mardi 24 mars 2009

11 mars 1935 : Renée est débordée

"Ma chère Jane,
Cette fois-ci, tu me forces la main puisque je dois te renvoyer ces jolies photos ; depuis lundi dernier, j'ai l'intention de vraiment t'écrire puisque nous avons vu Germaine (1) le samedi précédent (pour dîner, quel évènement). Elle nous a raconté leur ascension jusqu'à vous et nous avons bien ri ! Ils ne sont guère débrouillards, et au lieu de te donner le mal de les recevoir, et eux d'aller chez vous, ils auraient mieux fait de vous inviter à déjeuner à Nice... bref, nous avons été contents d'avoir de vos nouvelles, et d'entendre dire que votre petit Jean est si intelligent et si sage.
Papa et Maman qui étaient à la maison le lendemain de ce samedi se sont bien intéressés à ces détails. Tu me demandes, ma chère Jane, quelle est leur situation ; je sais que si cela continue, ils seront juste avec leurs petites rentes, mais ils ont un peu d'économies du temps où papa travaillait, et il n'y a pas péril en la demeure, et bien que maman se plaigne à Henriette "on ne pourra bientôt plus manger que des pommes de terre", papa ne se prive pas de fumer, et d'appeler le médecin 4 fois pour une simple grippe de maman, alors qu'il lui aurait fallu un peu plus d'énergie et moins penser à ses petits maux (nez bouché, douleurs un peu de partout provoquées par les efforts pour tousser, etc. etc.)... Tu vois d'ici le tableau, et le pauvre papa, patient, dévoué, calme et souriant. Naturellement, tu as dû en avoir des échos, mais d'une autre cloche. Tout cela pour te dire que vous faites déjà suffisamment en abandonnant votre modeste rente, et si c'est nécessaire, Jean y ajoutera q.q. billets, car nous avons confiance en l'avenir et sa situation se trouve bien améliorée depuis le 1er janvier : il n'y a plus qu'à souhaiter la reprise des affaires qui intéresse tout le monde plus ou moins directement. J'espère surtout que les parents ne vont pas continuer à payer le pain de leur fils pendant trop longtemps (je ne sais si tu es au courant par maman) : ils vivent chez la mère en attendant l'exposition de Bruxelles qui doit leur donner une situation à tous les deux - alors Jules fait la vaisselle et le ménage de sa belle-mère, et reçoit le reste de St Mandé.
Mon cher grand homme est parti samedi pour le Nord ; j'espère qu'il n'aura pas trop froid et que les affaires vont se réveiller un peu. Me voilà seule pour 4 semaines, mais pas inoccupée, car si je fais toute la besogne prévue, je n'aurai pas perdu mon temps : robes à Nany et pour moi, tricots... et aussi quelques nettoyages en vue du déménagement, car nous partons le 1er juillet pour la porte St Cloud. Je t'en reparlerai, mais ce sera plus près pour Jean et Jacques, donc moins fatigant et moins coûteux, et nous prendrons 4 pièces avec confort.
Les études des enfants sont le plus important sujet pour nous maintenant. Jacques marche bien ; Nany est intelligente mais très dissipée, quant à Pierrot, c'est le modèle : toujours 1er avec la croix et le tableau d'honneur. C'est un bon gros qui ne nous donne que des joies.
On s'occupe aussi un peu de piano. Jacques travaille (très en amateur) mais cela n'a pas d'importance ; et Nany prend une leçon tous les 15 jours chez ma marraine ; avec cela 2 cours p. semaine de gymnastique et appareils, et le catéchisme ; il n'y aura bientôt plus de temps pour jouer... mais il y en a tout de même pour se disputer, crier, et faire crier maman ! Au moins tu ne connais pas ces concerts avec un seul ; aussi, si tu veux bien croire ta vieille soeur, laisse donc Suzy avec ses tantes le plus longtemps que tu pourras ; c'est une aide pour toi, d'un prix inestimable, et que je j'ai jamais connue, car avec maman il ne faut compter sur rien, même pas sur un pull-over pour les enfants (je suis obligée de défaire pour recommencer !). Si elle m'entendait, elle s'arracherait les cheveux !
As-tu été au courant de la grippe d'Henriette avec point de congestion pulmonaire ? C'est Denis qui lui a fait piqûres et ventouses, car Jean (2) feint d'ignorer qu'elle est malade. Sais-tu qu'il règne entre eux la plus complète indifférence (physique et morale), que va-t-il en advenir plus tard...
Ce sont des questions qui ne touchent guère la pauvre Gd-Mère, heureusement, car elle en aurait beaucoup de peine. Les vieilles amies Fournier et Bristar (la mère de Mme Legonidec) sont mortes. Je ne sais si elle en est affectée...
Voilà, chers amis, la fin d'un journal qui vaut 3 lettres : on pense souvent à vous, avec le désir de vous voir. Il paraît que la vie et les maisons sont pour rien là-bas. Ce sera peut-être là que nous finirons nos jours, près de vous (ou même avant, espérons).
Beaucoup de bons baisers de tous les petits pour vous 3, et les miens avec, bien affectueux.
Ta vieille soeur,
Renée"


(1) Germaine Herrembrod, soeur de Jean Grethen, et amie de Jane
(2) Jean Jobert, frère d'Anna

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