dimanche 2 mars 2008

6 septembre 1927 : Jane trouve le temps long

"Mon cher ami
J'allais mettre... vous le dirai-je ? Non. J'allais vous appeler par votre prénom, et je n'ai pas osé. Serait-ce trop d'audace ? Ou ne serait-ce pas, comme il me semble, tout simple et bien ?
J'ai eu votre lettre tout à l'heure, et, comme une enfant gâtée que vous avez déjà fait de moi, je me suis écriée, assise confortablement sur le moelleux divan de ma minuscule chambrette : huit pages seulement ! Mais les lignes en étant nombreuses et l'écriture heureusement fine, je me suis consolée. Savez-vous que je vais devenir d'une exigence, avec vos cartes postales quotidiennes ? Elles sont belles, oui, et elles me plaisent. Voulez-vous continuer encore ? Je crois qu'on s'habitue aisément aux bonnes choses. Je vous plains sincèrement d'étouffer de la sorte. Ici, il fait si bon et frais ! Je mettrais bien volontiers quelques souffles légers au fond de mon enveloppe pour vous, si je le pouvais. (...)
Oui, monsieur, c'est moi qui vais être terriblement intimidée en vous revoyant, alors je vous préviens simplement, afin que vous fassiez une provision d'assurance pour deux.
Et je vous écris en toutes lettres, et en signant ma déclaration, si vous le voulez, que je me souviens de vous comme d'un garçon tout simple, agréable et... sympathique. Dieu, que ce mot m'est donc d'une ressource précieuse. Il me plaît, dans beaucoup de circonstances.
Je comprends votre désir de me retrouver seule, et je le partage. Ces jeunes filles d'aujourd'hui, vraiment !... On entendra tout.
Que voulez-vous, j'ai la sainte horreur des chaperons, si plaisants puissent-ils être. Alors je tâcherai d'user de diplomatie pour vous satisfaire. (...)
Et si, manquant à toute correction, vous me trouviez à la gare de Lyon, le samedi 17 septembre à 12h15, comment trouveriez-vous cela ? C'est une idée du simple "moi".
Maman demandera à vos cousins de vouloir bien venir à la maison probablement le dimanche, et peut-être pourrons-nous, si mes parents y consentent, nous échapper à La Bretêche le lundi, si, comme je l'espère bien, vous disposez de cette journée complète. Ce serait vraiment trop court, autrement ! Mais je ne me montrerai pas plus longtemps exigeante à vos yeux. Je suis la petite chose obéissante qui vous attend. Et l'Inconnue prendra l'Homme par la main et lui fera visiter Paris. Ce sera encore l'Homme qui expliquera, tant mieux ! Et s'il pose à l'Inconnue des questions, eh bien, elle y répondra, voilà tout, et simplement. Quelles seront ces questions ? Amèneront-elle une rougeur au front de l'Inconnue ? Et pourquoi rougirait-elle, et de quoi ? Elle se demande parfois ce que l'Homme a bien pu s'imaginer et ne veut pas chercher à comprendre. (...)
Vous ennuié-je ? Avec mon bavardage stupide et d'un décousu ! Et j'en oublie, je crois, d'être gentille, et de vous témoigner un peu de ma... sympathie. Dirai-je affection ? Que préférez-vous ? Je désire que les jours s'enfuient. Comment faire pour les pousser ? Les enfants sont impatients, vous savez bien.
Affectueusement à vous.
Jane Beauser"
Phrases ajoutées dans les marges : "I wish you a very happy birthday. Sorry I am to (sic) late"
"Je pique vos cartes postales aux murs de ma chambre, cela fait un décor riant et... sympathique"

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