jeudi 21 août 2008

14 avril 1930 : Jane s'ennuie chez ses parents

"Mon cher vieil homme,
J'ai reçu ta carte hier ; je suis contente de te savoir en bonne santé (si c'est bien vrai...).
Mais ne crois pas que je me jette à corps perdu au milieu des voluptés parisiennes. D'abord, il pleut, vente, et on est gelé. Le concierge a arrêté la chaudière, l'animal.
Vive le soleil de Nice et le jardin. Car la pauvre Suzie ne cesse de répéter : "mener, mener", et grogne souvent. Néanmoins, elle est gentille avec ses grands-parents, et n'a pas été sauvage avec grand-mère et les visiteurs.
Nous la couchons à la salle à manger, sur un matelas. C'est peu pratique, cette nuit elle s'est levée 3 fois en pleurant. Et puis, de 7 h à 10 h, le soir, comme nous sommes à la salle à manger, on la couche dans la chambre, et ensuite il faut la trimballer...
Maman est très fatiguée. Elle est encore plus maigre et ne dort presque pas. Elle a passé 2 nuits blanches. Le docteur lui a conseillé de ne plus prendre de drogues pour dormir, mais de temps en temps elle y a recours, ne pouvant supporter ces insomnies. C'est très pénible, et pas drôle pour papa.
Madame Fromentin, venue hier, doit s'inquiéter de lui trouver une maison de repos dans la banlieue, pas loin, parce qu'elle s'ennuierait trop, si on ne pouvait aller la voir souvent.
Et elle broie du noir, se croit une maladie de coeur grave, quand ce sont seulement les nerfs qui sont contractés, et le foie qui est un peu malade.
Tu voir, mon pauvre mari, que ma lettre n'est pas gaie, et que l'atmosphère cafardeuse influe sur mon cerveau.
Je viens d'écrire à François, qui doit arriver à Paris demain, pour lui demander de venir dîner mercredi soir. Ce sera le seul moyen de le voir.
Je ne pense pas aller voir tante Angèle aujourd'hui, parce qu'il fait trop mauvais temps, et que je ne veux pas laisser Suzie à Maman, elle l'ennuierait.
Mange-tu toujours bien ? T'es-tu purgé ? Et le cinéma, était-ce bien ?
Papa a eu les mêmes malaises que toi dernièrement, vertiges, estomac embarrassé. Il a pris quelques grains de Vals, et ça va mieux.
Veux-tu penser à emporter à Lyon les sandales de Suzie, qui sont en bas de l'armoire, à gauche ?
Au revoir, mon cher et tendre époux, ne t'en fais pas, ça se tire. Je compte aussi les jours, est-ce mal ?
Je tâcherai de partir samedi matin. On en parlera avec François.
Nous t'embrassons bien, et moi surtout.
Ton Fenon.

PS : Ne cherche pas à économiser : Grand-mère me donne 80 F de coupons qu'elle vient de toucher."

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