samedi qu'on saura si Minelli est hors d'affaire, et il doit y avoir confrontation des témoins et je crois reconstitution de l'accident afin d'établir les responsabilités. Marcel Mouterde est très gentil pour Joseph. Il est allé le voir dimanche à son retour, et fait ce qu'il peut pour lui rendre service.
Maintenant, si nous changions de sujet. Nous pensons bien à vous tous, à Monique dont nous attendons bientôt des nouvelles et que nous regrettons de ne pas voir. François doit être un heureux papa. Quand repartent-ils pour Chaville ?
Ce sera un grand vide pour vous, mais André nous a dit son intention d'aller à Lyon les 1ers jours d'avril, et nous avons pensé à lui confier Suzie qu'il vous laisserait pendant son séjour et ramènerait. La gosse ne parle plus que de ça, qu'elle va aller voir "marraine", sa marraine dont elle parle si souvent, et grand-mère et tante Marthe aussi.
Je vous préviens qu'elle est bien embêtante, elle fait toujours des grimaces pour manger seule ou pour ne pas boutonner sa culotte... (Le matin, elle prend une soupe de petites pâtes au lait, ou bien de vermicelle ou de semoule).
Janot va bien. Toujours pas bien faim, par exemple. J'avais commencé les bouillies à la cuiller, mais il recrachait presque tout, aussi y ai-je renoncé pour le moment. Il prend assez bien son lait et la Blédine au biberon, je continue ce régime jusqu'à ce que l'appétit revienne. Ces maudites dents le tracassent. En ce moment, il a les deux incisives inférieures et une canine supérieure (n'est-ce pas bizarre ?). Une incisive supérieure se devine. (...)
J'ai des excuses à faire à Marthe. J'ai envoyé à Constance la paire de petits souliers qu'elle avait donnée à son filleul et qui se trouvaient malheureusement trop petits. Nous espérons que le bébé va bien maintenant.
Que font de beau nos soeurs ?
J'attends des nouvelles de Paris. Les dernières étaient bonnes. Maman me disaient qu'ils viendraient avec nous en vacances tous les deux, et qu'ils aimeraient, si possible, avoir une chambre dans notre maison. Quant aux Grethen, ils forment le projet d'aller à la mer, mais ne savent pas encore bien ce qu'ils feront.
Avec Henri, nous cherchons de quel côté on pourrait bien aller cette année. Avez-vous quelque idée ? Peut-être n'est-ce pas trop tôt pour y penser.
Au revoir, chères marraines, il est tard, nos yeux se ferment, nous n'avons plus que la force de vous embrasser tous les cinq bien tendrement.
Le quatuor
Janot, Suzie, Jane, Henriette"

(1) Joseph Mouterde, cousin du côté de Marie (Collet)
(2) Suzanne et Joseph Mouterde venaient de perdre un petit garçon nommé André, âgé de quatre ans.

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