jeudi 13 mars 2008

21 septembre 1927 : Jane a compris

"Mon cher Henri,
J'attendais si peu une lettre de vous ce matin que j'en ai été surprise, presque attendrie. Honestly ! Croyez-moi. Je ne raille plus. Je n'ai jamais été aussi sérieuse. Je pensais bien que vous m'enverriez une pensée en cours de route, mais j'avais espéré une simple carte. C'est donc mille fois mieux, ou plus.
J'espère que votre long voyage aura continué à bien s'effectuer. Savez-vous que j'ai pensé à vous sans arrêt depuis votre départ, et vous suivais (...).
Figurez-vous qu'ici il fait un temps superbe. C'est presque une ironie que ce déclanchement (sic) tardif. Enfin c'est meilleur pour le moral. Mais oui, j'en ai besoin. Hier s'est écoulé pour moi fort tristement. Je me suis trouvée honteusement paresseuse, rêveuse, et j'aurais voulu pouvoir m'endormir comme je voudrais pouvoir le faire, pendant 5 semaines. Ce sera long, oui. Je vous l'avais dit, déjà ; alors, pourquoi cette question ? Ne croyez-vous pas, mon ami, n'êtes-vous pas persuadé que votre petite chose soit capable d'éprouver pour vous un autre sentiment qu'une vague sympathie ? Oui, je veux bien vous aimer, maintenant et toujours, et pas d'un amour de 2ème zone.
Ayez confiance en moi. Je suis, ou peux être, cela ne dépend que de vous, la meilleure des créatures, et toute dévouée, et aimante.
Mais quant à vous promettre de ne plus vous taquiner jamais... Ça c'est une autre affaire. On ne peut promettre que ce que l'on est sûr de pouvoir tenir. Et votre promesse à vous, formulée en face de l'Etang de Berre, me laisse sceptique. Peut-on se refaire ?
Et maintenant, causons sérieusement. Vous êtes le meilleur et le plus respectueux des fils. Croyez bien que je vous ai compris de suite et y avais songé déjà, moi aussi.
Il est naturel, en effet, que vous désiriez consulter votre mère avant de ne rien entreprendre de décisif en ce qui nous concerne. Cela doit être, et c'est bien. J'ai agi étourdiment, l'autre jour, lorsque je vous demandai si nous pourrions nous considérer dès maintenant comme fiancés. Et je vous obligeai presque à me répondre oui. Pardonnez à l'enfant que je suis. Je n'ai encore écri (sic) à personne autour de moi, ni même causé. Je n'en éprouve d'ailleurs aucun besoin, préférant garder pour moi seule (en vieille égoïste) et cacher aux oreilles amies... et curieuses aussi, le secret de mon coeur. (...)
Hier, en revenant de chez ma grand-mère, je tombe sur votre cousine Violette qui remontait la rue des Martyrs avec Jeannine. Nous avons échangé juste quelques mots insignifiants, car il était fort tard. Il paraît que j'avais le sourie ! N'importe, ma tristesse régnait. Je vous l'affirme.
Vous vous souvenez des malheureuses fleurs rapportées lundi soir de La Bretêche ? Eh bien elles se sont ouvertes, et maintenant elles tombent. En voici les derniers pétales. Tout passe, mais les souvenirs restent (heureusement !).
Ne veillez pas pour écrire à votre vieille chose, elle ne comptera plus les pages. Ce qu'elle désire, seulement, c'est une pensée, quotidienne peut-être ?
Sincère et profonde affection
de votre petite Jane"

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