jeudi 10 juillet 2008

20 novembre 1928 : Une rare lettre d'André

"Ma chère Jumelle (1),
Je me suis bien déjà proposé quarante-cinq fois de répondre à ces cartes postales que tu as eu la gentillesse de faire s'égarer jusque sur ma montagne ; mais tu connais le refrain : j'aurais voulu en tous les cas activer davantage le complément de félicitations dont je pensais faire suivre ma carte de visite. Revenir maintenant sur ce souvenir d'un Jour mémorable où tu dotas la Famille d'une Héritière Universelle, d'une annexe inédite... etc. etc. me semble un peu trop démodé. Mais je dois me rattraper ailleurs car, dit la rumeur, cette fille mérite un compliment nouveau tous les jours, un attendrissement plus complet, une admiration plus convaincue, consciente et organisée et, sur parole, j'adhère à ces louanges et je grille de faire connaissance.
J'ai donc vu "Poupette" (!) hier à Montchat où j'ai fait une apparition ; par elle j'ai eu quelques détails sur votre installation, votre vie à trois, vos santés et votre traintrain quotidien.
Oui ma chère enfant, j'irai volontiers faire une virée à Nice ; je devrais bien penser à l'exiguïté de votre appartement et aux mille raisons qui devraient m'inspirer un peu de discrétion, mais je serai vraiment très très heureux de retourner à Nice que je retrouverai sans rancune ; tu penses aussi quelle fête pour moi de passer quelques
jours avec vous, de quitter ma solitude où j'appréhende déjà de rentrer au retour, quel bonheur inoui d'embrasser ma jumelle et ma nièce, de "faire enrager" Henri et de l'encombrer dans son atelier... voilà, voilà bien la question : il paraît que cette atelier est devenu tellement exigü que le plus minaud apprenti ne saurait s'y glisser ; il s'agirait tout d'abord de savoir si je peux me rendre utile ?
Que la Bourgeoise m'invite, c'est une gracieuseté délicate qui part d'un bon naturel, mais que le Patron m'embauche, c'est LA question. Et encore faut-il :
1° Qu'il me signe une garantie contre tous risques et principalement contre la chute possible des tuiles, les dangers du caramel, l'incompétence du Dr De Alberti, etc. etc...
2° Qu'il me fixe le moment préférable pour entrer en fonctions, soit : avant Noël de façon à passer la veillée ensemble et aplanir les montagnes de boulot qui pourraient être un obstacle à de longues vacances pour vous au 1er janvier, soit après le jour de l'An si l'on peut déjà former des projets à si lointaine échéance ; si je vais à Nice j'irai embrasser ma pâtissière et je me propagerai à l'Eldorado en espadrilles, je balancerai l'encrier sur les carreaux neufs de la mère Bruno, je ferai une sérénade à la môme Gorgonzöll, etc. etc...
Pendant ce temps-là mon commis fera la soupe aux boeufs et ira coucher chez sa mère qui, intentionnellement sans doute, est venue habiter dans le voisinage.
Il ne me reste plus qu'à t'envoyer les amitiés de mes petits lapins pour ma petite nièce, le bonjour de la mère Andrillat et de la mère Duchesne que ta grâce a conquises, une grosse provision de mon affection pour toi et mon frère de jadis. Pigalle, les Lilas, Blanche, Gioffredo, Tondrette de l'Escarène, Grâve et Pie Scoffier. D'ici un mois peut-être je prendrai le train. Quelle joie ! To be sure I'm enjoyed.
Andrew"



(1) André est né le 22 juin 1901 et Jane le 28 juin 1901

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