mardi 11 mars 2008

21 septembre 1927 : Grandes précautions

"Ma chère Maman,
(...) J'ai demandé à la jeune personne en question de vouloir bien venir séjourner quelques jours parmi vous pour la Toussaint, comme c'était mon projet, à la suite de ton approbation. Elle a accepté, un peu gênée de devoir atterrir chez vous qui lui êtes inconnues, mais je lui ai suggéré de se faire accueillir, en commençant, par Thérèse, et puis la famille Beauser n'a pas perdu toutes ses relations à Lyon et il serait encore dans les choses faisables qu'elle reçut l'hospitalité en dehors de chez nous. Ce sont d'ailleurs des détails.
Le fait de l'avoir invitée constitue pour moi une espèce d'engagement, que je ne rejette pas et, je te le dis tout de suite, j'espère bien me fiancer à ce moment. Je voudrais (et arrangerai les choses pour) que la jeune personne passe quelques jours avec vous avant mon arrivée. De la sorte, tu aurais tout le temps de te former les idées à son sujet et, comme je pense bien qu'elles seront favorables à mon projet, nous pourrions passer à un autre genre d'exercices assez rapidement. J'ai en effet carrément l'idée de me marier. Ne t'effraie pas. L'enfant est gentille et de goûts simples, éduquée par l'adversité et, avec ça, assez confiante dans l'avenir. L'honnêteté et la moralité ne font pas de doute( ce sont des termes de commissaire de police, je m'en excuse auprès des susceptibilités qu'ils pourraient effaroucher) et quant à la profondeur de ses sentiments religieux, je te les laisse à scruter (...).
Samedi, à mon arrivée, nous - Jane comprise - avons déjeuné chez Paul à 1 heure de l'après-midi (...) puis nous sommes allés - sous la pluie - au musée Grévin. Ensuite, 22 rue Henri Poincaré, j'ai fait la connaissance des parents, ai dîné chez eux. Dimanche, nous étions, Violette, Paul et moi, invités à déjeuner. C'est là que j'ai vu la mère-grand. Ensuite, laissant les parents, nous sommes allés nous promener. Puis laissant Paul, Violette et leur fille dans le jardin du Luxembourg, nous sommes allés visiter le Panthéon. De la cave à la coupole. Lundi, l'excursion que je t'ai dite
(1), cette jeune fille et moi. Une heure de train, une demi-heure dans la forêt, presque sous la pluie (pas un brin de soleil ces trois jours). Retour de même. Dîner chez les parents, tentative pour voir les illuminations de la fête américaine, et puis train à la gare de Lyon. Baisers, serments, sifflet. Lyon, Marseille, Nice.
Elle me plaît, je l'intéresse. Pourquoi pas ?
Ca y est. Tu es effrayée, désemparée. C'est trop vite. C'est imprudent. Comment te répondrais-je ? Je ne le puis. En tout cas, garde bien ton calme. J'ai tout le mien. Je suis honnête, je suis gentil. Elle aussi. Alors ? Le reste c'est de l'Inconnu, on ne fait rien contre lui.
Voilà, ma chère Maman. Cette lettre va te faire penser et prier pour moi. Je ne dis pas non, je sais que tu m'aimes tellement. Tu sais aussi que je ne veux pas te faire de peine et c'est ma conviction que, plus lentement que moi, tu arriveras à penser comme moi au sujet de la nouvelle fille que j'ai envie de te donner. (...) J'écris à la jeune fille, des cartes en couleurs et des lettres aussi, naturellement. Ça prend du temps. Mais je t'écris aussi, tu vois, et quand tu voudras. Alors, ne te fais pas de souci, ménage-toi, et reçois mes tendresses illimitées.
Henri"

(1) A "Labretêche" (je pense qu'il s'agit plutôt de La Bretêche), dans la forêt de Marly, chez le frère et la belle-soeur d'Anna Beauser.

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