jeudi 21 février 2008

17 août 1927 : Henri s'est acheté du papier à lettres

"Chère Mademoiselle
Je ne peux pas, n'est-ce pas, vous appeler "mademoiselle" tout
court ? Ce serait presque faire machine arrière et une telle distance
nous sépare que je m'en garderai bien.
Je pense qu'une certaine dose de familiarité est indispensable pour
combattre "l'action dissolvante du temps et des kilomètres", et si
vous vouliez bien m'écrire avec autant de confiance et de simplicité
que je compte le faire, l'épaisseur du mur serait réduite à bien peu
de chose.
Il ne faudrait pas, lorsque nous nous reverrons dans un mois - comme
j'y compte toujours - que nous nous retrouvions comme la demoiselle
et le monsieur de la Porte Maillot, mais plutôt comme les promeneurs
du Parc de Versailles - prêts à reprendre la conversation
qu'interrompit ma cousine. Ou encore mieux, puisque nous pouvons, si
nous voulons, la continuer ici, prêts à reprendre le fil de la
dernière lettre, vôtre ou mienne.
Mais une autre condition, pour que je garde le plus possible du
souvenir que j'ai emporté de vous, est que je puisse vous revoir au
moins en photographie. Je suis terriblement distrait, à certains
moments et j'ai pu vous paraître bien indifférent dans cette
circonstance : Dimanche, au moment où vous marquiez le désir d'avoir
une de mes photographies, je n'ai même plus songé que vous aviez sur
vous une des vôtres, que j'aurais été fort heureux d'emporter et que
peut-être vous m'auriez donnée.
Alors, soyez généreuse et rendez-vous à la demande tardive que je
vous fais. En échange, je vous promets de vous envoyer mes traits par
retour du courrier. [...]
Puisque vous disposez de plus de temps que moi, j'attends de vous une
lettre un peu mieux bâtie, et, puisqu'il fait bien meilleur à Paris,
d'un style un peu plus aéré. Mais je serais désolé que vous ne
m'écriviez pas comme l'on parle. D'ailleurs j'ai confiance en vous
pour m'indiquer la façon, la façon de continuer cette conversation,
d'abord, et puis la façon de me conduire, en général, maintenant...
et ensuite.
Je vous prie de présenter mes respects à vos parents. Ma
préoccupation est maintenant de pouvoir leur être présenté.
Et je demeure, sans plus de phrases,
Votre dévoué

Henri Reignier"

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