mardi 31 mars 2009

11 mai 1935 : Anna donne des nouvelles des Marraines

"Ma chère petite Jane,
Tu dois penser avec quelle impatience nous attendions des nouvelles de votre voyage et si ta bonne lettre a été bien accueillie! Nous craignions tellement pour toi un accès de fatigue avec un rhume par dessus le marché, étant donné ce changement de température !
Heureusement que tout s'est bien passé, et que la séparation n'a pas été trop dure pour M. Louise avec ce voyage à Meudon avant le départ de Suzie.
J'attendais pour t'écrire d'avoir vu ces dames puisque tu nous faisais espérer leur visite. J'ai donc écrit à Mme Reignier qui n'est arrivée à Meudon que lundi soir, ayant eu une grande faiblesse nerveuse les jours précédents. Elle m'a répondu qu'elle ne pourrait circuler pendant son séjour mais que ses filles et sa belle-fille viendraient nous voir vendredi.
Je les avais retenues pour dimanche afin qu'elle se trouvent avec Renée et Jean ; mais les François avaient déjà invité les Dumas ; la réunion n'aurait donc pu avoir lieu, d'autant moins que nous venons de recevoir une lettre de Renée nous demandant d'y aller demain, Jean ayant une crise d'emphysème, et le Dr ne lui permettant pas de sortir avant mardi. Espérons que ce ne sera rien de grave.
Nous avons donc eu la visite de ces dames hier et avons passé ensemble un moment très agréable. La femme de François a été très aimable, et m'a invitée (toute seule) à aller goûter à Meudon mercredi afin de voir Mme Reignier !
Ils déménagent en juillet, leur maison devant se vendre, et n'ont encore rien trouvé.
Mme Reignier a reçu une offre de location pour un joli coin du côté de Bessenay, mais à 675 m d'altitude ; elle doit écrire à son Dr pour lui demander si elle peut se risquer. Ce serait dommage de laisser échapper cela, car cette cure d'air serait très bonne pour les petits et pour toi, et vous ferait grand bien à tous.
Tes belles-soeurs nous ont fait espérer votre visite pour cet été, avec le petit Jean sans doute ; tu penses si ce serait une joie pour nous et si Renée sera heureuse aussi de vous revoir.
Espérons que vous trouverez facilement une location à Cimiez en octobre et que la famille se décidera à vous rejoindre. Nous sommes bien contents de cette perspective d'avenir pour Henri, et souhaitons ardemment qu'il obtienne cette situation dans les Ponts et Chaussées.
Ici, rien de nouveau ; nous ne bougeons guère, et papa fait de grandes randonnées au Bois les jours de beau temps. (...)
Tous les détails sur votre séjour à Lyon nous ont fait plaisir, et en attendant d'autres bonnes nouvelles de tous les 4, nous vous embrassons bien tendrement, mes chers enfants, et vous envoyons toute notre affection.
A toi de tout coeur, mon Janot.
A. Beauser
Les petits doivent être heureux de s'être retrouvés et de jouer ensemble !"

dimanche 29 mars 2009

10 avril 1935 : Marie est émue et inquiête

"Ma chère Jane,
Je suis bien en retard pour vous écrire, mais cependant je ne vais pas mal maintenant, la fièvre n'est pas revenue et les palpitations se calment, mais pour la surdité c'est à peu près de même et toujours assez gênant. Je sais que cela ne peut passer en un jour et ne m'inquiète pas encore trop. Beaucoup de personnes ont eu comme cela des refroidissements qui se sont portés à la tête.
Nous sommes maintenant tout à la pensée de vous revoir bientôt et d'un jour à l'autre nous attendrons l'annonce de votre arrivée.
Jean doit commencer à en parler et à faire ses projets. Se rappelle-t-il un peu Montchat ? Je ne sais encore quel jour viendra François et si ce sera avant ou après Nîmes ? Henri pourrait lui envoyer un mot pour lui dire quels jours il sera ici, ce qui pourra le faciliter.
J'espère qu'Henri ne sera pas aussi pressé qu'à l'ordinaire et aura le temps de revoir son pays et son monde, y compris Paul Dumas qui doit venir aussi avec sa famille pour ces fêtes.
Comme vous le supposez sans peine, nous sommes tout émues à la pensée de nous séparer de notre chère petite, et cependant votre désir est bien naturel. J'espère que M. L. ne se fera pas trop de mauvais sang, avec l'espoir de retrouver souvent sa bien-aimée filleule, mais vous vous comprendrez bien toutes deux, j'espère, dans votre amour partagé, et vous vous ferez mutuellement des concessions sans nuire bien entendu à l'intérêt de la petite chérie.
Dans l'époque angoissante où nous sommes, on ne peut faire de grands projets, à peine pour les vacances, dont nous reparlerons ensemble, mais nous espérons que les circonstances nous permettront de nous rapprocher.
Suzie se réjouit de vous revoir tous et fait de petits projets, mais nous ne lui parlons pas encore de votre intention afin qu'elle n'en parle pas trop elle-même, je crois que cela est préférable.
En ce moment, je suis seule avec elle, qui finit son petit déjeuner toujours laborieux à prendre, bien qu'il passe fort bien. Mes filles sont à un sermon de retraite et ne vont pas tarder à rentrer. Je termine ma lettre et la porterai sans doute avec Suzie à la poste.
Dans ce moment, le jardin est bon et l'on y passe de longues heures.
Toutes nos tendresses, chers Enfants, et restez-nous le plus que vous le pourrez.
Suzie vous embrasse tous bien fort.
Maman"

Début avril 1935 : Anna donne son avis

"Nous avons été bien heureux de vos bonnes nouvelles, ma petite Jane, à part ton rhume de cerveau qui n'a pas été grand'chose, et cette vague de froid accompagnée de neige, et dont il n'est plus question maintenant, espérons-le.
Qu'Henri soigne bien sa constipation, c'est une question importante et qui est la cause de bien des maux. A-t-il essayé la tisane du pays ? Pour ma part, j'y fais grande attention maintenant, et mon hémorroïde a beaucoup diminué. Il ne faut pas s'habituer à prendre le même laxatif qui finit par ne plus agir. Je n'en prends que 2 fois par semaine : cachets de rhubarbe, et comprimés de mucinum en alternant, et m'en trouve très bien ; cela régularise la fonction peu à peu sans fatiguer l'intestin. Les maux de tête d'Henri diminueront certainement.
Nous sommes contents aussi que vous ayez de bonnes nouvelles de Montchat. Formez-vous toujours le projet d'aller à Lyon pour Pâques ? Nous comprenons votre désir de ramener votre fille, mais redoutons pour toi cette grande fatigue, mon Janot ; ce sera sûrement un surcroît de travail dont tu te ressentiras, et qui risquera de tout compromettre ! Tu es en bonne voie de complet rétablissement, mais tu n'es pas suffisamment forte pour pouvoir encore t'occuper des deux enfants ; pour bien faire, il te faudrait encore une année de consolidation pour qu'il n'y ait plus aucune crainte à avoir. Tu as toutes les facilités pour cela, et ce serait dommage de n'en pas profiter ; les marraines ne s'en plaindront pas, et Suzie n'aura ni plus ni moins d'affection pour vous l'année prochaine que cette année ! Les enfant s'habituent si vite aux changements. Nous nous permettons de vous donner notre avis, mes chers enfants, car cette question nous préoccupe beaucoup, et c'est un gros souci ajouté aux autres qu'on ne peut éviter, hélas ! Mais la santé avant tout !
Ici, nous allons bien pour l'instant, et avons déjeuné chez les Jobert mardi dernier. T. Henriette tout-à-fait rétablie, quoique toussant encore beaucoup (tj sa vieille bronchite, dit-elle) mais elle devait faire sa 1ère sortie le lendemain. L'oncle Jean n'a plus reparlé de rien à Papa, et nous ne comptons plus sur lui pour une recommandation. Papa retournera voir les syndics après Pâques.
Hier, Renée et les enfants sont venus déjeuner, et les nouvelles de Jean étaient bonnes. Nous irons à Boulogne dans 15 jours.
Tant mieux si ta belle-soeur a 3 portraits d'enfants en perspective, nous en sommes bien contents pour elle, et c'est un encouragement.
Bons baisers de Renée pour vous trois. Papa se joint à moi, ma chérie, pour t'embrasser mille fois bien tendrement, ainsi que ton cher Henri et ton petit Jean.
Vos parents qui vous aiment beaucoup,
A. Beauser"

mardi 24 mars 2009

Début avril 1935 : Une petite carte de Marthe qui en dit long

"Ma chère Jane,
C'est moi qui ai reçu la lettre avant-hier en revenant de Lyon. Je l'ai lue en-bas au jardin, ayant un peu l'intuition de ce qu'elle pouvait contenir.
Quand je suis montée, elles étaient si gaies que je n'ai pas eu le courage.
Je ferai voir la lettre à Maman bientôt mais pour M. L. je crois qu'il faut lui donner au moins 15 jours de grâce. Est-ce que je pourrais te demander le grand service de récrire (parce qu'elles commencent à être un peu inquiètes) et de parler simplement de votre voyage avec quelques très vagues allusions à Suzy si tu veux, à moins que ce soit pour une prochaine lettre.
Là-dessus je t'embrasse et pardonne-moi.
Marthe"

11 mars 1935 : Renée est débordée

"Ma chère Jane,
Cette fois-ci, tu me forces la main puisque je dois te renvoyer ces jolies photos ; depuis lundi dernier, j'ai l'intention de vraiment t'écrire puisque nous avons vu Germaine (1) le samedi précédent (pour dîner, quel évènement). Elle nous a raconté leur ascension jusqu'à vous et nous avons bien ri ! Ils ne sont guère débrouillards, et au lieu de te donner le mal de les recevoir, et eux d'aller chez vous, ils auraient mieux fait de vous inviter à déjeuner à Nice... bref, nous avons été contents d'avoir de vos nouvelles, et d'entendre dire que votre petit Jean est si intelligent et si sage.
Papa et Maman qui étaient à la maison le lendemain de ce samedi se sont bien intéressés à ces détails. Tu me demandes, ma chère Jane, quelle est leur situation ; je sais que si cela continue, ils seront juste avec leurs petites rentes, mais ils ont un peu d'économies du temps où papa travaillait, et il n'y a pas péril en la demeure, et bien que maman se plaigne à Henriette "on ne pourra bientôt plus manger que des pommes de terre", papa ne se prive pas de fumer, et d'appeler le médecin 4 fois pour une simple grippe de maman, alors qu'il lui aurait fallu un peu plus d'énergie et moins penser à ses petits maux (nez bouché, douleurs un peu de partout provoquées par les efforts pour tousser, etc. etc.)... Tu vois d'ici le tableau, et le pauvre papa, patient, dévoué, calme et souriant. Naturellement, tu as dû en avoir des échos, mais d'une autre cloche. Tout cela pour te dire que vous faites déjà suffisamment en abandonnant votre modeste rente, et si c'est nécessaire, Jean y ajoutera q.q. billets, car nous avons confiance en l'avenir et sa situation se trouve bien améliorée depuis le 1er janvier : il n'y a plus qu'à souhaiter la reprise des affaires qui intéresse tout le monde plus ou moins directement. J'espère surtout que les parents ne vont pas continuer à payer le pain de leur fils pendant trop longtemps (je ne sais si tu es au courant par maman) : ils vivent chez la mère en attendant l'exposition de Bruxelles qui doit leur donner une situation à tous les deux - alors Jules fait la vaisselle et le ménage de sa belle-mère, et reçoit le reste de St Mandé.
Mon cher grand homme est parti samedi pour le Nord ; j'espère qu'il n'aura pas trop froid et que les affaires vont se réveiller un peu. Me voilà seule pour 4 semaines, mais pas inoccupée, car si je fais toute la besogne prévue, je n'aurai pas perdu mon temps : robes à Nany et pour moi, tricots... et aussi quelques nettoyages en vue du déménagement, car nous partons le 1er juillet pour la porte St Cloud. Je t'en reparlerai, mais ce sera plus près pour Jean et Jacques, donc moins fatigant et moins coûteux, et nous prendrons 4 pièces avec confort.
Les études des enfants sont le plus important sujet pour nous maintenant. Jacques marche bien ; Nany est intelligente mais très dissipée, quant à Pierrot, c'est le modèle : toujours 1er avec la croix et le tableau d'honneur. C'est un bon gros qui ne nous donne que des joies.
On s'occupe aussi un peu de piano. Jacques travaille (très en amateur) mais cela n'a pas d'importance ; et Nany prend une leçon tous les 15 jours chez ma marraine ; avec cela 2 cours p. semaine de gymnastique et appareils, et le catéchisme ; il n'y aura bientôt plus de temps pour jouer... mais il y en a tout de même pour se disputer, crier, et faire crier maman ! Au moins tu ne connais pas ces concerts avec un seul ; aussi, si tu veux bien croire ta vieille soeur, laisse donc Suzy avec ses tantes le plus longtemps que tu pourras ; c'est une aide pour toi, d'un prix inestimable, et que je j'ai jamais connue, car avec maman il ne faut compter sur rien, même pas sur un pull-over pour les enfants (je suis obligée de défaire pour recommencer !). Si elle m'entendait, elle s'arracherait les cheveux !
As-tu été au courant de la grippe d'Henriette avec point de congestion pulmonaire ? C'est Denis qui lui a fait piqûres et ventouses, car Jean (2) feint d'ignorer qu'elle est malade. Sais-tu qu'il règne entre eux la plus complète indifférence (physique et morale), que va-t-il en advenir plus tard...
Ce sont des questions qui ne touchent guère la pauvre Gd-Mère, heureusement, car elle en aurait beaucoup de peine. Les vieilles amies Fournier et Bristar (la mère de Mme Legonidec) sont mortes. Je ne sais si elle en est affectée...
Voilà, chers amis, la fin d'un journal qui vaut 3 lettres : on pense souvent à vous, avec le désir de vous voir. Il paraît que la vie et les maisons sont pour rien là-bas. Ce sera peut-être là que nous finirons nos jours, près de vous (ou même avant, espérons).
Beaucoup de bons baisers de tous les petits pour vous 3, et les miens avec, bien affectueux.
Ta vieille soeur,
Renée"


(1) Germaine Herrembrod, soeur de Jean Grethen, et amie de Jane
(2) Jean Jobert, frère d'Anna

mercredi 18 mars 2009

17 février 1935 : Vivement le printemps et la fin des maladies !

"Ma chère Jane,
Bien contentes d'avoir de vos bonnes nouvelles et de constater que Jean-Jean paraît rebelle à la contagion. Il y échappera peut-être. En attendant il se fortifie et la saison devient meilleure. Nous venons d'avoir par ici deux belles journées chaudes qui faisaient penser aux orages, mais qui ne sont sans doute qu'une apparition brusque du printemps. On ne peut cependant espérer que tous les mauvais jours soient passés, c'est trop tôt.
Vos chers parents s'en voient bien cet hiver. Il faut espérer que votre mère sera vite remise à présent et que votre père pourra se reprendre un peu du souci et du travail qu'il a eus ces temps-ci. Il est regrettable que les Grethen se trouvent un peu éloignés d'eux, mais peut-être de leur côté ont-ils eu aussi la grippe ? (...)
Suzie va bien et en ces deux jours elle est sortie cinq fois. Le jardin est encore humide après toutes les dernières neiges mais bientôt il sera plus accueillant et l'on y pourra prolonger les bons effets de la promenade. On tâchera de s'y faire un petit abri, en attendant que les arbres donnent leur ombrage. Pour vous, sans doute ce sera nécessaire aussi de vous garantir du soleil devant la maison, si la tonnelle reste toujours aussi éventée et fraîche. Mais il y aurait bien moyen tout de même de s'y garantir du courant d'air et Henri trouvera bien quelque bonne idée à exécuter. (...)
Suzie passe près de moi : "Tu diras que j'embrasse bien papa et maman" et elle continue à jouer. Elle ne vous oublie pas et rappelle souvent une chose ou l'autre, même très anciennes sur vous ou Henri. Elle est très caressante. Elle a parfois ses moments de révolte mais c'est vite passé, et dans le calme elle écoute bien les raisonnements.
Vous me demandez si elle est travailleuse ? Ce n'est peut-être pas l'adjectif qui lui convient très bien, mais tout de même elle peut s'appliquer un peu plus longuement, et la lecture l'intéresse davantage avec les histoires qu'elle commence à suivre. Le travail manuel n'est pas très en faveur dans ce moment, mais cela reviendra.
Elle a toujours tant à faire avec ses jouets, que souvent elle dit qu'elle n'a pas le temps de jouer, lorsque je l'appelle pour écrire ou autre chose.
Je vous enverrai le 1er livre de lecture de Suzie, dont elle ne se sert plus, et je pense que cela fera votre affaire pour commencer Jean. Aux vacances, le jeu de lettres pourra l'amuser. En attendant, quelques grosses lettres sur petits cartons carrés l'intéresseraient.
C'est lundi quand je termine ma lettre et je viens de recevoir votre mandat, dont remerciements.
Nos filles sont en promenade et lorsqu'elles vont rentrer j'irai porter cette lettre à la boîte en emmenant encore Suzie comme je le fais souvent quand je peux faire un petit tour ; et cela augmente toujours le temps de la promenade. Le beau temps continue et sans cesser le feu, on ouvre souvent la fenêtre. Les violettes reparaissent comme il y a 5 ou 6 semaines, au moment précis où vous nous en aviez envoyé deux ou trois dans une lettre. C'était très drôle.
Mille et mille tendresses de nous 4 pour vous 3.
Maman"

13 janvier 1935 : Anna fait le tour de la famille

"Ma chère petite Jane,
Nous vous remercions d'abord de vos voeux affectueux qui nous ont beaucoup touchés, espérant qu'ils se réaliseront non seulement pour nous, mais surtout pour vous, mes chers enfants ; car tout notre désir est de vous savoir en bonne santé et heureux. Qu'Henri réussisse pleinement et soit récompensé de toute la peine qu'il se donne dans son travail ; que vous puissiez enfin trouver une résidence vous donnant satisfaction complète (1). Mais avant tout, mon Janot, continue à te soigner et à te ménager le plus possible afin d'être désormais à l'abri de toute rechute.
Nous sommes bien désolés que ta femme de ménage soit malade et de tout l'ennui que tu as eu avec elle ; pourvu qu'elle soit revenue sans trop tarder, sans quoi tu en auras peut-être trouvé une autre ; nous redoutons tellement pour toi un excès de fatigue, et il faut l'éviter à tout prix.
Nous voyons avec grand plaisir combien vos chers petits ont été gâtés par tous, et nous voyons d'ici la joie de Jean au déballage de ses nombreux cadeaux. Tu dois apprécier son meilleur appétit ; l'air de l'Abadie lui est favorable et tu fais bien de le laisser jouer dehors une partie de la journée, même avec les voisins, et malgré l'accent !
Nous avons bien pensé à vous et à votre solitude lors de notre réunion du 1er de l'An. T. Henriette toussait beaucoup, et s'inquiétait de son état ; Denise allait bien, mais comme nous ne savons rien depuis et qu'Henriette n'est pas venue voir Gd Mère, ce qui m'étonne, je crains que ça n'aille pas bien pour elle !
Nous n'avons pas revu les cinq, et les attendons dimanche prochain avec les Rosenthal qui vont bien. (...)
Renée a eu une intoxication alimentaire après le Jour de l'An, et a été bien fatiguée et obligée de faire venir le Dr, souffrant de l'estomac, et ayant des nausées et étourdissements. Nous ne l'avons su qu'après, et de notre côté, ça n'allait pas non plus. J'ai été retenue à la maison pendant 8 jours par une grosse hémorroïde externe qui m'a fait beaucoup souffrir et qu'il a fallu soigner. Papa faisait le marché et la vaisselle, et juste au moment où j'allais mieux (heureusement) il a été arrêté par un gros rhume et n'est pas encore sorti. Du reste nous avons toujours un sale temps et pensons, non sans envie, à votre beau soleil ! Les journées sont tout de même longues, toujours à la maison, et on désirerait les beaux jours et un peu de satisfaction avec !... Nous croyons qu'il n'y a rien à attendre du côté de l'oncle Jean. Papa fera une démarche lui-même le mois prochain mais je n'ai pas grand espoir dans la réussite.
Jules est installé à Anvers avec Juliette chez Mme Lauman qui veut bien les loger jusqu'en mars (époque de l'Exposition à Bruxelles). Jules, sans place depuis la fin de l'été, et Juliette également, car on ne veut plus de femmes mariées comme domestiques à Anvers, elle fait de la couture chez ses soeurs et gagne sa nourriture ; et Jules tient compagnie à sa belle-mère !... Il ne trouve rien à faire nulle part, car on ne prend plus que des sujets belges ; mais comme il ne peut vivre sans manger, nous sommes forcés, bon gré mal gré, de nous exécuter une fois de plus. Toujours des tuiles dont on se passerait, surtout en ce moment !
Ta gentille carte à Gd Mère a eu grand succès et elle a voulu à toute force y répondre. La pauvre croit que tu es toujours une enfant et que tu vis avec moi ; tu sera sans doute surprise de ses réflexions ! Elle avait mis sur l'enveloppe : Melle Jeanne Jobert.
Il n'y a que Papa et moi qui sommes allés la voir pour le Jour de l'An.
Je termine, ma chérie, Papa se joint à moi pour vous embrasser tous les trois bien tendrement comme nous vous aimons. J'envoie de bonnes caresses à Petit Jean, et pour toi toute notre affection.
A. Beauser"

(1) Apparemment, la maison de l'Abadie n'avait pas l'eau courante.

mercredi 11 mars 2009

26 décembre 1934 : Noël est déjà passé !

Certes, 1934 aura passé bien vite, à l'échelle de ce blog, mais cette année aura été plutôt tristounette et pauvre en évènements marquants. Et la machine à remonter le temps ne va pas à une vitesse constante !

"Ma chère Jane,
On aime bien ces longues lettres qui rapprochent tant les uns des autres, et de mon côté je voulais vous écrire plus vite, mais plusieurs fois j'ai été détournée de mon intention par des visites ou de petits services à rendre, etc.
Et voilà Noël passé ! J'espère que Jean-Jean a été aussi content que Suzie de la visite du petit Jésus et que les chers témoins de leurs joies ont passé aussi de bons moments. Nous aurions bien aimé à être réunis pour ces jours, ou au moins pour ceux qui viennent puisqu'il y avait 3 jours de suite pour Henri, mais peut-être auriez-vous fait une imprudence en cette saison si changeante ? Nous ne pensons pas non plus avoir personne de Meudon, à moins que François tout seul puisse nous faire une surprise, mais je n'ose pas trop y penser.
Il doit être de retour du Var, nous n'en avons pas encore confirmation et ne savons pas si les parents Q. sont encore pour quelques temps près d'eux. Germaine nous donnait de bonnes nouvelles de tous dans sa dernière lettre et nous demandait des vôtres comme à l'ordinaire.
Pas de nouvelles d'André depuis que vous vous êtes vus ? Aura-t-il pu écrire hier ? Sera-t-il monté à l'Abadie ? Il nous tarde beaucoup de savoir s'il n'a pas trop de difficultés et d'imprévus et s'il a le temps de dormir un peu pour se réparer. (...)
Après cela, le facteur nous apportait vos gâteries (1) qui nous font bien plaisir mais qui sont vraiment excessives par le temps qui court et surtout si Henri n'a pas eu la gratification qu'il pouvait raisonnablement espérer après tout son travail et ses tracas.
Suzie est ravie de ses jolis petits mouchoirs et elle vous le dira elle-même. Mais tout à coup je regarde le papier qui les enveloppe et vois qu'ils viennent de la part de sa tante Henriette Jobert.
En ce moment, notre petite est avec ses tantes à un arbre de Noël fait par Thérèse pour rendre quelques politesses autour d'elle. Il doit y avoir une vingtaine d'enfants, je crois, une vraie grande fête pour tous ces petits. Suzie va revenir enchantée. Déjà hier, elle a eu un service à thé sur ses souliers qu'elle avait cirés je crois elle-même pour qu'ils soient bien présentables. Et le petit Jésus lui a apporté ce qu'elle désirait, c'était parfait, et en plus quelques petit objets amusants. Elle trouve que c'est bien commode d'être ainsi servie et pour l'année prochaine elle pense déjà qu'elle demandera une bicyclette ! Et Henriette lui a envoyé un berceau alsacien voyant que Bleuette et Rosette avaient de la peine à être au large dans la voiture que son parrain lui avait donné l'année dernière. Henriette viendra dimanche et lundi et serait restée aussi le 1er janvier si elle n'allait au baptême du petit-fils de ses patrons à la Pape.
Nos chers enfants nous manqueront bien dans la réunion pour goûter ce jour-là, et chacun voudra avoir des nouvelles en détail de sorte qu'il sera bien parlé d'eux et de l'espoir qu'ils viendront une bonne fois pour un séjour, peut-être avec F. et G. Vivons d'espoir qui est bien réalisable.
Nous partageons bien votre déception au sujet de l'emploi dans les Ponts et Chaussées. Il faudra se tourner d'un autre côté ? Il y a tant de choses existantes que l'on ignore et les occasions peuvent surgir si soudainement en dehors des recherches !
Jean-Jean aura son ménage comme il le souhaite : Marraine 2 le lui envoie. Sa vraie marraine lui expédie une petite table avec chaise qu'elle pense lui faire bien plaisir, puis une modeste crèche qu'il arrangera et devant laquelle il pensera au petit Jésus.
Pour ma part je pense qu'une petite maison-écurie l'amusera avec ses deux chevaux et son mignon char, je me suis amusée moi-même à faire 5 petits sacs que j'ai garni de bonbons, pour charger sur la voiture. Puis il garnira son minuscule grenier avec de petits fagots de bois ou de paille, à son idée.
Tout cela n'est pas grand'chose mais peut le distraire quelques moments. Les constructions que ses tantes ont vues n'étaient pas très intéressantes pour lui, c'est curieux.
Non, nous n'avons pas reçu le manteau dont vous parlez venant de chez Mme Grethen, mais celui de M. Louise lui va encore très bien et paraît neuf.
Je joins à ma lettre un petit mandat pour Jean-Jean ; je vous l'envoie ainsi pour éviter une étrenne au facteur et je crois qu'Henri n'aura qu'à attendre une occasion de sortie en ville pour ne pas se déranger pour cela.
Je viens de recevoir une lettre d'André et je vois qu'il n'a pu monter vous voir pour Noël. Je pense qu'il vous a prévenu et se réserve pour le 1er janvier. Il a beaucoup à faire naturellement mais paraît content de s'organiser comme il veut. Il n'a pas encore eu le moment de visiter toute la propriété. Il a eu beaucoup à écrire et à faire des plans, etc.
A bientôt d'autres nouvelles et mille tendresses à tous trois.
Maman"

(1) Bonbons, chocolats et pâtes de fruits, également envoyés à Paris, où il sont arrivés "collés ensemble, écrasés, une veritable marmelade !" (dixit Anna)

dimanche 8 mars 2009

15 décembre 1934 : Suzie fait des affaires et prend des leçons

"Ma chère Jane,
Votre longue lettre nous a bien fait plaisir car on n'a jamais trop de détails sur son cher monde. La santé est bonne pour tous et j'espère que vous n'aurez pas pris froid en allant chez André par le mauvais temps si humide et dans une installation si précaire. Enfin cela changera vite avec toute l'activité qu'il déploie, le pauvre enfant. Il se sent libre à présent et ce lui sera un dédommagement dans ses durs travaux de mise en train. J'espère que cela prendra vite bonne tournure pour peu que le temps soit favorable. Il a un bon ouvrier pour lui aider et c'est déjà beaucoup. J'espère que malgré tous ses travaux il ne se négligera pas trop lui-même et qu'il ne continuera pas à maigrir. Quelques bons espoirs à la clé et les soucis diminueront, pensons-le.
Nous avons comme vous un temps très doux depuis le départ d'André et notre poêle installé en haut nous chauffe très largement, quelquefois trop, mais viennent les températures de gelées et cela changera. Avez-vous vu enfin arriver votre charbon ? Je demande cela plus pour la tranquillité de le savoir là, que pour le besoin présent. Vous pouvez au moins par ce temps-là continuer vos bonnes petites promenades qui peuvent devenir peut-être un peu monotones mais qui font tant de bien quand même.
Jean-Jean doit les aimer pour se changer de distractions. Aime-t-il toujours le pain ? Je le pense et cela me fait plaisir. Il doit prendre maintenant ses deux repas avec vous et être entraîné à manger de tout ce qui se présente. Mange-t-il un peu plus de viande, ce ne serait pas mauvais à présent ? et sa farine jaune, sa préférée, en veut-il ? On pourrait bien lui en envoyer comme l'année dernière. Et tandis qu'on parle de lui, pourrait-on savoir, comme jouets, ce qui l'amuserait bien en ce moment ? Sa marraine voudrait trouver quelque chose qui lui procure beaucoup d'agrément, et cherche à deviner les goûts du petit homme en ce moment.
Vous avez eu par André de bonnes nouvelles de Suzie, c'est pourquoi je ne vous en parle pas plus vite. Elle va toujours bien ; elle a pris 1 kg 150 environ depuis l'Abadie. Elle a eu beaucoup de succès à la vente de la paroisse, il y a quelques jours. On avait demandé à ses tantes de l'amener et elle a vendu avec beaucoup de grâces, pour 25 fr. nombre de petits objets qu'elle promenait dans une corbeille à travers la salle, et elle a dit qu'elle avait insisté auprès de plusieurs dames pour les décider. M. le Curé lui-même lui a acheté un sucre d'orge qu'il lui a laissé pour son compte, mais elle ne l'a compris qu'après coup, et l'a laissé dans la corbeille ; mais elle a eu d'ailleurs plusieurs petits profits amusants.
Nous continuons bien régulièrement nos petites leçons, mais on n'arrive pas encore à la lecture courante et elle écrit toujours plus vite un mot qu'elle ne le lit. Souvent elle lit une syllabe à l'envers, "in" c'est "ni" par exemple, mais il paraît que Marco faisait bien cela un certain temps. Nous lisons des leçons de choses qui l'intéressent avec toutes les explications que cela comporte. (...)
André vous aura dit sans doute que je lui avais confié quelques titres pour déposer à la Banque de France à Nice ou Antibes, je ne sais, afin d'avoir un prêt d'argent par ce moyen. Parmi ces titres il y en a un qu'on n'a pas pris, bien que très bon, alors j'ai pensé qu'en prenant ce titre chez vous, vous pourriez si cela ne vous gène pas, en ce moment (ou un peu plus tard), prêter 500 fr. dessus à André. Il en vaut actuellement un peu plus, mais peut être remboursé à 500 fr. un jour ou l'autre. Vous auriez le titre et en toucheriez les intérêts : 7 % pour le temps que vous l'aurez, ou peut-être vous le laisserai-je définitivement. (...)
Très pressée par nos filles qui sortent, je vous envoie toutes nos meilleures tendresses.
Maman"

dimanche 1 mars 2009

5 octobre 1934 : Le voyage des marraines

"Mes chers enfants,
Vite, deux mots pour vous tranquilliser : A part quelques fatigues qui m'ont fait craindre de rester à Marseille, le voyage s'est fait normalement avec de bonnes voitures de 3è cl. Couchées de suite en arrivant à Marseille, nous avons pu nous lever pour le train de 6 h 22 en réveillant Suzie qui dormait à poings fermés. Nous avons pris un taxi pour ce parcours un peu long jusqu'à la gare et une fois embarquée je ne me suis pas trouvée bien mal, heureusement, et je vais me reposer quelques jours.
M. Louise et Marthe se dépêchent à mettre de l'ordre en vue d'une arrivée possible pour demain des Meudonniens, mais elles ne seront pas fâchées de se mettre au lit un peu tôt.
Nous sortons de table, à 3 heures moins 20 seulement. Nous avons dû attendre le serrurier, notre porte d'entrée ne voulant plus s'ouvrir.
Suzie retrouve ses jouets avec plaisir. Elle a été assez tranquille tout le long du voyage, distraite par tout ce qu'elle voyait. La Côte d'Azur était belle hier au soir ! Ce matin, ciel couvert avec éclaircies cependant.
Nous sommes de nouveau bien éloignés, mes bons enfants, mais nous allons écrire souvent, n'est-ce pas ? et déjà nous penserons beaucoup au premier revoir pour nous aider à attendre. Henri nous a bien aidées pour nous mettre en route et nous le remercions toutes, ainsi que vous, ma chère Jane qui avez fait tout le possible de votre côté pour nous épargner ce travail du dernier moment.
Nous vous embrassons bien fort tous les trois et conserverons de bons souvenirs.
Maman"

5 octobre 1934 : Les vacances sont finies

"Ta grande lettre nous a fait bien plaisir, ma petite Jane, nous avions hâte d'avoir de vos nouvelles, sachant bien que le départ des marraines était imminent. Triste journée pour vous que celle de la séparation, et nous comprenons votre peine de ne pouvoir garder Suzie ! Mais c'est beaucoup plus raisonnable de ne la reprendre que l'été prochain, lorsque toutes tes forces seront revenues, et qu'il n'y aura plus aucune crainte à avoir ! Tu es en excellente voie de guérison complète, ce serait malheureux de la retarder par un excès de fatigue.
Tu nous donneras des nouvelles du voyage des marraines ; nous espérons bien que Mme Reignier n'en aura pas souffert et que son indisposition des derniers jours aura disparu à l'arrivée des François.
Ici, nous allons bien et avons passé un bon dimanche à Boulogne, causant de vous sans arrêt, comme tu dois le penser ; ils ont admiré les photos (1), et trouvé les figues excellentes ; les enfants, ravis des bonbons et des jujubes.
Mais Jean est de plus en plus désolé des affaires qui deviennent impossibles avec l'étranger. Peut-être le départ de M. Grethen à la fin de l'année changera-t-il quelque chose dans la situation de Jean ? Mais en tout cas, c'est un mystère et M. G. n'a même pas dit à Jean qu'il était remercié ! Tout cela est bien préoccupant, et les frais vont en augmentant pour eux avec les enfants.
Par contre, nous venons d'avoir une surprise agréable avec la garde de Gd-mère qui nous a demandé une... diminution, chose rare ! 120 F de moins par mois, c'est appréciable. La pauvre Gd-mère est toujours de plus en plus "galopante" et ne s'est guère aperçue de mon absence, heureusement ; je l'ai embrassée de votre part, mais elle ne m'a posé aucune question !
Dimanche, nous aurons les cinq à déjeuner. (...)
Papa est content que l'envoi des cartes vous ait fait plaisir. J'ai reçu une grande lettre de Jo, des plus affectueuses, nous disant toute leur joie de notre petit séjour, et ne demandant qu'à nous avoir l'été prochain, tout le temps que nous voudrons, que ce sera un bonheur pour eux et non une fatigue, etc. Il est certain qu'on se sent très à l'aise avec eux, et qu'on serait heureux d'y retourner si possible !
Pour l'instant, on est terrifié des affreux évènements politiques (2) et on se demande où l'on va !!
Nous souhaitons que vous soyez longtemps encore favorisés par le beau temps pour tes promenades quotidiennes et les trajets d'Henri.
Nous sommes avec vous sans cesse dans votre jolie cuisine de Lou Padre, si agréable et si gaie, et nous espérons que Jean-Jean est moins récalcitrant au moment de la soupe et des pâtes !
Nous vous embrassons tous les trois bien affectueusement comme nous vous aimons. A toi bien tendrement, ma chérie.
A. Beauser"

(1) Je n'en ai pas...
(2) Peut-être l'arrivée de Hitler au pouvoir
?

Pendant les vacances, un petit message...


Comme pratiquement tout le monde est à l'Abadie, sauf les parents Beauser qui viendront en septembre, peu ou pas de lettres.
Mais en attendant :