mardi 9 septembre 2008

6 août 1931 : Jane attend son homme


"Bessenay, Maison Bonnet - Jeudi, 2 heures

Mon vieux marron,
J'ai été fort en colère de n'avoir pas de tes nouvelles avant ce matin. C'est indigne et vexant, d'autant plus que chacune de ces dames s'inquiétait et faisait mille condoléances à la pauvre délaissée. Enfin, passons. Tu attendras un jour de plus ma lettre, voilà tout.
Ici, tout va bien. Les marraines sont all right, le fils est un trésor de sagesse. Son eczéma va beaucoup mieux, il n'y a que son appétit qui laisse à désirer. Je suppose que le grand air le nourrit et l'endort. Je le pèserai un de ces jours chez le pharmacien. Il n'a pas de pèse-bébé. On emportera un panier. Il a répondu à Marthe : "Oh ! Ici on ne pèse pas, on se rend compte..." C'est une noix.
Ce matin, nous sommes allés au marché en bande. Maman (B) a acheté des sandales en cuir à Suzie. Renée m'a offert un superbe col pour garnir une robe que je vais me faire avec une petite soie que maman (R) m'a eue par des Mouterde. C'est batoche. Je ferai aussi la petite veste en tissu pareil et je me propose de m'en parer pour épater la population Bessenayenne.
Ici on est bien occupé. Le matin on brasse au ménage, je lave les couches, soigne le môme. A 3 heures, la smala s'amène. Les enfants vont jouer dans le pré voisin avec la bonne. Jacques a déchiré déjà 2 fonds de culotte en grimpant aux arbres. Ces gosses sont marants (sic). Il n'avaient jamais vu la campagne et s'épatent de voir des grenouilles, et des sauterelles aussi. Mathilde (qu'on appelle Nany) voudrait monter sur les vaches. Pierrot est un gros bonhomme, plus petit que Suzie malgré ses 6 mois d'avance. Papa apportera des pellicules pour l'appareil de Renée.
Je suis contente que tu aies passé du bon temps avec André. Dis-lui que s'il vient ici, on le couchera. Le reverras-tu avant le 15 ? Je te souhaite de bien te distraire à Livourne. Je compte qu'il reste à peine 9 jours avant que tu arrives.
Il fait beau depuis 3 jours, à part de vagues orages qui passent souvent sans tomber. Tu dois avoir chaud. Ne monte pas à midi. C'est trop fatigant. Si tu veux du gâteau maison, arrive avec une belle mine.
Les marraines ne pensent pas que François pourra venir. Il se plaint de la pluie qui retarde ses travaux. Germaine l'a rejoint à St Laurent ces jours-ci. Elle dit qu'elle grossit fortement et que leur rejeton remue fortement. Elle craint d'avoir des jumeaux. Décidément, c'est la terreur des mères...
J'ai oublié de te dire que Suzie avait été piquée par une guêpe, le soir avant son indigestion, et qu'on a attribué sa fatigue à cela, tellement la pauvre gosse avait été révolutionnée.
Je t'annonce aussi qu'on trouve à Bessenay d'excellents pâtés aux pommes et aux pruneaux.
Jean (Grethen) est à Copenhague en ce moment. Il ira ensuite en Suède. Mr Grethen l'accompagne pour le présenter à ses clients.
Renée et maman trouvent que le petit est grand et fort pour ses 2 mois et qu'il se fait joli garçon depuis quelques jours. Il est vrai que sa figure redevient sans taches. Les croûtes qui s'étaient formées sur son crâne sont parties avec de la vaseline et le peigne fin.
Et voilà tout le nouveau. (...)
Ma mère est rajeunie. Elle se porte bien et a une mine superbe.
Mardi soir, nous sommes allés au cinéma, Marthe, maman, Renée, ses 3 enfants et bibi. On a vu "A l'aube", c'est la reproduction des actes de Miss Edith Cavell pendant la guerre, son dévouement et sa mort. C'était très bien. Ce qui était amusant, c'était la salle de cinéma (un écran placé dans une salle de café, et une soixantaine de brave gens comme spectateurs).
Au revoir, mon homme, je t'aime bien. Arrive vite, mange et dors beaucoup. Ne vois jamais Rose.
Je t'embrasse de tout mon coeur, et les marraines aussi.
Fenon

PS : Pour le cadeau à Marie-Louise, j'ai consulté maman et Marthe. Elles pensent que M. L. aimerait soit une paire de ciseaux de taille moyenne, soit une ceinture de robe dans les tons beige, ou bien quelque chose qui lui ferait bien plaisir, c'est un pied en X pour un panier à ouvrage, sur lequel elle froncerait une cretonne. Peut-être pourrais-tu le faire ici toi-même ? Fais comme tu veux, ce sera bien.

Légende de la photo : Pierrot Grethen, Jane et Jean, Jacques Grethen et Suzie (admirez la toison)

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