dimanche 9 mars 2008

7 septembre 1927 : Henri écrit à son grand frère

"Mon cher Kozak,
Je pensais beaucoup trouver dans ma boîte une lettre de ma "maîtresse" et puis j'ai trouvé la tienne. La sienne ne sera que pour ce soir (nous sommes réglés comme des machines. Les "tolérances" n'excèdent pas l'intervalle d'une distribution à l'autre). Je suis heureux de ce petit répit sentimental qui va me permettre de commencer immédiatement cette lettre et, si je ne la finis pas tout de suite, la laissera, béante comme un remords, sur ma table. (...)
Même jour, 19 heures. Comme prophétisé, j'ai trouvé la lettre en question en revenant du boulot. Cette gosse est d'une ponctualité remarquable : la vraie promise d'un adjudant. Cependant, ne frémis pas encore, je n'y attache que l'importance voulue. Ce qui retient d'avantage mon "attention" c'est qu'elle a une grande facilité d'élocution, un style presque châtié et une orthographe exactement convenable pour une femme (c'est à dire : une faute par lettre, une grosse faute d'étourderie, de quoi se mettre à genoux devant ! (...)
Je pense bien être à Paris samedi 17, dimanche et lundi, ce qui ne correspond pas du tout au "mois prochain" dont tu me parles. C'est foutre dommage, mais tout est déjà presque arrangé avec mon patron et avec l'enfant en question, et je me vois difficilement "remettant" l'histoire à quinze jours ou 3 semaines. Ça y est, je ne suis déjà plus libre. Petit à petit le désastre va s'étendre. Jusqu'à tant que nous ayons cinquante ans et des grandes filles à solder et alors pourrons-nous peut-être revenir à de moins problématiques rendez-vous. (...)
Suis-je épris ? Je ne sais pas encore. Mais si je dois le revenir, de Paris, bientôt, alors mon but sera de ménager un petit voyage de la jeune personne blonde à Lyon, peut-être pour le 1er novembre afin que je profite du pont. Ballon d'essai, entends bien. Je n'en ai pas encore parlé, qu'à Maman. Il ne faudrait pas que je coupe ainsi la chance des marraines de faire un séjour chez toi, par exemple. Je t'écris ça pour te donner une impression, à la fois de l'état de mes "amours" et de la façon dont je conçois leur développement ultérieur et rationnel. (...)
Ensuite ? Eh bien c'est tout. Ici il fait chaud et lourd. Il vient de pleuvoir un peu après des mois sans eau. Je n 'envisage pas de mourir sur ce rivage. Tant pis pour l'hiver, mais je voudrais vieillir dans la campagne rhodanienne. Les affaires sont un peu en crise, le travail emmerdant, le patron en voyage, les engueulades en route avec lui. En attendant, je ne m'en fais pas. J'écris une lettre tous les cinq ou six jours à ma "maîtresse" et une carte postale toutes les 24 heures. Voilà.
Il est tard, je vais vite souper et me coucher. Bon courage, bonne santé. Et le reste. N. d. D.
Ensuite, si tu as des photos de Graves à m'envoyer, ne te prive pas.
Bien tendrement
Henri"
Au crayon au dos du dernier feuillet :
"M. alors ! J'avais deux enveloppes préparées. J'ai failli mettre cette lettre dans l'enveloppe à l'adresse de ma "maîtresse" !!!"

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Y'a pas a dire... il me choque ce Henri. Je sais qu'il y à 60 ans antre lui et moi mais je le trouve un peu cynique avec elle. Ou alors il tombe amoureux et il fait ca pour... se donner l'impression qu'il maitrise la situation.
Bon et puis je suis un mec alors j'ai forcément une petite tendresse pour Jane!

idlt a dit…

Henri est-il cynique ? Ou joue-t-il les désinvoltes pour son ami ? Difficile de savoir, et puis nous ne savons pas comment Jane, de son côté, parlait de lui à ses amies ? Heureusement, il n'y a pas de réponses, ce qui laisse toute latitude pour remplir les blancs et imaginer…