dimanche 2 mars 2008

3 septembre 1927 : Amie !

"Me voici, puisque c’est samedi et que demain je puis me lever un peu plus tard, devant ma table, sous la lampe, encore une fois. [...]
Je suis resté pantois en trouvant l’épaisse enveloppe dans ma boîte aux lettres. Et jamais je n’ai eu autant de plaisir à vous lire. Je persiste à affirmer que vous écrivez comme vous parleriez. Attention ! (pour employer votre terme) - Attention, je vais vous dire quelque chose qui me paraît un peu risible et qui, soit vous attendrira, soit vous fera rire tout à fait : Il m’a semblé, dans votre dernière lettre, (à ces passages mêmes où l’émotion vous fait pécher contre l’orthographe) il m’a semblé sentir votre respiration. Vous allez répondre, en haussant les épaules, que cette chose-là n’existe que dans les livres d’heures, où l’on reprend son souffle à chaque astérisque. Alors je vous dirai que les extrêmes se touchent, que le grotesque confine au sublime, et que, dussé-je vous sembler grotesque, j’ai très bien senti votre coeur palpiter un peu, ici et là, dans votre lettre.
Je ne serai pas assez fat pour croire que c’est moi qui l’aie fait palpiter, mais vous ayant amenée par cette correspondance à me confier des choses d’un ordre assez intime, j’en dois rendre responsables mes lettres, il me semble.
Et pour finir, il me vient une espèce de scrupule, à l’idée que, de ces lettres, je me sers un peu comme un déguisement. Je vous apparais peut-être, au travers de cette correspondance, comme un être aux idées variées, à l’expression facile, comme une sorte de bon-vivant éclectique et disert. Hélas, il faudra que vous m’écriviez en toutes lettres, en signant votre déclaration encore, que vous vous souvenez de moi sous mon jour véritable, c’est à dire paré de bien peu de fantaisie et d’élégance, pour que je me décide à reparaître à vos yeux.
C’est ainsi qu’amené à envisager notre prochaine rencontre comme une circonstance très pénible pour moi, du moins pour ce que je vous di là, je souhaiterais vous retrouver seule, sans même la présence de mes cousins, pourtant si gentils et si discrets.
Hé ! En ai-je une façon de vous faire la cour ! Vous en êtes abasourdie ? Moi aussi.
Je connais des gens qui enverraient des vers à leur “Inconnue”, d’autres qui en apprendraient pour les réciter au bon moment, d’autres qui repasseraient leur discours et le pli de leur pantalon pour produire la meilleure impression au premier re-contact...
Ma foi, avec moi, vous pourrez contempler du premier coup d’oeil l’étendue du désastre. Je ne ferai nul apprêt pour tenter de recrépir mes vieilles façades lézardées et je vous avertis bien que l’émotion me coupera tous mes moyens. Certainement je vous semblerai tout à fait antipathique.
... A moins que je ne décide quelque extravagance et que je ne rompe la glace par quelque geste fort naturel que je vous laisse à imaginer. Oh ne faites pas d’efforts d’imagination : je vous dis que ce me semblerait fort naturel, la simplicité même, et que je le désire, tout court.
Maintenant, si vous jugez mes discours incongrus et mes projets “improper”, ayez de l’indulgence pour le sauvage que je suis. [...]
Cette idée d’un petit voyage à Labretêche me sourit beaucoup. En plus du plaisir que j’aurais à faire connaissance de vos oncle et tante qui me paraissent vous être si sympathiques, ...oui, enfin vous allez me faire mettre en colère...
J’ai déjà protesté - en anglais !- contre votre perfidie au sujet de certaine promenade sentimentale possible dans la forêt avunculaire (?) - Pourquoi me narguer ainsi et me traiter, presque, de vieux pion et, péjorativement, de philosophe ?
Vous semblé-je pas capable de cueillir la noisette en votre compagnie, voire d’effeuiller la marguerite, de me noyer fort bellement pour attraper un myosotis et me comporter, en un mot, comme d’usage en pareille circonstance. Je sais bien que j’aurai trente ans après-demain, mais justement j’ai décidé qu’il y en avait dix qui ne comptaient pas, puisque, en vérité, j’ai si peu vécu pendant ces dix ans-là. Bref, moralité élastique et prometteuse : Qui vivra verra. [...]
Quant à vous, chère Personne, vous avez bien une drôle d’écriture pour une demoiselle ! Caractéristique, justement parce que éminemment différente des grands et stupides jambages de l’écriture féminine moderne. Avec votre écriture, au moins, vous me faites de vraies lettres, tandis qu’avec l’autre je ne pourrais qu’être volé. Moralité : Continuons chacune et chacun à écrire comme nous savons le faire et sans commentaires !

Moralité annexe : Ne continuons pas trop longtemps, et vive Panam ! [...]

Aimez-vous les cartes postales ? - Oui ! - Vous en ai-je envoyé de belles ? - Oui ! - Alors, vous, amie, écrivez-moi un peu plus intelligemment que je ne l’ai fait aujourd’hui. Il fait lourd, je vous le répète. Comment avoir un peu d’esprit dans ces conditions ?
Ce serait le samedi 17 à 12h15 que j’arriverais à Paris. C’est presque convenu, de mon côté. Dites-moi votre avis.
Vous ne pouvez savoir le désir que j’ai de vous revoir et de vous entendre parler. En attendant, je demeure votre dévoué “vieux philosophe” pour vous servir.
H. R."

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